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Photo du rédacteurAlbert Controverses

DOSSIER : le sport, une nouvelle forme de religion ?

Dernière mise à jour : 25 mars 2020

Le sport comme nouvel opium du peuple ? Issue de l’expression fameuse de Karl Marx, cette vision du sport comme moyen de contrôle social implicite, semble s’être imposée depuis la déchristianisation de la société française. Nouveau vecteur de valeurs morales jugées transcendantes dans une société profane, il cristallise les attentions et les passions du plus grand nombre (ce « peuple »). Il participe également à ce que Guy Debord considérait comme la « société du spectacle ». L’irruption des médias de masse a contribué à une médiatisation croissante des rencontres sportives. Les théâtralisant, et leur conférant un statut de vitrine idéalisée de la société dans laquelle passion et violence seraient légitimement manifestées. Cette possibilité d’extériorisation légitime de la violence contribuerait à détourner la résistance des individus à l’oppression et à l’injustice. Les individus seraient alors absorbés par la contemplation de spectacles sportifs ; l’opinion publique, devenue placide, délaisserait la contestation comme moyen politique d’action. Le sport serait ainsi ce nouvel « opium » permettant la vitalité et la reproduction d’un système politique établi sans que les individus ne soient pour autant conscients du rôle déterminant des spectacles sportifs dans ce confortement.


Cette vision du sport n’est cependant pas concluante. Si le sport permet bel et bien d’extérioriser légitimement un certain degré de violence chez les sportifs(quine s’exprime pas seulement dans les contacts physiques mais surtout dans l’exercice compétitif contre autrui) et de passion chez les supporters. Cette conception nie cependant la capacité du sport à cristalliser les contestations pour ensuite les concrétiser dans la sphère politique. « l’équipe » est un moyen efficace de rassembler et de créer des liens de solidarité entre individus pour ensuite constituer des réseaux plus ou moins violents et rétifs vis-à-vis de l’autorité publique. Ce phénomène est notamment visible dans les banlieues qui ont subi un défaut d’intégration sociale. Aussi, n’est-il pas ridicule de considérer la violence comme un certain quota hebdomadaire ou mensuel que les rencontres sportives viendraient diluer ? Les manifestations des Gilets jaunes sont en cela un contre- exemple intéressant : comment expliquer ce rejet du système politique actuel ? Il ne semble pourtant pas qu’il y ait eu une pénurie soudaine de représentation sportive en France...


L’idée cependant, plus intéressante, qui se détache de cette analyse, est la considération selon laquelle le sport aurait supplanté la religion dans sa fonction essentielle de contrôle social. Cela revient donc à dire que le « sport » (sans qu’il n’ait de définition restrictive) serait parvenu à constituer un socle de valeurs transcendantes suffisamment solide pour pouvoir palier l’affaiblissement des valeurs chrétiennes au sein de la société française. Valeurs religieuses qui constituaient l’essence de la cohésion sociale jusqu’à la fin du XIXème siècle. Dit de manière volontairement provocatrice, le sport serait ainsi la nouvelle religion laïque de la société française.


En cela, le sport conforterait le système politique actuel, non pas tant par l’extériorisation légitime de passions partisanes qu’il permettrait, que par les va- leurs morales qu’il transmettrait à la société. En effet, le sport contemporain, fort de ses valeurs individualisantes dans lesquelles l’exploit individuel prime l’effort collectif, peut être vu comme un moyen de conforter le système néolibéral actuel. Logique de marché et logique sportive se rejoindraient en considération des valeurs communes qu’ils partagent. L’adversité dans la compétition, la recherche de la performance ou encore la croyance en la responsabilité individuelle vis-à-vis de la réussite professionnelle ou sportive (« si on veut on peut ») en sont des exemples. Néanmoins, est-il réellement pertinent de considérer que le sport a succédé à la religion dans son rôle politique et moral ? Et, le cas échéant, le sport parvient-il efficacement à assurer ce rôle fondamental de garant de la cohésion sociale ?


Subsiste une première différence fondamentale qui tient à ce que l’« opium » n’a pas la même teneur pour le sport et la religion. Si l’opium religieux inhibe les réactions violentes des individus (notamment dans la crainte de l’enfer), l’opium sportif quant à lui exorcise les passions sans pour autant véritablement encadrer leur manifestation par un cor- pus moral spécifique. En outre, le sport ne peut prétendre à la portée et au degré de cohésion que détenaient la religion auparavant. Face à une religion quasiment unique, un culte homo- gène partagé indifféremment par la plupart de la population et une prétention à l’universalité, on oppose aisément des pratiques hétérogènes exercées par une partie seulement de la population, par- fois exclusives en renforçant la segmentation sociale de la société. Surtout les valeurs professées sont diamétralement différentes : d’une affirmation (officielle...) des valeurs transcendantes de charité, d’altruisme et d’entraide, le sport contemporain encense individualité, talent et performance. D’une logique communautaire (tombant parfois dans le communautarisme) on passe à une logique plutôt individualiste. En ce sens, le sport ne peut pleinement assurer le rôle précédemment détenu par la religion.


Malgré les imperfections de cette comparaison, cette mise en perspective est intéressante en ce qu’elle nous invite à regarder différemment les ressorts de la cohésion sociale dans notre société française irréligieuse (ou qui se présente comme telle...). Elle relance aussi la question du rapport entre cohésion sociale et transcendance de valeurs, si ce rapport est positif et si le sport peut en assurer le rôle.


Par Hugo Porquet


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