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Photo du rédacteurAlbert Controverses

DOSSIER : « Pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus »

Quelle plus belle cachette pour nos plus grandes terreurs que la littérature ?


Moyen d’évasion, fiction ou représentation de la réalité, la littérature nous transporte par sa beauté, et ce même lorsqu’elle représente nos plus grands fléaux. Pour reprendre les mots de Marcel Mauss, l’épidémie est un objet social total. Elle révèle au travers de ses facettes l’empire du monde des Hommes. Mais alors pourquoi commencer un ouvrage basé sur la maladie ?


Pour mieux nous comprendre et comprendre ceux qui sont passés avant nous.Une chose est sure : la littérature représente les hommes qui la font, ainsi que leurs émotions, leur vécu. Dans son ouvrage La Peste, Camus parvient, par sa représentation cruellement réaliste, à représenter la maladie à Oran dans les années 1940. Pour certains, comme ça a été le cas d’Aurélie Palud, professeure agrégée en Lettres Modernes, cette épidémie pouvait représenter le grand malheur de son temps, la peste brune, à savoir le nazisme. Epidémie morale que l’Homme transporte en lui. Cet ouvrage permet avant tout de faire émerger des vérités humaines.


Nous nous demandons avant tout quelle attitude adopter face à la maladie. Déni, confusion, sidération, panique, désarroi, remise en question, impuissance… Nous vivons tous la même expérience, mais nous sommes mis à nu d’une façon toujours différente.


Nombreux sont ceux à commencer un « journal du confiné », pensant avec une certaine fierté raconter une expérience inédite. Pourtant, force est de constater que ce n’est pas une première. Chaos, désespoir, nihilisme sont apparus sous la plume de nombreux écrivains avant nous. C’est à Camus que revient la description la plus évocatrice :


« Nos concitoyens s’étaient mis au pas, ils s’étaient adaptés, comme on dit, parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement. Ils avaient encore, naturellement, l’attitude du malheur et de la souffrance, mais ils n’en ressentaient plus la pointe. » […] « Sans mémoire et sans espoir, ils s’installaient dans le présent. »


Si ce ressenti ne vous évoque rien, c’est sans doute que vous n’avez pas vécu assez longtemps en cage. Il me semble, à de nombreux égards, bien d’actualité. Nous avançons à tâtons, en espérant que cette période ne fera pas ressortir le pire de nous-même.


Alors que Jean-Jacques Goldman propose une nouvelle version de l’une de ses chansons pour remercier ses médecins, je me suis rappelée d’une autre de ses réalisations. Dans sa musique « Né en 17 à Leidenstadt », il nous rappelle que nous ne nous connaissons vraiment qu’une seule fois l’explosion d’une vraie crise. « On ne saura jamais ce qu’on a vraiment dans nos ventres, cachés derrière nos apparences, l’âme d’un brave ou bien complice d’un bourreau ? ». Et dans les ouvrages, comme dans la réalité, les premiers à s’avancer dans le danger sont également ceux qui savent ce qu’ils ont à y perdre, les médecins. Que ce soit le jeune homme au début de l’ouvrage Le hussard sur le toit, de Jean Giono, ou le docteur Rieux, dont le stoïcisme ne cache pas sa terreur dans La Peste. Ces livres montrent quelque chose que nous oublions souvent ; ces médecins sont animés des mêmes peurs que le reste de la population, seul leur savoir leur impose le mouvement. Et c’est parce que nous ne le possédons pas que nous nous pensons délivrés de cette responsabilité.


Nous avons un certain talent à cacher nos plus grands tords dans la littérature. Pour ne pas oublier, diront certains. Chacun espère que les nouvelles générations feront mieux, mais c’est un poids extrêmement lourd à porter pour ceux qui deviennent trop vite notre présent. La vérité est que nous avons une meilleure capacité à oublier qu’à retenir une leçon. Nous inscrivons alors les réalités de l’humanité dans nos ouvrages. Les crier trop fort finirait par agiter la vase de l’étang dans lequel nous trempons depuis trop longtemps. Ce serait laisser apparaitre notre lâcheté, notre incapacité à nous séparer de nos privilèges. Dans l’ouvrage de Giono, certains n’hésitent pas à fuir, bien qu’ils puissent transporter la maladie avec eux.


Une chose est sure, la réalité crue n’est pas belle à voir. Dans Le hussard sur le toit, l’épidémie de choléra qui ravage la Provence dans les années 1830 donne un récit qui remue l’estomac. Une des marques de la maladie : une forme de « riz au lait » coulant de leurs lèvres. Elle change les attitudes, remet l’homme à sa place dans le cercle de la vie, les cadavres sont mangés par les rats, les corbeaux. Qui voudrait faire face à un tel tableau ? Pourtant nous raffolons de ce genre de scénario. Nous aimons ce voile de surréalisme, il permet d’oublier que nous possédons ce voyeurisme presque malsain. Il nous présente la maladie comme si elle était un problème lointain. Nous gardons alors un regard sur la misère du monde, en espérant qu’elle ne nous touche jamais.


Le coronavirus n’est certes pas la peste ou le choléra. Le cadre n’est pas le même, notre société du risque 0 nous a mené vers des progrès fulgurants en termes de santé. Aujourd’hui nous sommes face à des dangers opposés mais qui atteignent leur paroxysme. Notre trop grande fierté face à nos accomplissements nous a rendu orgueilleux. La maladie qui nous atteint n’a pas l’esthétique ni la rapidité choquante de ses prédécesseurs, ce qui nous a amené à la considérer comme une mauvaise toux pendant trop longtemps. Et une fois à nos portes, notre tendance à surestimer un danger qu’on ne connait pas, dans une société hypermédiatisée, peut en faire un problème d’une grande ampleur. Il suffit qu’un cas émerge à proximité pour que toute la zone se mette à grouiller, telle une fourmilière qu’on a remué avec un bâton. Il s’agit toujours, dans ce genre de cas, d’une crise morale et spirituelle. Notre rationalité est en péril, nous plongeons dans une quête de sens qui n’a pas de fin. Le seul sens à trouver est que l’équilibre se restaurera.


Mais, pour moi, ces ouvrages permettent avant tout de relativiser sur la réaction à avoir. Les protagonistes décrits ne sont pas des surhommes. Ils sont trop souvent exposés aux conséquences de leurs élans d’insouciance et aux remords face à leur incapacité à agir. Chacun fait au mieux avec ses capacités limitées. C’est rester sourd à cette réalité qui serait un tort. N’oublions pas que, comme pour tous ces récits, il y aura pour nous un demain.


Par Marie Michelet




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