C’est une forme de violence que nous commençons à évoquer de plus en plus aujourd’hui et qui, pourtant, demeure toujours peu visible : la violence psychologique. Aussi destructrice que n’importe quel type de violence, elle est très peu analysée dans les médias, très peu évoquée par l’opinion publique et très peu étudiée par les professionnels de la santé. La raison de cette absence sur le sujet ? Il n’y en a pas qu’une seule, et l’objectif de cet article est justement de déchiffrer ce pourquoi.
Si vous prenez deux minutes à taper sur votre moteur de recherche favori les mots « violence psychologique », vous allez rapidement vous rendre compte de la porosité du sujet. Les seules propositions que vous obtiendrez, concerneront les fameux « comment l’identifier » ou encore vous proposeront des articles à propos de la violence conjugale, qui peut être en lien avec la violence psychologique mais qui ne la caractérise pas spécifiquement.
Pour comprendre cette absence de sujet sur la question, il faut déjà s’attarder sur l’étymologie du mot « violence ». Non, ne vous inquiétez pas, le but de cet article n’est pas de faire une dissert de philo. Mais une des clés de ce questionnement réside dans l’étymologie du mot « violence ». Celle-ci vient du latin vis, autrement dit « la force ». Par définition, la violence serait donc l’abus de force, son usage déréglé employé à outrance. De fait, les analyses portant sur la violence ont pendant des siècles concerné les formes de violence physique, s’attardant davantage sur les dommages corporels et visibles des coups portés, plutôt que sur ceux moraux. C’est justement cette visibilité définissant la violence physique qui diffère tant avec celle psychologique : en étant facilement repérable, rien que dans le passage à l’acte, la violence physique a longtemps été plus facilement identifiable et les victimes plus encadrées.
Et cette plus simple identification s’inscrit conjointement dans la législation portant sur la violence physique. Alors que différents échelons sont inscrits dans la jurisprudence française, permettant une sanction la plus appropriée possible selon le degré de violence physique (par exemple, est distinguée la répression des violences physiques commises sans circonstances aggravantes de celles commises avec une ou plusieurs circonstances aggravantes), il a fallu attendre la loi du 9 juillet 2010 pour introduire le terme de violence psychologique au sein de la législation française. Et encore, cette dernière est contestable car dès le titre de la loi, le terme de « violence morale » ou « violence psychologique » n’y est jamais abordé : il s’agit en effet de la loi relative aux « violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants ».
En 2013, près de trois ans après la mise en application de loi, Chantal Paoli-Taxier, présidente de l’association AJC pour les Droits des victimes de violence morale, avouait même que cette loi était difficilement applicable et particulièrement pour la condamnation de la violence psychologique, le délit de harcèlement étant plus facilement condamnable car il mobilise davantage de preuves. Il n’en demeure pas moins que cette loi représente une victoire pour l’ensemble des victimes et associations luttant contre la violence psychologique. « Le mérite de cette loi est véritablement d’avoir nommé pour la première fois dans la législation française cette forme de violence », déclare Chantal Paoli-Taxier. Pourtant, c’est bien la violence psychologique au sein du couple qui constitue un délit punissable d’une peine maximale de trois ans d’emprisonnement et de 75 000€ d’amende. C’est donc une reconnaissance essentielle au niveau de cette forme de violence mais demeure uniquement une étape, bien loin d’être une victoire suffisante pour les associations.
Une autre piste permettant de comprendre pourquoi la violence psychologique est si peu représentée dans la sphère à la fois médiatique et politique, s’insère dans sa forme. Par définition, elle se caractérise par l’usage fréquent voire répétitif de mots, d’injures, de cris ou même de silences. Elle représente une arme efficace pour soumettre, dominer, asservir et a pour but d’imposer une domination sur l’autre tout en l’instrumentalisant, en l’intimidant et en le/la manipulant. Vu comme cela, vous vous dites forcément que les individus victimes de cette forme de violence sont isolés ou ne représentent qu’une faible part de la population. Après tout ce sont des relations toxiques, libre à chacun de s’en émanciper. Mais la perversité de ce type de violence est justement de faire intégrer et intérioriser ces propos dégradants à la victime qui ne se rendra pas forcément compte de cette décrédibilisation.
Véritable entreprise de démolition identitaire, les victimes se sentiront alors comme inférieures, incapables, incompétentes, inintelligentes, n’ayant aucune valeur. « Le seul fait de se rendre compte que l’on est victime de violence psychologique est déjà beaucoup, explique Jean-Louis Le Run, auteur de l’ouvrage Les mécanismes psychologiques de la violence. Quand vous subissez cette infériorité depuis des mois voire des années, vous l’intégrez comme étant quelque chose de banal et la relation que vous avez avec l’agresseur est quelque chose de normal pour la victime». Conséquence : la complexité de cette forme de violence rend difficile à la fois sa condamnation et son expression. « Quand ce sont vos parents qui vous dénigrent, vous critiquent et vous rabaissent depuis votre tendre enfance, vous associez cette relation à quelque chose de normal, quoique très formelle et cordiale mais à aucun moment vous ne remettez en cause cette relation. Vous le ferez uniquement le jour où vous comparerez cette relation avec quelqu’un d’autre ou justement quand vous n’habiterez plus avec eux (c’est-à-dire vos parents, les agresseurs dans cet exemple précis) », témoigne Jean-Louis Le Run. Résultat : la blessure, la souffrance de cette forme de violence peut être ressentie au moment même où elle est vécue mais pas nécessairement, la douleur pouvant également naître des années après avoir été ressentie, juste parce qu’elle vient d’être assimilée par la victime.
La complexité de cette même définition, la multiplicité des cas, des situations, et de leur simple compréhension pour les victimes font de la violence psychologique à la fois la forme de violence la plus oubliée, la plus silencieuse et la plus méconnue. Si nous ne parlons que très peu de celle-ci c’est donc à la fois parce que la société a tendance à assimiler la violence comme quelque chose surgissant nécessairement d’un conflit, tout en étant facilement identifiable et en laissant des traces « corporelles ». Par conséquent, la violence psychologique est relayée dans nos sociétés modernes comme une situation du moins complexe mais surtout quasi-inexistante, aucun article ne traite véritablement le sujet, aucune thèse ne condamne cette violence. Cette absence de visibilité sur la scène politique, intellectuelle et sociale fera que la victime ne prendra pas la parole dans le champ médiatique, son cas étant assimilé à un exemple très/trop précis de l’expression de la violence morale, les conséquences sur la victime pouvant également varier selon sa force mentale, sa détermination, et son bien-être psychologique.
Emma Garnaud
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