Le covid-19 va-t-il porter le coup de grâce au système capitaliste ? Quelles seront les atteintes portées à notre organisation économique ? Quels changements structurels prendront forme ? Peut-on espérer une fin du capitalisme, système décrié depuis de nombreuses décennies ? Toutes ces interrogations se multiplient sans qu’aucune réponse ne puisse réellement se dessiner.
Le capitalisme est un système économique dans lequel les moyens de production n’appartiennent pas à ceux qui les utilisent. Ce système a permis l’enrichissement et l’amélioration de nos modes de vie, de par une recherche constante de croissance. Les origines du capitalisme sont difficiles à déterminer, mais il s’est généralisé avec l’effondrement du bloc soviétique. Dans la théorie marxiste, le capitalisme a toujours été synonyme d’exploitation. Cette tendance s’est confirmée par l’application néolibéraliste des années 80.
Cette transformation a entraîné une réduction de la souveraineté nationale, une recherche de baisse des coûts - qui s’est notamment répercutée sur le coût du travail, sur l’accroissement des inégalités sociales ainsi que sur une transformation de l’homme en marchandise. Cette logique néolibérale a par ailleurs entraîné une dépendance vis-à-vis de certains pays. Parallèlement, l’exploitation de nos ressources à grande échelle a eu des répercussions écrasantes sur notre environnement. Dans un contexte d’urgence climatique, les transitions vers des modes de vie plus viables semblent plus que primordiales.
Pourtant grand vainqueur de la Guerre Froide, le capitalisme est aujourd’hui largement remis en question, notamment par la forme qu’il prend. Il a misé sur la globalisation, un rôle amoindri de l’Etat, une faible protection sociale et une pression fiscale accrue, au détriment de l’humain et de ses droits. Ainsi, le capitalisme néolibéral porte bon nombre de risques systémiques, qui s’accroissent avec la financiarisation. Cette dernière encourage la constitution de bulles spéculatives, corrélée à des phases de dépression, imposant des changements pervers aux structures existantes. Elle aurait ainsi augmenté la pression du marché sur les entreprises, ainsi que les inégalités. La financiarisation serait à l’origine de la crise des subprimes, paralysant le monde en 2008. Livré à lui-même et totalement libéralisé, le capitalisme moderne semble voué à l’échec.
Le libre échange et la division du travail à l’échelle internationale ont plus que démontré leurs limites. La crise du coronavirus n’a fait qu’amplifier les failles d’un système déjà fragile. Pour P. Artus, cette crise a montré la déficience des chaînes de valeur mondiales : “Quand la production s’arrête dans un pays, finalement c’est toute la chaîne de production qui finit par être stoppée”. Ainsi, ce phénomène a entraîné une pénurie de masques, d’autant plus grave que le gouvernement n’a pas su gérer ses stocks. La production de médicaments a elle aussi été stoppée. Des puissances mondiales, comme la France, se sont ainsi retrouvées paralysées de par leur dépendance à des puissances émergentes, vainqueurs de la crise de 2008.
La crise de 2008 avait par ailleurs porté fortement atteinte à notre système, sans véritablement l’abolir. Elle avait mis en lumière nombreux dysfonctionnements : le krach boursier états-unien a fini par affecter bon nombre de puissances économiques, interrogeant sur la mise en place d’un contrôle des flux financiers - comme ATTAC avait pu le préconiser. A la sortie de la crise des subprimes, aucun système capitaliste ne s’est réellement effondré, mais les Etats ont payé le prix fort de leur organisation économique, plus que bancale. Elle a aussi eu de nombreuses répercussions sur un Etat-providence toujours plus fragilisé. Le capitalisme s’est ainsi heurté à ses propres limites, sans que la crise n’ait eu la peau du système. Le durcissement des politiques libérales après la crise n’a fait que renforcer les contradictions internes du système. 2008 n’a que renforcé les tendances néolibérales, sans qu’aucun enseignement n’en soit réellement tiré.
La crise liée au coronavirus soulève de nouvelles interrogations quant à la durabilité d'un tel système. En effet, il semble que le capitalisme n’ait fait qu’accroître les conséquences de cette pandémie.
Les trois premiers cas français ont été recensés le 24 janvier, et l’épidémie s’est depuis rapidement accélérée, entraînant des mesures drastiques et un confinement national. Aujourd’hui, ce sont plus de 3 milliards de personnes qui sont confinées à l’échelle mondiale, soit presque la moitié de la population.
Les répercussions sont considérables sur notre système économique : La Banque de France prévoit que le PIB chute d’au moins 8%. Par ailleurs, la France est déjà entrée en récession, la plus importante depuis la Seconde Guerre Mondiale. La dette publique française devrait représenter 115% du PIB, de par le rôle d’amortisseur que l’Etat tente de mener jusque là.
Cette crise soulève de nombreuses interpellations, déjà d’actualité avant l’expansion du covid-19. Il semblerait que depuis de nombreuses décennies, les Etats capitalistes néo-libéraux aient délaissé le bien-être de leur population au profit d’un accroissement de leur richesse. Ce bien-être se mesure au travers du PIB et de sa croissance. Cet indicateur a pourtant plus d’une fois prouvé ses limites, comme ont pu le montrer divers mouvements, à l’instar des Gilets Jaunes fin 2018.
Les gouvernements actuels, dont le gouvernement français, n’ont pas, semble-t-il, mis en place les mesures nécessaires contre la pandémie, au détriment de la santé des populations. Encore aujourd’hui, les logiques économiques ont pris le pas : lorsque le gouvernement annonce le déconfinement le 11 mai et la reprise des écoles, il le fait dans une optique de reprise économique.
Le capitalisme a ainsi affiché ses nombreuses limites. Il détruit ce qui lui permet d’exister. Néanmoins, la théorie de l’effondrement du système est peut-être peu probable, de par la généralisation de ce modèle. Une autre alternative doit pourtant être trouvée, à l’échelle régionale voire internationale. Mais repenser le capitalisme n’équivaut pas seulement à repenser un système économique : il semble que le capitalisme ait finalement imprégné de nombreux versants de notre société, de par la constitution de systèmes juridiques et institutionnels. Repenser le capitalisme, c’est finalement reconstruire l’ensemble d’un modèle de société.
Comme expliqué auparavant, l’Etat néolibéral a été accaparé par les élites économiques et financières. Les problèmes sociaux et l’émergence de la question sociale semble être la conséquence de cette théorie de la main invisible, si chère aux néolibéraux. L’intervention de l’Etat et l’introduction de politiques sociales sont donc primordiales pour fonder un capitalisme dit social. Le capitalisme a introduit l’entreprise comme espace d’organisation du travail. Il semble aujourd’hui déterminant d’intégrer l’intérêt du travailleur dans ceux de la firme. L’entreprise ne s’est pas intégrée correctement au sein de la société, qu’elle prétend pourtant servir. Il semble donc élémentaire de placer l’homme au centre du système productif, afin de concilier le capitalisme avec une approche plus sociale. Pour Jean Dayre, il est essentiel “de définir des mécanismes originaux qui amèneront les intérêts de l’entreprise à coïncider avec ceux du consommateur.” Cet adage fonde l’esprit et la méthode du capitalisme dit social. L’entreprise a largement souffert, notamment par la concurrence économique actuelle, loin du modèle de la concurrence pure et parfaite. Or la société pâtit beaucoup des irrégularités de croissance ou encore de l’inflation. Il est donc majeur d’organiser les nouvelles logiques capitalistes autour de nos sociétés et de l’intérêt général, loin d’un raisonnement purement consumériste. Aujourd’hui pour Marcuse, l’Homme moderne ne serait résumé qu’à son versant consumériste.
L’introduction de logiques sociales pourrait se cristalliser au travers d’une planification souple ou indicative. Un dosage des pouvoirs pourrait se substituer à une autorité suprême et une verticalité des pouvoirs. Au delà du modèle de l’entreprise, le capitalisme social tente de s’équilibrer autour de normes et règles dominantes entre une société politique (l’Etat) et une société civile. Il permettrait de sauvegarder les petites et moyennes entreprises par l’avènement d’une entreprise à échelle humaine. Changeant de focale, cet ensemble théorique se fonderait autour d’une meilleure qualité des rapports sociaux au travail, avec l’instauration d’une entreprise de type douce, rompant avec la hiérarchie existante.
Au travers de divers moyens, le capitalisme social tenterait de pallier les nuisances de notre capitalisme moderne au travers de différents moyens : un service public indépendant et gratuit, fondé sur l’intérêt général et la valeur d’usage, l’augmentation du poids de l’économie sociale et solidaire ou encore la lutte contre l’exploitation, en faveur de l’avènement d’un travail digne. La favorisation des grandes puissances économiques se substituerait à la mise en place d’une autre fiscalité, par l’introduction d’un impôt sur la fortune. Cette redevance prendrait tout son sens, permettant le financement de nombreuses prestations sociales. Santé, éducation et infrastructures de première nécessité doivent être garanties par l’Etat. L’avenir devra par la suite être négocié avec les citoyens en renforçant les dispositifs de démocratie participative, autour de la figure citoyenne.
Parallèlement, dans un futur proche, il semblerait important d’effectuer une déglobalisation de la production afin de la relocaliser à l’échelle continentale voire nationale. Une indemnisation correcte du chômage, ainsi qu’une revalorisation de certains emplois essentiels pourraient être aussi mises en place. Il est important d’agencer une plus juste répartition des valeurs. Le gouvernement a déjà ouvert un plan d’urgence, avec le déblocage de 110 milliards d’euros, mais ces mesures restent à renforcer. Cette crise permet peut-être enfin une prise de conscience de la nécessité d’amélioration qualitative de nos sociétés.
Enfin, la mise en place d’un Etat plus juste ne pourra pas se faire sans la prise en considération de l’état d’urgence climatique dans lequel se trouve notre planète. La crise écologique dresse un problème matériel à l’expansion capitaliste : les fortes productions, inhérentes au consumérisme, n’ont fait qu’épuiser nos ressources naturelles. Pour Naomi Klein, le capitalisme occidental est en guerre contre la vie sur Terre.
Une question reste en suspens : peut-on réellement œuvrer en vue d’un capitalisme vert ? Y- a-t-il une compatibilité entre logique économique et écologie ? Le développement durable, notion introduite par le rapport de Bundtlard en 1987, tend à prendre tout son sens au vu de la situation actuelle. Pourtant, les pays développés et/ou émergents ont largement échoué à mettre en place les réformes indispensables pour assurer la viabilité de nos sociétés. Il est pourtant inévitable d’obtempérer en vue d’une rupture avec le consumérisme en mettant en place une autolimitation de nos consommations.
L’économie de marché a tout de même permis, dans une moindre mesure, la protection de nos actifs naturels : leur monétisation a introduit leur mise en propriété privée. Aristote l’explique : “l’Homme prend le plus grand soin de ce qui lui est propre, il a tendance à négliger ce qui est commun.” Ainsi, capitalisme et propriété privée ne seraient pas totalement antagonistes à la préservation de l’environnement. Le développement économique affecte largement nos écosystèmes. La recherche perpétuelle et absolue de croissance épuise nos ressources, et comme nous le rappelle cette fameuse chanson “PIB, PIB tout le monde ne jure que par le PIB.”
Diverses solutions se dessinent au vu des enjeux soulevés. La première est la préconisation d’une soutenabilité faible : la croissance par le progrès technique et l’innovation qu’elle engendre, est la solution. Elle permettrait à terme de trouver des alternatives à nos modes de fonctionnement, et de nous adapter aux changements climatiques. Cette conception engendrerait une croissance verte et serait l’application politique du développement durable. Elle permettrait de promouvoir une croissance socialement inclusive et respectueuse de l’environnement. Mais le capitalisme entre en stagnation de par la limitation de nos actifs naturels. La croissance n’y est donc pas infinie alors que le capitalisme est, par définition, incompatible avec une fin de croissance.
Pour certains, l’alternative serait la décroissance. Pour eux, le capital naturel n’est pas substituable. La croissance ne serait donc pas, à terme, génératrice de bonheur. A. Barrau critique à cet égard vivement le gouffre entre les promesses faites et la réalité. Pour lui, il est inconcevable que l’avenir de l’humanité puisse être déterminé par le PIB et sa croissance. Le PIB est un indicateur “directement proportionnel au désastre écologique en cours”. Il conviendrait alors d’aborder autrement nos manières de mesurer le bien-être et par conséquent d’améliorer nos modes de vie. Les théoriciens de la décroissance, prônent le passage à une société anti-consumériste. Cette transition n’aboutirait pas systématiquement à un recul du PIB, mais conduirait à responsabiliser chaque individu pour l’inviter à s’interroger sur sa production et sa consommation en terme quantitatif, afin de réduire les nuisances liées au productivisme. Les théories de la décroissance sont toutefois limitées dans la mesure où elle entraînerait une augmentation de la misère à l’échelle planétaire. Ainsi, la décroissance favoriserait particulièrement les pays développés au détriment des pays émergents ou moins avancés. La frontière entre pays du Sud et pays du Nord pourrait alors réapparaitre. Cette théorie nécessite d’importants changements culturels ainsi qu’une grande solidarité nationale, difficiles à mettre en place.
Pour beaucoup le capitalisme semble incompatible avec la préservation de notre environnement. D’autres conceptions se développent à l’instar du socialisme vert ou de l’écosocialisme, théorisé par des personnalités telles que A. Gorz. Pour eux, les grandes politiques économiques et sociales pourraient converger vers une plus grande protection de nos ressources. Un capitalisme vert serait ainsi impossible : dans sa conception-même, le capitalisme nie toute conception écologique.
Finalement, le capitalisme social et écologique pourrait ne représenter qu’une voie de transition vers d’autres modèles plus viables. Capitalisme et socialisme représentent deux organisations de l’économie dérivées du même système, celui de la quantification de la valeur ajoutée. Le socialisme représenterait un sous-système correcteur du capitalisme tandis que le capitalisme social viserait un équilibre entre capitalisme et socialisme, tendant vers l’aboutissement complet de ce dernier.
Une troisième voie pourrait se dessiner : le distributivisme. Il s’agit d’un modèle économique entre capitalisme et socialisme étatique. Théorisé par Chesterton et Belloe, il prône une distribution de la propriété privée tout en critiquant la confiscation du pouvoir politique et économique par une minorité bureaucratique. De nombreuses voies de substitution s’offrent à nous où capitalisme social et écologique ne serait en finalité que des voies de transition.
Il apparaît toutefois nécessaire de déconstruire tous les cadres dans lesquels nous avons évolué ; en effet, ils sont les héritiers d’un mode de vie consumériste et capitalistique.
A l’heure actuelle, il s’avère primordial de régler la crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés. Confinement et solidarité nationale sont de rigueur. Mais cette crise a bien plus à nous apprendre. Elle est une prise de conscience, mais aussi une ouverture à la nouveauté. Il sera nécessaire, après l’orage - que dis-je : l’ouragan - d’évoluer vers un changement radical de nos modes de vie, trop imprégnés par un capitalisme consumériste. Des changements sont déjà à souligner : le confinement et la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre ont eu des impacts évidents sur l’atmosphère de nombreuses villes de Paris à New Delhi. Parallèlement, la France a su créer en quelques jours une filière de production locale de masques. Par ailleurs, face à la crise, certains s’impliquent, se coordonnent et font preuve de solidarité pour tenter d’enrayer l’épidémie. Cette solidarité se met d’ailleurs en place à plus grande échelle avec l’accueil de certains patients français en Allemagne ou dans d’autres pays européens frontaliers.
S’il est inéluctable qu’un changement doit être opéré, il est difficile aujourd’hui d’en apercevoir les contours. Néanmoins, la fin d’un capitalisme global ne doit pas marquer le déclin d’une solidarité internationale, au profit d’un repli sur soi. Un nouveau modèle doit être forgé à l’échelle universelle, plus juste, plus écologique. Cela ne pourra se faire qu’en renforçant les dispositifs de démocratie participative, annihilant la prépondérance d’un pouvoir politique jupitérien.
Faisons en sorte que le déconfinement soit l’occasion de modifier nos manières de vivre pour les rendre plus soucieuses de notre environnement, non celle de satisfaire l’impératif de nos envies de consommation trop longtemps contenues. Car, « Dans nos plus extrêmes démences, nous rêvons d’un équilibre que nous avons laissé derrière nous et dont nous croyons ingénument que nous allons le retrouver au bout de nos erreurs. » - L’exil d’Hélène : Albert Camus.
Par Elsa Saez
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