Réponse à l'article "Le nucléaire, une fierté française" de Eva Janus publié dans le numéro sur l'environnement
Dans le dernier numéro de Controverses est paru un article intitulé « le nucléaire, une fierté française », faisant état du penchant de la France pour le nucléaire et de la nécessité d’en finir. Il m’a paru alors utile d’apporter quelques clarifications.
Lorsque l’on évoque l’énergie nucléaire, on parle bien évidemment de son utilité : produire de l’énergie de manière stable, et sans émission de CO2. Néanmoins ce sont surtout les problèmes du nucléaire qui font bonne presse. Quels sont-ils ? Principalement sa dangerosité, et sa production de déchets. Deux problèmes qui font du nucléaire une énergie malaimée.
Si nous choisissons d’arrêter le nucléaire et de passer au 100% renouvelable, comme le préconisais l’article, il nous faudra alors savoir si c’est réellement possible, et si c’est souhaitable. Le cas allemand peut nous éclairer à ce sujet. En 2000, l’Allemagne a fait le choix de sortir du nucléaire, avant de revenir temporairement sur son choix en 2010 puisque le nucléaire est nécessaire à sa transition énergétique. Le problème est alors que le renouvelable produit aléatoirement, de manière non constante, et la plupart du temps très faiblement. La production n’est pas accordée à la demande d’énergie. Faute de moyens efficaces et suffisants pour stocker l’énergie, lorsque le parc renouvelable produit, il y a trop d’électricité, et l’Allemagne est alors contrainte de vendre l’électricité à prix négatif, c’est-à-dire de payer les pays voisins pour qu’ils récupèrent son électricité. A l’inverse, elle doit acheter à prix fort l’électricité lorsque son parc renouvelable n’est pas suffisant, et surtout utiliser des centrales à charbon pour compenser.
Deux conséquences donc du changement de modèle allemands : une augmentation considérable des prix, et un troc du nucléaire pour le charbon. Le prix de l’électricité est en effet passé de 15c/KWh à 25. Il est resté autour de 15 en France. La consommation moyenne en 2018 pour un foyer français est d’environ (grossièrement, histoire d’avoir un ordre de grandeur) 4 770 kWh, on passerait alors d’une facture de 715,5 euros par an à 1192,5 en cas d’abandon du nucléaire (dans l’hypothèse où les prix n’augmenteraient pas encore plus qu’en Allemagne, ce qui est peu probable considérant la proportion du nucléaire français). Le principal problème du charbon est l’émission de CO2 (nous évoquerons plus tard le problème des émissions de particules fines).
Les déchets nucléaires sont-ils pires que le CO2 ? Quels sont les déchets nucléaires en vérité ? On les classe en fonction de leur radioactivité, et de la durée de vie de leur émission. Certains sont particulièrement dangereux, comme les déchets à Haute Activité. Ceux-ci ne représentent que 0,2% du volume des déchets nucléaires, pour 96% de l’activité radioactive. Ils sont vitrifiés (intégrés à faible dose dans du verre, ce qui permet de les piéger et de les empêcher de sortir, pour une durée de rétention d’au moins 10000 ans), puis placés dans des contenants en acier, avant d’être enfouis. Pas seulement enterrées comme a tendance à l’envisager l’imaginaire collectif, mais à 500 mètres de profondeurs, dans des espaces imperméables. Une grande partie des déchets nucléaires sont en fait des objets utilisés dans les centrales, peu irradiés, et pour peu de temps. Tout cela sans compter que de nombreux déchets formés dans le réacteur sont revalorisables par la suite pour être réutilisés comme combustibles. Ainsi, le combustible MOX* est un combustible nucléaire constitué d’environ 8,5% de plutonium et 91,5% d’uranium appauvri. Il est cependant indispensable de noter que ce combustible est plus radioactif et instable que les combustibles habituels, il peut donc présenter davantage de risques pour l’environnement sur des transports en mer notamment. Ce genre de transport reste exceptionnel et, de mon point de vue, relativement absurde.
Les déchets nucléaires me semblent alors préférables au CO2. Les déchets nucléaires sont enfouis de manière totalement sécurisée, en quantité raisonnable, et ne menacent en rien l’avenir immédiat de l’humanité. C’est une problématique de très long terme, s’étendant sur des centaines d’années. Or le CO2, et les autres gaz à effet de serre, menacent notre survie maintenant, aujourd’hui. Non seulement ils menacent notre survie, mais ils sont aussi en partie responsables de la 6ème extinction de masse dans l’Histoire de la planète, celle qui est actuellement en cours.
Pour ce qui est de la dangerosité du nucléaire, on nous parle souvent de risque immense sans vraiment avancer de chiffres précis. Quel est-il ce risque ? Pour évaluer ce risque, il convient d’évaluer le nombre de morts liés au nucléaire. En termes de nombre de morts, le débat fait rage. Il est en effet très difficile de mesurer précisément l’impact d’évènements comme l’incident de Tchernobyl. L’UNSCEAR (le conseil international de sécurité nucléaire) affirme qu’on ne peut pas mesurer cela du tout, et se cantonne donc aux 134 morts des travailleurs sur place.
Il est évident qu’on ne peut prendre au sérieux de tels chiffres, ridiculement petits. On peut cependant mettre en place une fourchette à partir de l’ensemble des chiffres. L’OMS avance un total de 3000 morts, et Greenpeace 90000. L’ONU retenait de même une fourchette entre 4000 et 93000, chiffres qui me semblent davantage plausibles. Pour ce qui est de l’accident de Fukushima, le bilan est beaucoup plus réduit, grâce à la réaction rapide du gouvernement japonais, qui a évacué en masse les habitants des zones contaminées et fait en sorte que les employés de la centrale su- bissent un niveau de radiation acceptable (je précise que la radiation est présente partout et qu’elle n’est donc dangereuse qu’à partir d’un certain point). Ainsi, parmi les travailleurs, un mort et cinq malades ont été associés aux rayonnements, 10 morts ne sont pas associées aux rayonnements et 16 blessés en raison des explosions, selon les données officielles (japonaises). Qu’en est-il de la population ? L’accident a eu deux conséquences : l’exposition à des radionucléides émis par la centrale, et l’évacuation des zones les plus touchées, qui a pu indirectement entraîner des décès. Sur le volet sanitaire, et l’éventuelle exposition des populations, les autorités japonaises effectuent un suivi de la population de Fukushima au travers de plusieurs enquêtes sur la santé de la population, sa santé mentale, la santé des femmes enceintes et enfin le suivi de la thyroïde, l’accident de Tchernobyl ayant démontré que cet organe était particulièrement à risque en cas d’exposition à des composés iodés radioactif.« Dans la population générale, il n’y a pas de décès attribué à l’exposition aux rayonnements ionisants » explique Dominique Laurier, chef du service de recherche sur les effets biologiques et sanitaires des rayonnements ionisants de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Si aucun décès n’est à déplorer, qu’en est-il des cancers de la thyroïde ? Une enquête a été lancée dès 2011, visant une population de 360 000 résidents âgés de 0 à 18 ans. Selon les derniers résultats publiés par les autorités en avril 2019, le nombre de cancers suspectés est de 212. Sur les trois premières années, un article de recherche estime à environ 1600 le nombre de décès attribuables à l’évacuation. En 2018, la chercheuse Cécile Asanuma-Brice parle de 2 211 le nombre de décès « en raison de la mauvaise gestion du refuge ».
Considérant que les morts liés aux incidents mineurs du nucléaire (Three Mile Island) n’ont a priori pas causés de morts, on se rend compte que la totalité des morts liés au nucléaire reste en dessous des autres types d’énergies (le gaz et la biomasse notamment), mais surtout en dessous du charbon (environ 20000 morts par an dans l’UE à cause des particules fines, 400000 morts en Chine, ainsi que 2000 morts dans les mines). La dangerosité du nucléaire est donc à relativiser.
En conclusion, l’énergie nucléaire est, malgré ses nombreux défauts, la seule alternative viable sur le court à moyen terme, c’est-à-dire au moment où nous avons véritablement besoin d’une énergie propre (je ne suis pas convaincu qu’il y ait seulement un long terme si nous continuons dans cette voie). Il est en effet strictement impossible de faire une transition rapide, et en se passant intégralement du nucléaire. Le charbon devient nécessaire pour effectuer une transition, comme on le voit avec le cas allemand. Or le charbon semble pire que le nucléaire.C’est fuir Scylla pour se jeter directement dans la gueule de Charybde. Il est nécessaire de garder une énergie propre et relativement neutre en émissions de carbone dans notre situation actuelle. Une transition ne permet pas de remplir ce critère, qui me semble indispensable, à moins de prendre des dizaines d’années pour la faire, ce qui ne change- rait en rien la situation actuelle. La transition énergétique reste nécessaire, mais vouloir se passer du nucléaire est aussi illusoire que contre-productif climatiquement parlant. La fusion nucléaire (actuellement à l’Etat de prototype) pourrait permettre d’apporter une énergie aussi importante que le nucléaire, mais sans la dangerosité et en utilisant des isotopes de l’Hydrogène en lieu et place d’uranium. Pas de radioactivité, donc pas de déchets. Une alternative souhaitable qui arrivera malheureusement trop tard : pas avant la fin du siècle.
Par Mattéo Khoudair
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