Le président de la République a déclaré le 7 mars 2019 : “Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit”. Je vous prie donc de m’excuser d’avance pour les propos “inacceptables” que je vais tenir ici, car oui, je fais partie des personnes qui parlent de répression et de violences policières justement pour alerter et condamner les dérives autoritaires que notre Etat de droit est en train de vivre. Toutefois, cet article n’est pas fait pour lancer la pierre, le pavé ou le cocktail Molotov aux policiers et aux gendarmes. Cet article n’est pas fait non plus pour critiquer gratuitement la police et la gendarmerie qui exercent – nous le savons tous – des fonctions nécessaires, difficiles et peu enviables.
Comme dans tous les métiers, il existe un ensemble de lois, de normes, de règlements et de codes à respecter. Je traiterai donc aujourd’hui uniquement des débordements, des abus et des « bavures » exercés par la police et la gendarmerie dans le cadre de leur fonction. Ces « bavures » sont couramment appelés « violences policières ». Mais si l’existence de ces « bavures » ne fait plus débat – du moins je l’espère – c’est le nom trouvé qui pose un problème. Violences policières ? Pourquoi ? Eh bien parce que la violence constitue un abus de la force et que cet abus de la force est, ici, perpétré par la police. D’où les « violences policières ».
La réelle difficulté se trouve en vérité dans la distinction entre des violences policières et des actions policières classiques. La complexité se trouve dans la distinction entre les violences illégitimes des policiers et les violences légitimes des policiers. La police a, en effet, une certaine légitimité à utiliser la violence, dans certains cas précis. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Cette légitimité ne fait pourtant pas d’elle une institution toute puissante au-dessus des lois. Rétablir l’ordre ça ne veut pas dire devenir l’ordre. Et tout le problème vient de là ! Si l’Etat n’avait pas laissé la liberté à la police de s’émanciper, de faire ce qu’elle voulait et de la manière qu’elle le voulait, les choses ne se passeraient peut-être pas de la même manière. Les manifestations feraient beaucoup moins de blessés … et dans les deux camps !
Dans les faits donc, les violences policières sont des situations où la police utilise la force de manière démesurée. Mais le débat qui surgit autour de l’existence ou non de ces violences policières touche en fait à l’impunité des policiers et aux défaillances du système judiciaire français pour les condamner. C’est ce que je vais tâcher d’expliquer dans cet article en me basant sur les travaux de professionnels beaucoup plus compétents que moi.
La violence et l’Etat : amour un jour, amour toujours ?
Si les violences policières font autant parler d’elles, c’est parce qu’elles remettent en cause, finalement, le fondement même de l’Etat. Elles remettent en cause le fameux « contrat social » qui définit notre société. En effet, le cœur de l’Etat - selon Max Weber - c’est le monopôle de la violence physique légitime. L’Etat met fin à la guerre de chacun contre tous, à la violence arbitraire des uns et des autres. C’est exactement ce que Hobbes défend dans le « Léviathan ». Un Etat fort, en intervenant auprès de la population, est censé arrêter la guerre de tous contre tous. L’Etat permet de sortir de cette situation en monopolisant à son profit la seule violence perçue comme légitime. L’Etat utilise ainsi ce monopole de la violence physique légitime pour maintenir l’ordre aux moyens des forces de police. L’Etat est donc le seul qui a le droit d’être violent et il délègue ce droit à la police. Les policiers sont donc les représentants de l’Etat, de la loi et de l’ordre. Ils exercent la violence au nom de l’Etat et aux dires de l’Etat. Ce sont les « gardiens de la paix », ils sont là pour « protéger et servir » la population.
La violence apparaît, il est vrai, comme faisant partie du quotidien de la police. La police a été créée pour exercer cette violence. Il est difficile d’envisager une police qui ne serait pas violente. La répression ne peut se faire sans force. Mais le problème actuel en France c’est que l’usage de la violence chez les policiers est devenu banal. Trop banal. A force de frapper, on oublie pourquoi on frappe. Et quand le recours à la violence devient une habitude - alors que nous sommes une démocratie - c’est ici que la situation se complique.
La violence est pourtant, par principe, interdite ! Les forces de l’ordre, en tant que dépositaires de l’autorité publique, ont le droit d’y recourir dans le cadre de leur mission, par exception. Les forces de l’ordre doivent privilégier, tant que faire se peut, les moyens non-violents. Le recours à la force, dans la mesure où il est une exception, est donc très encadré (corpus de normes internationales et nationales). Dans les Etats de droits, la violence est légitime seulement quand elle s’exerce conformément aux règles de droit en vigueur. C’est la condition même du recours à la force. La violence des forces de l’ordre est ainsi légitime quand elle respecte les droits fondamentaux des individus - que garantit la Constitution de 1958 – mais aussi les lois, les règles et la déontologie interne des institutions.
Cependant, malgré cette légitimité encadrée, la violence des policiers et des gendarmes, semble parfois injustifiée, gratuite et/ou disproportionnée. La violence cesse alors d’être légitime. Ce sont ces cas précis qui sont appelés les « violences policières ». Les violences policières déstabilisent le fondement de la société. Quand les individus sont maltraités, blessés, mutilés voire même tués par ceux-là même qui sont censés les protéger et maintenir l’ordre, qui garantit la paix sociale ? « Qui nous protège de la police ? » pour reprendre la célèbre citation du film « La Haine » de Mathieu Kassovitz sorti en 1995.
La justification même de l’Etat est remise en cause, sa raison d’être, le fondement de l’obéissance qu’il inspire. Les violences policières ébranlent le vivre ensemble et la société. Le sentiment d’impunité qui règne chez certains policiers entraînent des débordements insupportables et intolérables pour une démocratie, pour une République se réclamant de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Il n’y a aucune généralité envers les policiers et les gendarmes. Il y a seulement un constat inquiétant : celui du silence. Le silence des autres policiers, le silence des institutions de police, le silence du gouvernement, le silence de l’Etat. Les violences policières sont un sujet tabou. A nous de les dénoncer.
Qu’en dit la loi ?
La chercheuse et juriste, spécialiste de la police et des droits de l’homme, Aline Daillère a rappelé dans son rapport « L’ordre et la force » publié en 2016 par l’Association Chrétienne pour l’Abolition de la Torture (ACAT) que les policiers devaient répondre à des lois, des règlements et à une déontologie. Avant même la question des violences policières, il y a des comportements dans la police et dans la gendarmerie qui posent un certain nombre d’interrogations. L’identification des policiers et les prises de vidéos et d’images amatrices en sont les principaux.
Aline Daillère rappelle qu’en France, le numéro RIO (Référentiel des Identités et de l’Organisation) est un matricule obligatoire pour les forces de l’ordre depuis 2014. Tous les policiers et tous les gendarmes en exercice doivent le porter. Pour le moment, le numéro de matricule est le seul élément d’identification des policiers et des gendarmes. Il est pourtant apparu lors de différentes manifestations que des policiers n’avaient pas de matricules, ne pouvant donc pas être identifiés ni soumis à une enquête. Très pratique en cas de violences policières !
Aline Daillère tient également à rappeler que « la liberté d’informer prime sur le droit à l’image des agents de police ». Ainsi : « Il n’est pas nécessaire d’être journaliste et d’avoir une carte de presse pour filmer des membres des forces de l’ordre ». Ce qui est interdit, en revanche, c’est que les policiers suppriment des images ou des vidéos ou réquisitionnent des appareils ayant filmé ou capturé quelque chose - comme cela a pourtant été fait à de multiple reprises. Il est important de rappeler cela d’autant plus que les images et les vidéos d’amateurs sont souvent les seules preuves des violences policières … Enfin ça, c’était avant. Avant le 20 octobre 2020 et la proposition de loi relative « à la sécurité globale » déposée par La République En Marche et appuyée par Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur. Cette dérive autoritaire du pouvoir compte, avec un arsenal de mesures, légaliser la surveillance vidéo (drones, caméras …) et interdire la prise d’images de policiers « portant atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Mais ce concept juridiquement flou autorise simplement ce qui était interdit, à savoir la réquisition et la suppression d’images et vidéos amateurs ainsi que l’interdiction de leur diffusion. En d’autres termes, Gérald Darmanin permet à présent aux policiers d’effacer les preuves de leurs violences policières en leur garantissant qu’elles ne seront jamais diffusées.
L’autre grande interrogation porte sur l’utilisation de certaines armes et l’apprentissage de certaines pratiques. Il existe, bien évidemment, des règles et des recommandations très précises pour toutes les actions policières. La mauvaise utilisation d’une arme et la mauvaise exécution d’une pratique peuvent entraîner des blessures, des mutilations ou la mort. Les mauvaises utilisations des armes et les mauvaises exécutions de pratiques sont donc considérées, à juste titre, comme des violences policières. La mort récente de George Floyd aux Etats-Unis questionne certaines pratiques policières. En France, c’est la mort de Éric Chouviat lors de ce qui aurait dû être un simple contrôle de police en janvier 2020 qui a remis en cause la pratique courante du plaquage ventral - le plaquage ventral étant d’ailleurs interdit dans les autres pays européens tout comme le LBD (Lanceurs de Balles de Défenses). Oui, car la France est souvent seule dans l’Union européenne à utiliser des armes de guerre et des pratiques peu conventionnelles. Comme quoi, nous pouvons être un Etat de droit, symbole en matière de libertés fondamentales sans pour autant les respecter …
La police et la gendarmerie françaises ont en effet à leur disposition des armes non-létales :
- Lacrymogène : Strictement encadré par une note du Ministère de l’Intérieur de 2004 qui recommande : Une utilisation en priorité pour parer une menace, par jets brefs, d’environ une seconde, à plus d’un mètre de la personne. Théoriquement les forces de l’ordre sont aussi tenues d’apporter des soins aux victimes après l’usage (rincer les yeux). Nous sommes bien loin des manifestants écologistes et pacifistes (assis en chaîne humaine sur un pont) gazés à bout portant à Paris en juin 2019.
- Grenade de désencerclement : Encadrée par une instruction (commune à la police et à la gendarmerie) qui rappelle la dangerosité de cette arme : Devant être utilisée pour s’extraire de situation où les policiers sont encerclés et pris à partie, en explosant cette grenade disperse 18 pavés en caoutchouc tout en provoquant une détonation sonore très forte ce qui implique que le lancer doit être effectué au sol et à la main. Nous sommes bien loin des nombreuses mains et yeux arrachées par les explosions durant le mouvement des Gilets Jaunes en 2018-2019.
- Tonfa (matraque) : Encadrée par la commission nationale de la déontologie : Arme de défense et de dissuasion dont l’utilisation comme matraque est interdite : Devant être utilisé pour parer les coups et immobiliser les individus mais non pas pour les frapper. Nous sommes bien loin du viol de Théo Luhaka avec utilisation d’une matraque par deux policiers en 2017.
Une mauvaise utilisation de ces armes dites « intermédiaires », qui ne sont en réalité pas adaptées au maintien de l’ordre d’une manifestation, peut entraîner – nous l’avons dit - des blessures, des mutilations ou la mort. Ces armes sont des armes dangereuses, des « armes de guerre » selon le code de sécurité intérieure de la Police nationale ! Ce sont des armes offensives et non défensives. Cela en dit long sur l’état actuel des choses … La police nationale vient aux manifestations avec des armes offensives et non plus défensives – et c’est la seule police européenne à le faire. Comment les choses peuvent-elles bien se finir ? Comment les manifestations et les confrontations peuvent-elles bien se passer ?
Au niveau juridique, il existe trois principes fondamentaux régissant les actes de violence autorisés par la police et la gendarmerie :
- Légitimité : L’usage de la force doit être utilisé à des fins légitimes
- Nécessité : La force employée doit être absolument nécessaire pour remplir les fins légitimes. La force est donc utilisée seulement en dernier recours. Une fois les fins légitimes atteintes, la force doit cesser.
- Proportionnalité : L’usage de la force ne doit pas entraîner de dommages excessifs par rapport aux bénéfices qu’on espère retirer de cette force.
Ces trois principes condamnent donc de fait tout usage de la violence illégitime, inutile et disproportionnel par la police et la gendarmerie. Pourtant, de nombreuses images montrent et témoignent de cas de violences policières. Ces témoignages visuels se sont multipliés ces derniers temps, lors des manifestations contre la loi Travail et durant le mouvement des Gilets Jaunes. L’explosion du nombre de violences policières recensées a relancé le débat sur le fait que ces violences policières soient peut-être devenues systémiques. En 2019, l’IGPN a été chargée de 1460 enquêtes judiciaires (hausse de 23,7% par rapport à 2018) dont 868 pour des cas de violences volontaires.
Le problème qui se pose actuellement c’est que les violences policières ne sont pas des cas isolés. Cela demanderait donc à l’Etat de revoir la stratégie française du maintien de l’ordre comme cela a été fait en 1986 après la mort de Malik Oussékine, tué par deux policiers. Le mouvement des Gilet Jaunes a montré la défaillance de la police et de la gendarmerie face à un mouvement spontané et peu organisé. Mais plutôt que de vouloir revoir les techniques de maintien de l’ordre et adapter les forces de police avec de nouvelles formations et de nouveaux outils le gouvernement d’Edouard Philippe, sous l’égide d’Emmanuel Macron, a préféré nier les violences policières et couvrir les policiers. Laissant ainsi se commettre un peu partout des violences impunies par la loi … Quand les représentants de la loi échappent à la loi …
Les hautes sphères gouvernementales nient l’existence des violences policières pendant que les institutions publiques de l’Etat couvrent ces mêmes violences policières. C’est un vrai tour de passe-passe digne des plus grands magiciens. Mais qu’y a-t-il quand on soulève le chapeau ?
Dominique Barella, procureur et ex-président de l'Union syndicale des magistrats, dénonçait en 2007 que : « L'exécutif à l'heure actuelle veut dominer la justice. Après la mort des deux jeunes à Villiers-le-Bel, les gens attendent la vérité. Or la procureure de la République a validé dans les 24 heures la version de la police, ce qui signifie à peu près : 'Circulez, il n'y a rien à voir !'. Il y a quand même eu deux morts. Elle aurait dû dire : " Nous allons vérifier les déclarations des policiers, enquêter en toute neutralité et en toute indépendance". Dans ces conditions, comment les quartiers peuvent croire en la justice ? […] La justice doit se tenir à équidistance des parties, prendre son temps - sans être trop lente-, et améliorer son image d'humanité ». Ce qui est souligné ici c’est que les policiers, par principe, n’ont jamais tort. Les procureurs de la République valident systématiquement la version des policiers, sans visiblement étudier les dossiers.
Le documentaire « A nos corps défendants » du Collectif « Désarmons-les » vient compléter cette déclaration et dénonce, avec beaucoup de témoignages, les stratégies des policiers pour échapper à toute sanction. La méthode est toujours la même : la police livre une version qui l’arrange, les agents sont couverts par la hiérarchie et la préfecture fait un communiqué très rapidement sur les faits. La police charge la victime en se servant de son casier judiciaire pour jeter le discrédit sur sa parole. Le but est de criminaliser les victimes pour rendre les violences policières légitimes et justifiées. Ensuite les policiers portent plainte systématiquement contre leurs victimes. Les agresseurs deviennent les agressés, les victimes deviennent les coupables. Dans son ouvrage « Flic » le journaliste Valentin Gendrot, qui a infiltré les services de police dans le 19e arrondissement de Paris pendant près de trois ans, témoigne de ces abus. Il raconte que les agents de police sont obligés de soutenir leurs collègues en fournissant de faux témoignages et des parjures. Le motif le plus courant pour charger les victimes est celui d’« outrages et rébellions ». « Très souvent les violences policières sont dissimulées derrière des outrages et rebellions. Si une personne blessée porte plainte alors qu’il n’y a pas de preuves, les policiers se retournent contre elle en parlant d’outrage et de rébellion. La victime des violences devient accusée. Dans un tribunal, c’est la parole des policiers contre la parole d’un jeune, qui ne fait pas beaucoup le poids » expliquait en 2017, Didier Fassin, directeur des Hautes Études en Science Sociale.
Enfin les policiers vont jusqu’à demander des réparations, des « dommages et intérêts », qu’ils vont toucher et qui vont pénaliser économiquement les victimes et leur famille, particulièrement celles qui se battent pour obtenir la justice et la vérité. Les policiers intimident et dissuadent les témoins. Il est très fréquent que des enquêtes soient ouvertes pour « outrages et insultes envers les forces de l’ordre ». Ces enquêtes sont dirigées contre les témoins de la scène, contre ceux qui demandaient des comptes à la police.
« L’Etat couvre la police, paye pour les avocats. Le parquet va suivre, transformant les victimes en adversaires » explique le journaliste de Mediapart Usul. Ce « système » existe depuis longtemps selon lui : « Les hommes politiques ont identifié le problème mais ne font rien pour le régler. Les hommes politiques ont à y perdre ». Cette impunité de la police, des policiers et des violences policières serait donc une impunité organisée, systémique. « L’Etat bourgeois ayant besoin de la police pour maintenir et combattre les pauvres et les opposants » déclare-t-il pour conclure son analyse sur une touche marxiste. Le démographe et essayiste Emmanuel Todd, qui est loin d’être marxiste, complète cette vision des choses : « On a une police en liberté qui n’est plus sous contrôle. Le gouvernement s’en est tellement servi pour faire cogner, avec les consignes qui vont avec, que la police aussi semble avoir pris son autonomie ». Et c’est là le danger. L’Etat n’a plus la main sur son bras armé. En témoigne le fait que les manifestations de policiers et les revendications des syndicats de police sont toujours entendues très rapidement et satisfaites dans les plus brefs délais. Les forces de police font pression sur les gouvernements qui se succèdent et cela marche. La dépendance devient soumission.
Si l’Etat et le gouvernement a en effet besoin de la police pour se protéger – notamment durant les contestations sociales – il est effrayant de voir que ce lien de dépendance entraîne des dérives. Pour ne pas se mettre à dos les détenteurs du monopole de la violence physique légitime le gouvernement actuel préfère ne pas ouvrir les yeux sur certains faits. Pour Arié Alimi, avocat et membre de la Ligue des droits de l’Homme, il y a « une décision politique judiciaire de ne pas poursuivre ces policiers ou de freiner les poursuites contres ces policiers ». Pour lui : « Il faut encore que l’institution judiciaire comprenne que la population française ne peut plus, aujourd’hui, admettre qu’il y ait des violences policières qui ne soient pas punies à la fin ». Les manifestants parlent d’ailleurs de « police gouvernementale » et non plus de « police nationale».
De plus, les violences policières semblent toucher principalement une population « cible » : de jeunes hommes vivant dans les cités des quartiers populaires, provenant des classes sociales précarisées, immigrés ou héritiers de l’immigration post-coloniale. Le constat est donc rapide en matière de violences policières dans les quartiers populaires : les histoires se ressemblent comme les profils des victimes. Et toutes ces violences policières sont au final marquées par l’impunité des policiers. Voilà pourquoi il est question à présent de violences policières systémiques.
La police mutile, frappe et tue parfois en étant couverte par sa hiérarchie, par les hommes politiques. Bientôt elle pourra même effacer les preuves de ses « bavures ». Les agents de police mis en cause dans des affaires de violences sont très rarement limogés et sont même, parfois, distingués et décorés par le Ministre de l’Intérieur ! Abracadabra !
Les défaillances étatiques : théorie des trois « singes de la sagesse » (rien entendre, rien voir, rien dire)
Redéfinir le rôle et établir l’indépendance de l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) sont les points centraux pour mettre un terme aux violences policières. De nombreuses associations, syndicats et partis politiques réclament depuis longtemps que l’IGPN soit totalement indépendante de la police et beaucoup plus transparente sur ses enquêtes et ses conclusions. En 2013, l’IGPN comptait 260 agents, chargés à la fois d’audits et d’enquêtes, afin de contrôler le respect des lois, du règlement et de la déontologie des policiers. Les enquêtes administratives (mensonge sur les horaires de service, vol sur le lieu de travail…) déterminent les atteintes à l’institution et à la profession et conduisent à des poursuites éventuelles prises par les supérieurs hiérarchiques (sanctions disciplinaires, renvoie …).
Les enquêtes judiciaires (injures, violences volontaires …) déterminent les atteintes à la société civile et sont, elles, conduites devant un juge d’instruction (peines de prison, amendes …).
Les faits de « violence » (violences policières) constituent la moitié de toutes les enquêtes de l’IGPN !
L’IGPN est là pour donner un avis, elle ne décide pas des sanctions et ses conclusions issues de l’enquête peuvent ne pas être suivies par les juges. Son rôle n’est ainsi pas de sanctionner mais uniquement d’enquêter et d’apporter des conclusions. Ce ne sont en aucun cas des décisions de justice faisant autorité. Le problème est bien ici. Compte tenu du peu d’informations, du manque de transparence et du recours au « sans suite » l’IGPN est accusée d’être trop partiale. Pour David Dufresne, journaliste et essayiste spécialisé dans les violences policières, l’IGPN est une « lessiveuse ».
Dans l’affaire Steve Canniço, jeune homme ayant disparu durant la fête de la musique à Nantes après avoir été poussé dans la Loire en 2019 par la police, l’IGPN expliqua qu’il y avait eu une charge de police contre les manifestants mais que cette charge de police n’avait pas de liens directs avec le fait que des personnes soient tombées dans la Loire. Edouard Philippe, Premier Ministre à l’époque, reconnaît lui-même qu’il ne pouvait pas « s’en satisfaire ». Une crise s’instaure donc à la suite de cette affaire entre une partie de la population, la police et le politique. « L’IGPN ne fait pas son travail de contre-pouvoir. Ce sont des policiers qui enquêtent sur d’autres policiers. Tout est dit. Dans les autres pays la « police des polices » est beaucoup plus indépendante » continue David Dufresne. L’IGPN est aussi pointée du doigt pour son faible nombre de condamnations. Selon l’association ACAT en effet, entre 2005 et 2015, les situations alléguées de violences policières illégitimes se sont « majoritairement soldées par des non-lieux ». Et depuis le début du mouvement des gilets jaunes, seulement deux policiers ont été condamnés à de la prison avec sursis pour « violences volontaires en manifestation » alors même que David Dufresne a recensé 860 signalements, 2 décès, 315 blessures à la tête, 25 éborgnements et 5 mains arrachées avec son récapitweete « Allô place Beauvau ? » repris ensuite par le journal Mediapart. Mais sans les images et les vidéos amatrices, ce genre de recensement autonome risque très fortement de ne plus être possible.
La défaillance du système judiciaire français au niveau des violences policières se trouve donc à trois niveaux : le manque de transparence, d’indépendance et de partialité des enquêtes de l’IGPN (aucun chiffre sur les violences policières, aucun bilan officiel et détaillé concernant les poursuites ou les condamnations), la complaisance et la rapidité avec lesquelles les dossiers sont traités par les procureurs de la République et le « système » procédurier mis en place par les policiers – et par les députés avec des propositions de lois - pour échapper aux sanctions.
La France a été rappelée à l’ordre et condamnée par Amnesty International, l'ONU, le Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe ainsi que par le Parlement européen quant à certaines utilisations d’armes et certaines méthodes d’arrestation pratiquées. Comment pourrait-on encore nier l’existence du phénomène sociétal que constituent les violences policières ? Quelle est la prochaine étape ? La proposition relative « à la sécurité globale » constitue un pas de plus pour la France vers l’autoritarisme.
Dire que les violences policières existent ce n’est pas incriminer tous les policiers. Au contraire. Admettre que les violences policières existent et qu’elles sont un problème pourraient faire avancer les choses en la matière. Il existe plusieurs procédés pour pallier au recours à la force. Cependant le gouvernement actuel ne semble pas disposé à les mettre en œuvre. En clair les gendarmes et les policiers ne sont pas des ennemis. Ils sont dans le même camp que les infirmiers qui réclament plus de lits, ils sont dans le même camp que les professeurs qui réclament plus d’effectifs. Les policiers font partie de la fonction publique et le jour où ils basculeront du côté du peuple, le jour où ils rejoindront les manifestants – qui ont en plus sensiblement les mêmes revendications qu’eux à savoir plus de moyens - plutôt que de leur taper dessus, là les choses promettent de changer. Mais on est loin d’y être.
Arthur Bauchet
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