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Photo du rédacteurAlbert Controverses

« Nous sommes en guerre » ou le résidu rhétorique de l’échec de la démocratie Par Jules Bichet

La déclaration de guerre est ordinaire sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. De l’appel à la mobilisation générale durant la pandémie aux réflexions sur la mise en place d’une économie de guerre pour pallier la crise énergétique, la formule a fait florès et renaît désormais chaque année aux beaux jours… Nous sommes en guerre.


Depuis ces derniers mois, la rhétorique guerrière apparaît en effet comme un élément structurant de la communication de la majorité présidentielle : « Il faut une économie de guerre de l’eau » alerte le Ministre de l’Agriculture Marc Fresneau lors de son dernier déplacement en Bretagne ; Bruno Lemaire, quant à lui, déclare qu’il ne faut pas attendre d’amélioration sur le « front de l’inflation » d’ici 2030 ; enfin Gérald Darmanin dit mener une « guerre d’usure » contre la délinquance… ainsi de suite, chacun, le casque d’acier serré, le fusil à baïonnette en main, se pavane de faire feu contre un ennemi que l’on cherche encore. Les médias ne restent pas les bras croisés face à cette drôle de guerre. Les experts enchaînent les plateaux télé pour conseiller les téléspectateurs sur leur « effort de guerre du quotidien » tandis que les médias traditionnels s’inquiètent déjà des guerres climatiques à l’horizon : incendies, pollution, biodiversité, sécheresse.

Si le présent nous laisse entrevoir de pénibles décennies à l’horizon, d’aucun convient que ces guerres en sont la cause. On nous en rabâche l’existence mais elles ne parviennent pas à franchir l’épreuve du réel : ce sont des formules hélant à la mobilisation générale sans le hurlement des sirènes ; des mots imprégnés du parfum de l’offensive sans les effusions de sang ; c’est le lexique aux accents guerriers sans l’horreur des charniers ; l’angoisse des déclarations de guerre sans le fracas de la mitraille. De sorte que ce maniement rhétorique déformant la réalité de la guerre apparaisse quelque peu ridicule. Il l'est d’autant plus qu’il range sous la même dénomination l’effroyable guerre entre la Russie et l’Ukraine et les crises dont les conséquences sont aussi vigoureuses que notre impréparation.


Ce maniement rhétorique est d’autant plus ridicule qu’il range sous la même dénomination l’effroyable guerre entre la Russie et l’Ukraine et les crises dont les conséquences sont aussi vigoureuses que notre impréparation

Si l’ordre politique et socio-économique du pays menace bel et bien de céder, c’est davantage sous le poids des erreurs stratégiques accumulées par nos dirigeants, que celles de prétendues guerres que nous serions en train de mener. Cet usage intempestif de la déclaration de guerre porte un autre nom, celui d’incompétence. L’incompétence de se réfugier dans le domaine de l’idéologie plutôt que d’évaluer froidement la marche à suivre lors de la pandémie, aujourd’hui en matière énergétique, et demain pour répondre aux défis que pose le changement climatique. L’incompétence de préférer combattre un ennemi invisible plutôt que d’assumer la part de responsabilité qui les incombe dans le tourment de notre époque.

Le lexique de la guerre s’avère être une rhétorique sophistiquée qui jette un voile pudique sur les relations de cause à effet entre les décisions politiques et leurs conséquences. De cette manière, on ne s’attarde pas sur la manière dont on est arrivé à renoncer à soigner certains patients durant le plus fort de la pandémie ; à devoir faire face à de potentielles coupures d’électricité cet hiver ; et demain, à nous habituer à des contraintes inacceptables parce que nos dirigeants refusent de mener des politiques sérieuses en matière de transition écologique.

Pis encore, ces discours aux accents guerriers se révèlent être le résidu rhétorique d’un échec, celui de la démocratie. Ces déclarations montrent en effet que la démocratie ne parvient pas à instaurer un climat propice à des politiques pensées sur le long terme. Une fois ces éléments rhétoriques mis de côté, on prend en effet conscience qu’une partie des conséquences des crises auraient pu être atténuées, voire évitées par davantage de préparation. Ainsi, pourquoi attendre une pandémie pour évoquer les conditions de travail du personnel hospitalier au bord du gouffre depuis bien longtemps ? Comment se fait-il que la moitié du parc nucléaire français soit à l’arrêt indépendamment de la situation en Ukraine ? Pourquoi n’a-t-on pas de plans sur le long terme pour contrecarrer les conséquences de l’inflation et éviter les mesures d’urgences contre-productives ? Comment se fait-il que la production d’avion bombardier Canadair soit à l’arrêt depuis 2015 alors que nos massifs forestiers sont de plus en plus touchés par des incendies ?

Si le lexique de la guerre est le résidu rhétorique de décennies caractérisées par le manque d’anticipation de nos gouvernements, leurs conséquences sur notre quotidien et nos institutions en sont les sanctions. La multiplication des lois d’exception et l’explosion du coût de la vie sont en effet le lourd tribut que l’on doit pour avoir refusé de penser l’évolution de notre société sur le long terme, pour ne pas avoir gardé à l’esprit que des événements imprévus peuvent survenir, et pour n’avoir pas pris en considération l’hypothèse du pire. Nos gouvernements ont fait du manque d’anticipation, leur modus operandi privilégié. Ils ont négligé que les sentiers sillonnant les siècles ne sont pas de tout repos.


C’est pourquoi, il est désormais nécessaire que l’anticipation précède chaque décision politique car lorsque le tragique ressurgit, justement, il n’est plus temps.

Par ailleurs, la prolifération de ces discours aux accents guerriers atteste que la déformation de la réalité par la communication politique est électoralement plus favorable que d’affronter les crises par les armes de la politique. On assiste en effet à un dysfonctionnement du processus démocratique par l’absence de sanction malgré les preuves flagrantes d’incompétence. Tout se passe comme si les déclarations de guerres successives l’emportaient sur la réalité, et que ce semblant de guerre nous aidait à en accepter les contraintes. Ainsi peu importe qu’Emmanuel Macron soit l’artisan du déclin du parc nucléaire français, fragilisant notre indépendance, ou qu’il soit responsable de la fermeture de plusieurs milliers de lits d’hôpitaux rendant les vagues épidémiques plus rudes encore. Il détient par sa rhétorique une immunité le ménageant d’être à la hauteur des enjeux. Quant à la question de l’écologie, derrière les envolées lyriques et les discours bien ficelés, son action ne semble pas lui permettre de survivre à l’épreuve du temps… À moins qu’à nouveau, les mots triomphent du réel aux dépens de notre avenir.



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