Une pandémie comme celle que nous vivons aujourd’hui est évidemment très inquiétante mais certaines personnes en profitent. C’est le cas de Viktor Orban, le premier ministre hongrois ultra-conservateur, qui, pendant cette période inédite, ne s'est pas contenté de faire parader des blindés dans la capitale et de nommer des militaires à la direction logistique des hôpitaux.
Tout d’abord, farouche opposant à l’immigration, il a décidé de suspendre toutes les demandes d’asile, puis, à partir du 16 mars, d’interdire l’accès au territoire à une grande majorité d’étrangers, accusant les migrants de propager la maladie. Mais la nouveauté la plus préoccupante est qu’Orban s’est attribué les pleins pouvoirs depuis le 29 mars. Il s’agit officiellement de lutter contre le coronavirus mais, contrairement au président français qui a établi un état d’urgence sanitaire valable pendant 2 mois, la décision d’Orban n’est pas limitée dans le temps :"Nous ne savons pas quand finira l’épidémie ; je ne peux donc pas vous donner une date limite", a justifié Orban. Il peut désormais légiférer à base de décrets sur n'importe quel sujet, abroger les anciennes lois votées par le Parlement ou y déroger et même suspendre les élections. Il sera le seul à pouvoir décider quand son contrôle total sur le gouvernement et la population ne sera plus "nécessaire". Même s’il continue à brandir la justification du "coronavirus", l'opposition politique a déjà pointé du doigt ce « putsch constitutionnel » selon les mots d’Akos Hadhazy, député indépendant. Orban possédant la majorité des 2/3 des sièges au Parlement ne rencontrait déjà que très peu d'opposition. A présent, son pouvoir est véritablement sans limite. L'opposition politique et la population craignent l'avènement d'une dictature et n'ont aucune confiance en leur premier Ministre qui abuse régulièrement de sa position. L’état d’urgence décrété en 2015 lors la crise migratoire n’a par exemple pas été levé une fois la vague passée et certaines mesures d’exception, comme les perquisitions policières sans mandat, sont toujours en vigueur.
L’Union européenne, dont la Hongrie est un pays membre à part entière, ne devrait pas laisser Viktor Orban garder ses pleins pouvoirs bien longtemps. Une procédure contre Budapest a en effet déjà commencé, menaçant de lui retirer ses subventions. Pourtant cette menace ne semble pas déranger le Premier Ministre Hongrois, car il compte sur son allié de longue date, la Pologne, pour empêcher l’unanimité nécessaire à l'application de cette sanction. En outre, Orban a déjà enfreint la Charte Européenne des Droits de l'Homme, sans conséquence, sur le sujet de la liberté d'expression. A son arrivée au pouvoir en 2010, il instaure une forme de régulation de la liberté de la presse en créant un organe de contrôle, "le Conseil des médias", en réalité entièrement dirigé par le Fidesz, le parti de Viktor Orban.
Les évènements qui suivent cet octroiement des pleins pouvoirs donnent raison à l'opposition de s'inquiéter. D'autant que le moment est idéal pour multiplier les abus de positions, les manifestations étant interdites. Dès le 2 avril, il entame un projet de loi limitant l'autonomie politique du maire. Sous l'état d'urgence, les maires peuvent prendre leurs décisions sans consulter les assemblées municipales, ce qui signifie que leur pouvoir est renforcé. Mais la proposition d'Orban les obligerait à consulter un comité de défense local qui serait, lui, en mesure d'accepter ou de rejeter leurs décisions. Si Viktor Orban cible en premier lieu les mairies, c'est parce que les dernières élections municipales, il y a un an, ont été un succès relatif pour l'opposition politique. Celle-ci a réussi à se faire élire dans de nombreuses villes importantes, en particulier dans la capitale, Budapest. En plus d'être une menace pour la démocratie, cette mesure n'est absolument pas efficace contre une crise sanitaire car elle fait perdre un temps crucial. Le masque du "coronavirus" commence déjà à se fissurer. L'opposition ne cesse de progresser en Hongrie et, si elle mène une bonne campagne, elle pourrait même remporter les législatives de 2022. Finalement, devant l'important mécontentement des maires, le premier ministre a choisi de faire marche arrière.
Mais ce n'est pas là sa seule initiative. Il a établi une peine allant de un à cinq ans d’emprisonnement pour les personnes publiant des "fake news" qui, selon le gouvernement, perturbent l'opinion publique et empêchent le chef de l'État de gouverner comme il l'entend. Pourtant, la régulation des diffamations semblait déjà plutôt efficace dans le pays puisque dans les quelques mois précédant cette nouvelle loi, les autorités hongroises avaient déjà fermé une douzaine de sites webs et arrêté un blogueur "complotiste". Alors pourquoi un renforcement de la surveillance dans ce domaine ? Car les cibles cette fois-ci sont les médias indépendants, régulièrement attaqués par le gouvernement, mais également les élus. La population est en manque d'information concernant le nombre de victimes, le nombre de lits de réanimation, … Ainsi, lorsque le maire de la ville de Mohács, dans le sud de la Hongrie, a annoncé 2 cas et la contamination probable d’une centaine de personnes dans sa commune, après un mariage, il a été attaqué en justice pour « menaces sur l’ordre public » et risque à présent trois ans de prison.
Viktor Orban a également décidé que, dans tous les documents officiels, la mention "sexe" serait remplacée par "sexe à la naissance". Cette loi empêche donc à toute personne transsexuelle d'officialiser sa nouvelle identité. L'Union européenne dans son ensemble reste impuissante en raison de l'impossibilité de réunir l'unanimité des membres contre Orban, mais également parce que tous les pays sont refermés sur eux et ont d'autres priorités. Si on espère qu'une fois la pandémie finie, l'UE saura sanctionner de tels manquements aux droits humains, le PPE, Parti Populaire Européen, regroupant plusieurs formations de droite et d'extrême droite, sera peut-être plus efficace. En effet, le Premier Ministre hongrois a déjà été suspendu du parti lors des dernières élections européennes. Officiellement pour une campagne d'affichage antisémite et anti-migrant, plus globalement parce que dans les dernières années, le parti d'Orban avait multiplié les dérives illibérales dans son pays, lançant des offensives contre des ONG, modifiant la loi électorale à son profit… Considéré comme trop autoritaire, il entachait l'image du groupe parlementaire. Face à cette nouvelle mesure discriminatoire, le PPE parle maintenant d'aller plus loin et d'exclure définitivement Viktor Orban du parti. Mais pour l'instant, l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne (CDU) le parti le plus influent de l'organisation Européenne, ne s'est pas prononcé sur le sujet hongrois. En attendant, à l'annonce de cette nouvelle loi, une protestation a été organisée en ligne le soir du 29 mars, l’afflux était tel que beaucoup d’internautes n’ont pas pu se connecter.
Par Lili Auriat
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