Charles Manson, Ted Bundy, Jack L’Eventreur, ou encore Hannibal Lecter, des noms qui ne nous sont pas inconnus et qui nous évoquent le crime, le frisson, la peur mais aussi, étonnement, une certaine fascination pour l’histoire de ces tueurs en série aux procédés plus que macabres. S’ils nous choquent, nous répugnent, ces tueurs en série nous intriguent tout autant. Je ne compte plus le nombre de dimanches pluvieux passés à regarder des reportages macabres sur ces meurtriers intrigants. Et, je suis persuadée que je ne suis pas la seule, que beaucoup d’entre nous sont tout autant inconsciemment attirés par la rubrique « faits divers » des journaux, ou par les émissions à l’image de « Crimes ».
Est-ce parce que plusieurs d’entre nous cachent un caractère compulsif malsain ? Ou est-ce parce que nous sommes tous collectivement plus névrosés que ce nous le pensions ?
Je pense qu’il n’en est en réalité rien de tout ça.
J’ai pu moi aussi me poser ces questions, pourquoi suis-je autant intéressée ? Qu’y a-t-il de si pertinent à écouter la vie de ces personnes qui ne méritent, à mes yeux, pas le moindre intérêt ? On s’interroge et on en viendrait même à remettre en cause notre propre stabilité psychologique ; blague à part, en y réfléchissant la question de la fascination que nous vouons à ces « serial killers » est réellement intéressante, et révèle un vrai comportement à la fois naturel et paradoxal de l’être humain.
Pour rien au monde on ne souhaiterait se retrouver face à un tueur en série et on ne cautionne encore moins leurs gestes, pourtant on reste attiré par ces personnages, en voulant toujours en savoir plus sur leur façon d’être, d’agir et de penser. Ma première « réaction » serait d’expliquer cela par l’incompréhension ressentie. En tant que grande lectrice de faits divers, et consommatrice de reportages rendant ces personnages tristement célèbres, je me demande toujours comment un être humain peut-il agir ainsi. Et par tous les moyens je vais tenter de comprendre l’incompréhensible, parce qu’en effet, on ne pourra jamais expliquer, ni comprendre ces actes inexplicables…
Devrions nous rejeter la faute sur ces mêmes émissions, qui en décortiquant tous les crimes, analysant les caractères complexes de ces coupables, les font passer pour des gens intelligents, brillants, rusés ?
Le côté sombre qui sommeille en nous :
Pour essayer de mieux comprendre cette fascination, il faut effectuer un grand retour en arrière. Si l’on remonte dans le temps, on peut constater que l’être humain a toujours été attiré par le morbide. La Guillotine frappait ; le peuple applaudissait. Les exemples sont multiples, si l’on remonte encore plus loin, les gladiateurs se battaient, et le peuple raffolait de ces « jeux » (« panem et circenses » : le cœur du peuple comme le disait Juvénal) pourtant à la fin il n’y avait qu’un seul survivant.
En bref, aussi stable que nous le soyons, nous avons tous hérité de ce goût du sang et du morbide qu’on retrouve dans de nombreux films et séries à l’instar de « Mindhunter », « Dans la tête des criminels » ou encore « Massacre à la tronçonneuse ». Et si ce même intérêt pour le macabre avait en réalité un impact dit « positif » sur notre vie en société ? Si on reprend notre précédent exemple sur les pendaisons publiques, on sait que cela servait de modèle. Exemple type : soyez une femme, battez-vous pour vos droits et, votre sort sera scellé sur la place publique. Montrer la violence, inciter le peuple à s’y approcher, est un moyen de dissuasion, un moyen de se conformer aux attentes et normes sociales. Même si notre société a heureusement largement évolué, le principe reste le même. Ces représentations présentent le modèle de « mauvaise humanité » qu’il faut éviter : en bref, ne soyez pas des tueurs en série.
Une protection sociale contre le mal :
La vision d’Aristote présente cette attraction comme un exutoire, un moyen de purger nos passions, regarder cette violence nous permet de ne pas en faire l’usage pour assouvir notre passion intérieure. Notre cher Durkheim va lui nous expliquer qu’une société plus juste serait une société qui en connaîtrait le plus sur le crime. Une idée que complète Freud avec le « surmoi » (en bref ce sont les règles intériorisées, les « tu ne dois pas »). En nous intéressant à la vie des tueurs en série on condamne inconsciemment (et consciemment pour les moins névrosés) ces comportements, donc on sait que ce n’est pas bien (très étonnant), et donc, notre petit duo Aristote/Freud se rejoint puisque selon ce dernier c’est aussi un moyen de nous protéger contre nos pulsions les plus extrêmes. Une éducation qui serait donc à la fois médiatique et collective ?
A ce ressort psychologique s’ajoute la mise en scène de notre inconscient : voir ces horreurs nous rassure, toujours inconsciemment, parce que notre première pensée et de se dire « que nous ne sommes pas comme lui ». Et pourtant, on aurait tous un côté sombre en nous. Selon le psychologue Hubert Van Gijseghemen, les meurtriers sont vus comme « l’incarnation du côté sombre de l’être humain qui sommeille chez chacun », et représentent les outres passations des normes sociales que nous observons au quotidien.
Le concept d’ambivalence affective peut aussi expliquer ce phénomène : on condamne le criminel, certes, mais on reste fasciné par cette attitude hors norme, qui sort totalement de notre quotidien. On ressent de la douleur, de l’empathie face à la douleur de l’autre mais pourtant, et c’est ici que réside tout le côté paradoxal de l’être humain, on va ressentir une dose de plaisir en le voyant souffrir. Non pas parce que nous sommes tous de vrais sadiques, mais parce que notre instinct de survie se manifeste : on ne souhaite pas ressentir cette douleur donc inconsciemment on préfère qu’elle se produise chez un autre.
On a pu constater au fil du temps une vraie médiatisation des tueurs en série, par la production d’œuvres cinématographiques, les reportages... Si ces personnalités complexes fascinent, la nouveauté vient du fait qu’elles commencent à être vues comme des héroïnes. Des héroïnes, certes négatives, mais supérieures au commun des mortels. Et toute cette instrumentalisation du macabre, cette curiosité qui caractérise l’être humain a bien été cernée par les nombreux producteurs. Et, les tueurs en série sont alors au cœur de beaucoup de films cultes, comme le Silence des agneaux, primé à cinq reprises, on peut parler de « syndrome Dexter », dans la mesure où le public va commencer à s’identifier davantage au tueur qu’à ses victimes.
Quand la fascination dépasse la réalité :
Pourtant cet intérêt pour les tueurs en série, peut parfois devenir dangereux, et se transformer en admiration. Des hordes de « fans », de jeunes femmes, écrivent, visitent en prison ou vont jusqu’à épouser ceux qui pourraient être l’objet de leurs fantasmes morbides.
Et certains films, séries ou productions sont accusées de contribuer à ce phénomène, particulièrement important aux Etats-Unis. « Extremely Wicked, Shokingly Evil and Vile », le film retraçant la vie du meurtrier Ted Bundy, incarné par Zac Efron, a été critiqué, donnant l’image d’un psychopathe « presque sympathique » en gommant une partie des actes macabres de ce dernier comme la nécrophilie et ne révélant l’atrocité de ses crimes que dans les dernières minutes du film. Le débat s’est alors posé sur la place donnée au meurtrier, les tueurs en série cherchent de la publicité, de l’attention et ces productions alimenteraient ce désir.
Mais il n’y a pas que du négatif, parfois, la mise en avant de ces histoires macabres peut aussi permettre de relancer des enquêtes non élucidées ou de partir à la recherche de nouveaux éléments (comme John Allore qui a pu trouver de nouveaux éléments quant à l’homicide dont a été victime sa sœur Theresa Allore à la suite de la forte médiatisation de l’affaire). Il y a aussi une fascination pour nos véritables héros, ceux qui parviennent à les arrêter ! Le côté face du tueur en série ne pourrait être abordé sans l’autre côté de la pièce, soit la bonne équipe d’enquêteurs à ses trousses. On a alors enfin un peu d’espoir pour rééquilibrer les forces du bien et du mal : le yin a toujours son yang.
Donc, non, votre intérêt pour le morbide, ou les tueurs en série n’est pas malsain je vous l’assure. Certes nous sommes intrigués par ces anti héros mais c’est avant tout parce qu’on ne souhaiterait pas devenir comme eux. Alors, à moins que votre objectif soit de les étudier pour mieux les imiter, vous n’avez pas besoin de consulter !
Charline Breil
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