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  • Photo du rédacteurAlbert Controverses

DOSSIER : doit-on faire payer l’université plus cher aux étrangers ?

Il y a de ces interrogations auxquelles on se doit de répondre par un « non » plus franc que jamais. Et celle-ci entre sans conteste dans cette catégorie de questionnements d’ordre moral qui sollicitent à la fois le bon sens de l’individu, le droit en tant que fondement de nos sociétés modernes, et une certaine dimension éthique présente en nous tous. « Liberté, égalité, fraternité » peut-on lire sur le fronton de toute école de notre belle République. Le droit à l’éducation est bien un de ces droits fondamentaux que la France est fière de garantir à toute personne sur son territoire. Et pourtant, « la première égalité, c'est l'équité » selon Victor Hugo. Mais où diable s’en est-elle allée cette équité ? Est-ce équitable de discriminer des individus selon leur nationalité ? Peut-on décemment augmenter les droits d’inscription pour des étrangers désireux de venir étudier dans l’Hexagone ou en Outre-Mer ? En d’autres termes, doit-on faire payer l’université française plus cher aux étudiants étrangers ?


Un droit à l’enseignement exclusif pour les nationaux ?


Le 11 octobre 2019, le Conseil Constitutionnel consacre le principe de gratuité de l’enseignement supérieur public, tandis que la hausse des frais universitaires, décidée par arrêté gouvernemental pour les étudiants étrangers (hors Union européenne pour l’instant), suscite une vive contestation de la part de la communauté universitaire depuis plus d’un an. Malgré une forte mobilisation estudiantine, le gouvernement Philippe II a choisi de s’en tenir à ses prévisions initiales en matière de réforme, bien que la France soit un pays « irréformable » selon les dires de notre tendre Président de la République.

Conscients de l’importance du droit dans la protection des libertés fondamentales comme l’accès à l’enseignement supérieur pour tous, les collectifs d’associations étudiantes saisissent en juillet 2019 le Conseil Constitutionnel par l’intermédiaire d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), dans l’objectif de faire reconnaître cet arrêté comme contraire aux valeurs de notre chère Constitution de 1958. De manière relativement inédite depuis l’avènement du gaullisme et même du parlementarisme majoritaire sous la Vème République, les « Sages » reconnaissent que « l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public », remettant ainsi en cause la décision de l’exécutif à l’encontre des étudiants extra-communautaires.

En somme, une victoire estudiantine sur les néolibéraux d’En Marche par le droit ? Grands artisans du compromis qui ne fâche ou ne satisfait personne, les juges précisent que « cette exigence ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants. ». Mais à combien s’élèvent ces frais ? Jusqu’où la somme est-elle considérée comme modique ? Comment les capacités financières des étudiants sont-elles précisément prises en compte ? Tant d’interrogations auxquelles nos septuagénaires ne sauraient apporter une réponse convenable. De quoi laisser la voie libre à Madame Vidal qui ne se fait pas prier pour s’engouffrer dans ce vide juridique en souhaitant la « Bienvenue en France » [formule utilisée par la ministre pour désigner la réforme, ndlr] aux futurs contributeurs de notre bonne santé économique. Car, la leur, importe peu ; le vrai défi de la France est bien évidemment de solutionner son déficit structurel en extorquant « éthiquement » les ressources financières d’étudiants venus « exploiter » nos capacités d’enseignement mondialement reconnues. Ethiquement ? Vraiment Madame Vidal ?


La nationalité peut-elle éthiquement déterminer si l’individu doit consacrer plus de moyens financiers à son éducation ?


Si l’on suit rigoureusement le raisonnement des gouvernants, l’Etat ne devrait pas prendre en charge de la même manière les frais d’inscription à l’université pour les étudiants venant de l’étranger que pour les étudiants résidant sur le territoire français. En d’autres termes, il s’agit d’une ségrégation financière selon la nationalité de l’individu. Le droit à l’enseignement supérieur public gratuit est donc réservé à nos bons nationaux. Les autres n’ont qu’à avoir les moyens de leurs ambitions et naître avec une cuillère en argent dans la bouche après tout.


« Le doute est le commencement de la sagesse ». Selon toute vraisemblance, le gouvernement actuel ne serait pas perçu comme « sage » par Aristote. Malgré la réticence d’une soixantaine d’universités partout en France à appliquer les mesures prévues par l’arrêté gouvernemental, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Madame Frédérique Vidal, a affirmé sa détermination à rendre effectives les prévisions de son cabinet. Et lorsque le gouvernement s’obstine, la fronde prend de l’ampleur.


En choisissant de maintenir toutes les clauses en dépit des recommandations du Conseil Constitutionnel et des associations estudiantines, le gouvernement interroge quant à sa faculté à questionner la dimension morale de ses réformes. Qui doit dicter la loi en France ? Le jeu de la démocratie représentative veut que les dirigeants soient en mesure de conduire la politique nationale. Toutefois, lorsque celle-ci est contraire aux intérêts des individus représentés, le contrat social n’est pas respecté et des moyens d’actions réciproques sont nécessaires pour rappeler que la souveraineté nationale est un concept qui dépasse le seul domaine de l’abstrait.


Discriminer des étudiants en augmentant les coûts liés à leurs études relève ainsi d’un acte délibérément inégalitaire et contraire à toute forme d’éthique. Au même titre que la malversation des aides personnalisées au logement (APL) aux étudiants expatriés sous-prétexte qu’ils ont quitté le territoire, l‘augmentation des frais d’inscription dans le supérieur pour les extra-communautaires ne respecte pas l’une des principales valeurs de notre République. Et à ce rythme, on se dirige tout droit vers une échelle des droits d’inscription selon la nationalité de l’étudiant…


Vers un classement des droits d’inscription selon le pays d’origine ?


Le 29 janvier 2017, Donald Trump annonce que les ressortissants de sept pays ne pourront plus mettre un pied sur le sol américain. Une déclaration qui divise profondément les Etats-Unis et provoque tantôt admiration et dévotion, tantôt dégoût et indignation chez les citoyens Américains. Mais surtout, une prise de position qui est vivement critiquée par la communauté internationale qui condamne fermement toute forme de discrimination à l’encontre d’un individu en fonction de sa seule nationalité ou citoyenneté.


Et c’est précisément ce que le gouvernement français s’apprête à faire. En augmentant drastiquement les coûts et frais d’inscription pour les étudiants provenant d’autres pays, Edouard Philippe et sa clique ont intentionnellement décidé de déclarer la guerre à la justice sociale et à l’égalité entre les individus. Bientôt, un Iranien qui souhaite entrer à la Sorbonne verra son parcours d’inscription semé d’embûches qu’un Belge ou un Roumain n’auront que dans une moindre mesure. Puisque l’on envoie un nombre impressionnant de jeunes désireux de devenir médecins dans ces pays, pourquoi aurait-on intérêt à ce qu’ils nous ferment les portes de leurs universités ? Au contraire, combien d’étudiants avons-nous envoyé à Téhéran ces cinq dernières années ? Quel est le gain pour le ministère de l’enseignement supérieur à maintenir des accords bilatéraux avec les universités d’un pays où un nombre insignifiant de nos étudiants souhaitent partir ?


« Renforcer l’attractivité » de nos universités ; telle est la mission de cet arrêté gouvernemental. Mais pour qui au juste ? Les extra-communautaires provenant de pays où la monnaie est plus faible que l’euro, et où le pouvoir d’achat est inférieur à celui de l’Europe occidentale, ne pourront plus accéder à ces universités sans user et abuser des prêts. Or, depuis 2008, les institutions bancaires ne mettent plus de fonds à dispositions des agents lorsque le risque de pertes s’avère trop important. La peur de la non-solvabilité a gangréné le marché. Et c’est là que la ségrégation par la nationalité s’accentue. De manière évidente, les banques seront nettement plus à même de contractualiser un prêt de milliers d’euros avec un étudiant Canadien plutôt qu’avec un Vénézuélien. Bien que non-officielle, cette sélection implicite menace l’équité des chances et l’accès de tous à l’enseignement supérieur en France. « La démocratie, c'est l'égalité des droits, mais la République, c'est l'égalité des chances. » déclarait pourtant notre regretté Jacques Chirac.


Par Jules Grange Castinel




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