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Photo du rédacteurAlbert Controverses

DOSSIER : Le sport à l’épreuve des commotion cérébrales

Dernière mise à jour : 25 mars 2020

formalité de passage ou chemin vers une lente mort cérébrale ?


Il s’agissait pourtant d’une simple rencontre de rugby, un match du championnat de France espoir opposant Bordeaux-Bègles au Stade Français. Le 13 décembre dernier, Nicolas Chauvin, 19 ans, jeune espoir du rugby français, perdait la vie des suites d’un choc violent reçu sur le terrain. Rien du massage cardiaque réalisé par l’arbitre de la rencontre, ni de sa prise en charge au service de réanimation du CHU de Bordeaux n’a permis de sortir le jeune homme de son état d’inconscience. Le double plaquage reçu par le parisien a « occasionné un arrêt cardiaque et une anoxie cérébrale », communiquait le club suite à cet accident tragique. La problématique déjà présente devenait alors lancinante ; le rugby acceptera-t-il encore longtemps des chocs toujours plus violents et dangereux pour ses joueurs ?



Qualifié pendant un temps de « sport d’évitement », le rugby est aujourd’hui devenu un « sport d’affrontement ». Professionnalisation au milieu des années 90, musculation à plein régime et perpétuelle recherche de la confrontation, les chocs ne sont plus une éventualité, ils sont une réalité pour les joueurs qui en subissent de nouveaux et de plus brutaux à chaque rencontre. En 20 ans, le poids moyen d’un rugbyman a augmenté de 12 kg. De plus, les entrainements s’intensifiant, la vitesse de pointe des joueurs elle aussi se fait plus impressionnante. Il est fréquent de voir sur les terrains de rugby un joueur d’une centaine de kilos, quelque soit son poste, lancé à pleine vitesse le ballon en main, contre son adversaire qui l’attend presque arrêté. « Ohuuuu ! » clament les supporters en furie lorsque le monstre, redoutable, envoie valser son vis-à-vis. Derrière ces impacts spectaculaires se cachent souvent des réalités bien moins réjouissantes. Lors de l’année 2016-2017, 103 commotions cérébrales ont été diagnostiqué par les médecins suite à des chocs reçus sur les pelouses de top 14. Mais, qu’est-ce qu’une commotion cérébrale ? Une commotion cérébrale ou traumatisme crânien léger est une lésion ou un hématome cérébrale qui résulte d’un choc violent, reçu le plus souvent, mais pas uniquement, au niveau de la tête. Elle peut provoquer à court terme et dans les cas les moins graves, des maux de tête, vertiges ou vomissements. Mais si elles se répètent, qu’elles ont mal été traitées ou s’avèrent être plus importantes encore, les commotions cérébrales peuvent déclencher chez les personnes qui en sont victimes des maladies beaucoup plus graves, et parfois même, la mort. Avec le vieillissement du cerveau, on note que de nombreux joueurs de rugby se trouvent victimes, vers l’âge de 50-60 ans, parfois plus jeunes, de maladies de Parkinson, Alzheimer ou d’encéphalopathie (dysfonctionnement cérébral). C’est un phénomène qui fait de plus en plus parler de lui dans le rugby professionnel, mais pour autant, les clubs amateurs ne sont pas épargnés. Chocs violents, chocs frontaux, chocs à répétition, eux aussi les subissent, mais les dispositifs mis en place pour les traiter sont presque nuls. En effet, il est rare de trouver rien qu’un médecin sur les terrains régionaux, de fédérale 2 ou 3, ou même chez les jeunes. Difficile de traiter alors ces blessures invisibles qui sévissent chaque week-end, tandis que les joueurs assommés et ensanglantés, repartent de plus bel sur le terrain, vacillant. D’autant plus qu’il a fallu attendre l’année 2012 pour que le protocole HIA (Head Injury Assessment ou Evaluation d’Impact à la Tête) soit instauré et appliqué sur les pelouses de top 14. Il s’agit d’un contrôle qui visent à pré-diagnostiquer chez les joueurs atteints de chocs violents, l’éventuelle présence d’une commotion cérébrale à l’aide de tests pratiques (donner des informations de base sur la situation en cours, retenir des mots, des chiffres et les répéter, marcher droit sur une bande fixée au sol…). À l’issue de cet examen d’une quinzaine de minutes, le médecin peut juger si le rugbyman est apte à retourner sur la pelouse. Jamie Cudmore, joueur gallois et ancien 2e ligne aile de l’ASM Clermont-Auvergne, lors d’une finale de Coupe d’Europe contre Toulon, avait reçu tout d’abord un avis négatif du spécialiste qui lui faisait passer le test. Quelques minutes après, ce dernier revient vers lui pour lui demander s’il se sent prêt à remplacer un joueur blessé à son poste. Il s’agit d’une finale. Sans hésiter, le clermontois rechausse ses crampons. Plus tard dans la partie, il reçoit un nouveau choc violent, sans que le premier n’ait été traité. Des maux de tête lancinants, des vertiges et des pertes de mémoire de plus en plus fréquentes lui ont fait prendre conscience de la gravité de la situation. Il a depuis porté plainte contre son club ; il estime que ce dernier a volontairement mis en danger sa santé au profit de ces matchs de grande importance. Jamie Cudmore, comme bien d’autres joueurs de rugby de haut niveau, sont victimes de la négligence de leur staff face à ces commotions à répétition. Si les conférences, les mesures de sécurité et les pourparlers se multiplient au sein de la Ligue, des clubs et des comités au sujet de ce problème alarmant, il n’est pas rare de voir des figures éminentes du rugby minimiser la gravité de la situation. À ce propos, nous avons pu entendre Serge Simon, vice-président de la Fédération Française de Rugby, et pourtant médecin généraliste, parler d’ « urgence médiatique », plutôt que d’une « urgence terrain ». Si les hommes les plus influents de ce sport, les décideurs, jettent un voile sur la question ou l’élude sous prétexte de « buzz médiatique », les dangers croissants rencontrés dans ce sport ne seront jamais considérés comme il se doit. Les joueurs, les clubs et même les supporters ne seront pas sensibilisés et alertés suffisamment sur les graves répercussions et conséquences de ces traumatismes qui n’ont rien de simples risques. Pendant longtemps, et même encore aujourd’hui, le rugby était perçu comme un « sport d’homme », une espèce de modèle viril grotesque qui procurait aux hommes qui le pratiquait, le sentiment d’une masculinité affirmée et renouvelée. Entrer en confrontation, batailler dans les rucks, éteindre un joueur sur un plaquage, le laisser au sol sur un raffut, parfois même en venir aux mains… Autant d’actions censés qualifier un homme dans ce qu’il a de plus « mâle ». Alexis Palisson, une des nombreuses victimes de ces chocs reçus lors d’un match, témoigne naïvement dans ce sens « C’est un sport d’hommes, où il ne faut pas montrer qu’on a mal ». Un des fléaux du rugby est notamment d’avoir cultivé cet esprit et cette attitude virile, aujourd’hui ancrée dans les mentalités, et qui fait obstacle à la prise en charge et à la considération de cette brutalité qui donne souvent lieu à des commotions cérébrales à répétition. Ces dernières minent la santé des joueurs, et découragent les plus jeunes de pratiquer ce sport. Bien sûr, de plus en plus de moyens sont mobilisés et des précautions sont prises, mais elles sont toutefois encore insuffisantes compte tenu de la gravité de la situation. La quantité de commotions cérébrales diagnostiquées sur les terrains de top 14 baissent chaque année mais de trop nombreux joueurs en sont encore victimes aujourd’hui, et pour eux, et ceux qui les ont précédés, les conséquences sont bien souvent graves et durables, voire irréversibles.



Il va de soi que le rugby n’est pas le seul sport où les commotions cérébrales sont recensées en nombre. Sans grande surprise, on retrouve parmi eux le football américain, ou encore la boxe, le hockey sur glace, mais aussi les arts martiaux. Pour information, la NFL (National Football League) a diagnostiqué 87% d’anciens joueurs de haut niveau victimes de commotions cérébrales importantes. De plus, les laboratoires ont analysé le cerveau de plusieurs joueurs décédés, ayant joué dans ce championnat, tous étaient atteints de troubles, modérés (moins de 25%) ou sévères (plus de 75%). À savoir que cette forme modérée de la pathologie n’est rien de moins que de la dépression, des problèmes de concentration, ou même de la démence. Parmi les cerveaux analysés des joueurs décédés, plusieurs d’entre eux avaient eu recours au suicide. C’est en quelque sorte ce qui a alerté les médias et les scientifiques. Pendant longtemps, la NFL a cherché a dissimulé ce mal inquiétant qui sévissait sur tous les terrains du championnat. Ce dernier est de loin le plus populaire aux Etats-Unis, et chaque match représente des millions de spectateurs dans le stade ou devant sa télé. Chaque année, la Ligue perçoit un montant supérieur à 13 milliards de dollars grâce à lui. Porter à la lumière des découvertes médicales si inquiétantes risquaient de provoquer la fuite des licenciés, la protestation de joueurs et de leur famille, pour à terme aboutir à des mesures préventives et de sécurité qui paralyseraient le spectacle des collisions sensationnelles et brutales, décevant quelques milliers de spectateurs. Pourtant, contrainte par tant de preuves accablantes et quelques milliers de plaintes, la NFL, en plus de devoir payer des indemnités aux joueurs et familles de joueurs victimes, se voit obligée de durcir les mesures et les sanctions concernant ces chocs extrêmement violents et constants.



Peut-être que certains trouveront cela étonnant au premier abord, mais le football aussi compte un certain nombre de joueurs atteints de commotions cérébrales. Ces dernières sont occasionnées, non pas lors de collisions entre deux footballeurs, mais sur des tentatives de but ou de dégagement du ballon avec la tête. En effet, un balle flottante atteint une vitesse proche de 80 km/h sur une passe au pied ou un tir, avant d’entrer en contact avec la tête du joueur qui cherche à la disputer. Ces microchocs répétés ne sont pas considérés comme un danger car ils font partis du jeu, pourtant, il n’est pas rare de les voir se transformer en commotion cérébrale. Alors, les conséquences sont les mêmes qu’en rugby, à la boxe, ou même au football américain. Ainsi, on a pu voir de nombreux joueurs atteints de sclérose latérale amytrophique, plus connue sous le nom de maladie de Charcot, qui ne connaît aucun traitement et mène à terme à une paralysie presque complète. Se mouvoir devient alors impossible, et même articuler quelques mots est un défi. Plusieurs joueurs sont morts prématurément de cette maladie et de ses chocs à répétition qui endommagent grièvement le cerveau. Stefano Borgonovo, figure emblématique du football italien des années 80, a été touché par cette maladie. Alors qu’il est entrainait depuis seulement 5 ans, après avoir mis un terme à sa carrière de joueur, les médecins lui ont détecté une sclérose latérale amytrophique. Il est alors contraint de démissionner de son poste. Peu à peu, son état de santé se dégrade, avant de devenir totalement handicapé. Il décède en 2013, à l’âge de 49 ans, après avoir lutté 8 ans contre la maladie, incurable.



Se pose-t-on encore la question, de savoir si les quelques impacts reçus à la tête lors d’un match constituent un danger ? Maux de tête, étourdissements, confusion, sentiment d’être au ralenti ou dans le brouillard, sensibilité aux bruits ou aux sons, irritabilité, sautes d’humeur, anxiété, fatigue, trouble du sommeil, trouble de la mémoire, trouble de l’attention, trouble de l’organisation… ce sont autant de conséquences désastreuses qu’engendrent les perturbations du fonctionnement cérébral causées par l’accumulation de commotions. D’autre part, elles sont responsables de graves maladies telles qu’Alzheimer, Parkinson ou la maladie de Charcot, comme nous l’avons vu. Face à cette situation, le suicide devient parfois envisageable pour ces anciens joueurs, trop lourdement atteints, devenus handicapés ou dépressifs. Certains d’entre eux sont incapables de se mouvoir, et ont besoin d’être constamment assisté, certains ne peuvent plus même s’exprimer. Pour eux, la vie s’est doucement essoufflée depuis les chocs qu’ils ont essuyés pendant leur carrière ; une carrière pourtant plus courte que la vie paralysée qu’ils doivent maintenant mener.



Par Marine Chauvet


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