La Syrie ne fait plus les gros titres et pourtant des drames humains ont lieu chaque jour. Pourtant, il y a moins d’une semaine, des photos de syriens torturés par le gouvernement ont été révélées dans la presse et des articles ont alerté sur le retour du choléra et le mauvais traitement des malades contraints de boire une eau polluée. La Guerre s’est installée, elle fait désormais partie du paysage, de notre paysage, elle a été admise par la communauté internationale, et par les syriens, contre leur gré. C’est une guerre violente et quotidienne, une guerre qui paraît sans horizon de paix, sans espoirs de retour à un ordre normal. Une Guerre oubliée, une guerre de plus de dix longues années.
Chaque jour, les bombes tombent du ciel, les bâtiments explosent, et les débris s’accumulent dans des rues désertes. Chaque jour des dizaines de personnes se font torturer, tuer, assassiner. Chaque jour les familles se déchirent, se séparent, se décomposent, les uns s’enrôlent dans Daesh, les autres fuient ce pays qu’ils ne reconnaissent plus. L'enfer semble avoir pris possession de tout l’espace. Les hurlements de douleur et les bruits de coup de feu ont remplacé les éclats de rires des enfants et les cris contestataires mais enthousiastes des milliers de manifestants lors des printemps arabes, il y a onze ans.
Tout a ainsi commencé le 15 mars 2011, lorsque les syriens, dans un élan général d’espoir qui traverse le moyen-orient, descendent dans la rue pour protester. Comme leurs voisins tunisiens, égyptiens, yéménites et libyens, ils veulent croire en la construction d’un monde plus ouvert, où les libertés sont respectées et où les gouvernements ne sont pas corrompus. Ils se soulèvent contre l’oppression de ces régimes monarchiques sévères, rigides, et dépassés, les institutions fragilisées et le chômage plus élevé que jamais. Pacifiquement, ils se rassemblent autour d’un idéal commun, une révolution pour la liberté.
"Mais en Syrie, la réponse du gouvernement est extrêmement violente et la désillusion rapide."
Les deux collégiens auteurs du graffiti provocateur sur lequel l’on pouvait lire “dégage” sont capturés et torturés. L’armée est envoyée pour faire face aux manifestants. Eux qui usaient simplement de leur voix et de pancartes, eux qui souhaitaient se faire entendre et respecter dans un mouvement pacifique, se retrouvent au milieu de milliers de policiers qui n’hésitent pas à tirer. Rapidement, la violence se déchaîne, les cadavres s’accumulent. Des syriens jusqu’à présent fidèles au gouvernement refusent cette politique répressive cruelle et désertent l’armée. Ils participent alors à la création de divers groupes d’opposition armés contre le gouvernement : l’Armée Syrienne Libre, le Front Révolutionnaire Syrien, l’Armée Syrienne Libre du Front Islamique ou encore les Forces démocratiques Syriennes, composée de nombreux kurdes. L’ensemble de ces groupes disposent de leurs propres convictions religieuses, idéologiques, politiques, territoriales, leur technique de guerre divergent, ils sont plus ou moins modérés, mais ils s’attaquent à un ennemi commun, Bachar-Al Assad. Ce président autoritaire, qui a succédé à son père à la tête du pays en 2000, alors qu’il n’avait que 34 ans, use démesurément de la force depuis onze ans pour tenter de se maintenir au pouvoir.
Les combats se multiplient, les fronts s’ouvrent sur l’ensemble du pays, dans les campagnes comme dans les villes, et les hommes, d’anciens agriculteurs, avocats ou instituteurs, prennent les armes pour participer à cette “révolution”. Ils s’engagent, ils se sacrifient au nom de cette foi dans la liberté. Le quotidien des syriens est désormais marqué par des exécutions arbitraires,
des déplacements forcés, des viols, des actes de tortures. Les droits de l’homme sont bafoués, oubliés, et les crimes de guerres et contre l’humanité s'enchaînent. En 2013, Bachar Al-Assad n’hésite pas à bombarder les civils avec des gazs chimiques, dans la région de Ghouta. Et puis, en 2014, Daesh s’installe à l’Est de la Syrie, l’organisation terroriste profite du contexte d’instabilité pour conquérir des territoires et proclamer le rétablissement du califat. Le bilan humain s’alourdit alors, les terroristes n’hésitant pas à enrôler des enfants dans leur armée, à capturer des pères de famille, et à torturer quiconque se dresserait sur leur chemin.
Cette Guerre civile, devenue confessionnelle, s’internationalise. De nombreux Etats profitent de ce nouveau théâtre militaire pour prouver leur puissance, pour s’imposer sur la scène internationale. Les Etats-Unis, les pays d’Europe et les Etats Arabes, s'engagent contre l’Etat Islamique et luttent contre le terrorisme. La Russie et l’Iran, deux grandes puissances peu appréciées des occidentaux, soutiennent a contrario le gouvernement de Bachar, et deviennent des acteurs stratégiques en fournissant des armes, des soldats et des fonds financiers. Pourtant, si tous les médias parlent à l’époque de la Syrie, la communauté internationale ne réussit pas à faire cesser un drame humanitaire qui s’empire chaque jour.
Le cauchemar ne s’arrête pas seulement aux frontières du pays et les nombreux syriens qui décident de se lancer sur les routes de l’exil connaissent souvent de multiples tragédies. Près d’un quart de la population syrienne, soit plus de cinq millions d’habitants, a trouvé refuge dans les pays frontaliers, tels que le Liban et la Turquie. Les conditions de vie n’y sont guère meilleures qu’en Syrie, les camps de fortunes remplacent les immeubles en ruine, l’hygiène, l’éducation et les soins ne sont encore une fois pas disponibles. Le racisme s’installe et réduit grandement leurs perspectives d’avenir. Comment trouver un travail sans éducation et dans un pays qui considère que vous êtes le responsable de toutes les crises qu’il traverse ? Les plus déterminés tentent alors de rejoindre l’Europe. S’ils arrivent à réunir assez d’argent pour s’enfuir, ils peuvent payer un prix exorbitant à des passeurs, embarquer et s’entasser sur des bateaux gonflables. Les chances de survie lors de la traversée de la Méditerranée ne sont pas élevées, et de nombreux drames se produisent chaque année. Enfin, s’ils arrivent à accoster en vie, ils doivent encore patienter et espérer obtenir le statut de réfugiés qui leur est trop souvent refusé. Ils sont alors renvoyés dans leur pays, pays qui les musèlent, qui les persécutent, qui les dénigrent, après avoir passé plusieurs mois dans les camps-prisons des pays dit “développés”.
Ainsi, aujourd’hui, la guerre civile syrienne, corrélée à l’avènement de Daesh, aux vagues d’immigration et à la pandémie du Covid-19 qui a tout compliqué, a entraîné un bilan humain catastrophique. Les chiffres ne sont pas certains et les différentes organisations dressent des bilans approximatifs à cause du grand nombre de disparus, mais ce sont plus de 500 000 personnes qui auraient trouvé la mort dans ce violent conflit. De plus, sur les 22 millions de syriens, plus de dix millions souffrent d’une sévère malnutrition.
Pour autant, confinés chez eux, partis rejoindre des camps de fortune, ou vivant dans des squats au sein de pays “développés”, les syriens font preuve d’une grande humanité. Ils sont nombreux à croire encore au changement, à avoir de l’espoir dans cette révolution avortée, dans ce printemps arabe qui n’a pas réussi à s’implanter. Ils sont nombreux à espérer un nouveau printemps, à l’image des révoltes iraniennes, et un renouveau dans la société.
La Guerre en Syrie n’est pas une Guerre oubliée, la Guerre en Syrie est une révolution pour la conquête de droits et de libertés inaliénables que le gouvernement en place ne garantit pas. La Guerre en Syrie n’est pas finie, les revendications, les volontés de changements sont toujours là. Elles sont tapis dans le secret, elles s’organisent, elles veulent pouvoir crier, sans armes et triompher.
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