« Tous les actes et tous les stratagèmes visant à diviser la Chine sont voués à l’échec et s’exposeront à la condamnation populaire et à la punition de l’Histoire » - Xi Jinping, 2018. La République de Chine, de facto libre et indépendante depuis 1950 et appelée couramment Taïwan semble à nombre d’égards être le prochain point explosif du globe. Le contexte nous rappelle l’Ukraine et la Russie, entre l’opposition d’un pays plus faible, démocratique et allié de l’Atlantique à une grande puissance autoritaire invoquant l’argument de la légitimité historique. Il est clair dans la manière dans laquelle le gouvernement chinois s’adresse à son peuple et s’adresse au monde, que l’annexion de Taïwan à la République Populaire de Chine (RPC) est un élément non-négociable de l’agenda de Pékin.
L’île est considérée comme une province chinoise temporairement autonome par la Chine communiste, et ne reçoit que peu de soutien diplomatique de l’extérieur, n’étant reconnue comme État que par 14 membres de l’ONU.
La Chine prête ?
Il était évident que la visite de Nancy Pelosi à Taipei n’allait pas déclencher immédiatement de guerre, la Chine n’y était pas préparée. La quasi-inexistence de soutien à la RPC sur l’île ne laisse à Pékin qu’une très faible marge de manœuvre en termes de casus belli, contrairement à ce qui a pu être vu en Ukraine.
De plus, l’armée chinoise est inexpérimentée. Elle n’a connu aucune guerre mise à part un mois de combat contre l’Inde en 1962. L’armée chinoise n’a pas l’expérience de la maîtrise d’un terrain hostile comme la Russie (Afghanistan, Tchétchénie…), la France (Indochine, Algérie…) ou les États-Unis (non, on ne va pas faire la liste). C’est cette expérience manquante qui ne permet pas à la Chine d’autant s’affirmer comme puissance militaire mondiale. De plus, la Chine exporte peu d’armes et voit donc moins son arsenal en actions sur des théâtres de conflit : Les États-Unis représentent 39 % du marché de l’armement, la Russie 19 % et la Chine 4.6 %. Il ne serait pas étonnant de voir la Chine s’inviter dans le théâtre sécuritaire afghan, pays avec lequel elle partage une frontière, auprès des Talibans. Cela permettrait de combattre des moudjahidin ouïghours engagés au sein de l’État Islamique, et pourrait sécuriser un élément clef des nouvelles routes de la soie tout en se faisant une expérience militaire, nécessaire pour une annexion manu militari d’une île comme Taïwan.
C’était vrai il y a 3000 ans, ça l’est toujours aujourd’hui : la guerre, c’est l’argent.
Or la Chine cherche en ce moment à éviter l’implosion, notamment en amortissant le mieux possible sa bulle immobilière. L’immobilier représente 20 % du PIB Chinois. Les deux plus gros groupes immobiliers confucéens, Sunac et Evergrande sont endettés respectivement à 17 et 300 milliards de dollars. La Chine tente depuis sa libéralisation d’augmenter la demande interne pour ne plus dépendre des exportations vers l’Occident. Or aujourd’hui, l’essentiel de cette demande repose sur la classe moyenne urbaine, qui est la plus touchée par la bulle immobilière : Certains quartiers de Shanghaï ont vu leur valeur être multipliée par 100 en 20 ans. S’engager dans un conflit ouvert menant certainement à des sanctions internationales sans avoir sécurisé le pilier de son économie paraît loin d’être envisageable pour Pékin.
De plus, la stabilité du pouvoir en Chine n’est pas aussi garantie qu’elle pourrait en avoir l’air. Xi Jinping est loin de faire l’unanimité au sein du Parti Communiste Chinois (PCC) et est vu par la frange « dure » du parti comme trop laxiste envers l’Occident. Cette branche dure du partie est notamment composée de hauts militaires, avec à sa tête le général Li Qiaoming. Une ancienne cadre du régime exilée aux États-Unis, Cai Xia, qualifie Xi Jinping de « remis en question comme jamais auparavant », particulièrement à cause de la personnification du pouvoir, rappelant les années de Mao Zedong, et mettant fin à la politique collégiale du parti en place depuis les réformes de Deng Xiaoping.
Taïwan réellement impuissante ?
Taipei tente au fil du temps de se détacher de la dépendance militaire américaine et est aujourd’hui capable de construire ses propres missiles, drones et sous-marins. Cependant la stratégie de défense de la République de Chine repose grandement sur Washington. Selon Antoine Bondaz (responsable du programme Taïwan à la Fondation pour la recherche stratégique) l’armement fabriqué par Taïwan est principalement composé d’armement asymétrique n’ayant pas pour but de dissuader Pékin mais de tenir le plus longtemps possible pour laisser le temps à l’armée américaine d’intervenir.
Les Taïwanais sont fortement préparés psychologiquement à la guerre. La défense représente près de 50 % du PIB du pays (415 milliards de budget de défense, 850 milliards de PIB), la présidente Tsai Ing-wen s’affiche sur les réseaux sociaux fréquemment en visite de base militaire pour illustrer l’armement de pointe de l’armée taïwanaise. Un service militaire obligatoire de 4 mois pour tous les hommes en âge de combattre, concernant aussi les femmes dans les archipels les plus proches de la Chine continentale, prépare la population à grande échelle à se défendre en cas d’invasion. Dans le même temps, l’armée taïwanaise reste massivement armée par les États-Unis notamment en drones et en chasseurs F-16 figurant parmi le meilleur matériel militaire au monde. Et si le retrait en catastrophe d’Afghanistan paraissait comme un signe de déclin du hard power de Washington en dehors d’Amérique, le renforcement des effectifs dans les pays de l’OTAN et l’armement de l’Ukraine montre que les États-Unis sont encore en capacité de défendre leurs intérêts hors de leur frontière face à une puissance mondiale (re)montante.
Une nation, deux États
Les Taïwanais sont et se revendiquent largement Chinois, simplement anti-communistes et démocrates pour la plupart. La musique ou le cinéma passe d’un côté à l’autre, la culture se partage et les liens familiaux sont très forts. Énormément de Chinois de RPC de l’ethnie Han (92 % de la population) ont de la famille plus ou moins proche vivant à Taïwan. De ce fait Pékin ne peut pas jouer sur un mépris des Taïwanais comme Moscou joue sur le mépris des Ukrainiens. Or, il est compliqué de faire tuer sans déshumaniser l’adversaire. De fait, mener une guerre à Taïwan serait perçu comme relancer la guerre civile et serait donc extrêmement impopulaire. Mais Pékin se confronte aux Taïwanais, à une partie du peuple chinois très majoritairement opposée au communisme et avec laquelle la réunification pacifique semble impensable tant les convictions politiques sont ancrées d’un côté comme de l’autre.
Pékin fait face à un casse-tête semblant insolvable et, pour garantir sa légitimité dans le long terme ainsi que pour s’affirmer sur la scène internationale, ne peut pas laisser tomber le rattachement de Taïwan. Un signe de faiblesse de la Chine communiste sur ce dossier pourrait mettre en péril sa souveraineté sur son sol en donnant espoir aux minorités indépendantistes comme au Tibet ou au Xinjiang (ou « Turkestan oriental »). La question est donc primordiale pour les deux camps, et aucun ne semble pouvoir en démordre. Cependant, au vu de la situation économique, politique et des relations populaires entre Taïwan et le continent, une invasion armée par Pékin semble très peu réaliste.
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