Si certains considèrent que la guerre culturelle relève plus du soft-power que de la propa- gande et adoucissent la morale d’une telle opération, il n’en est rien. La propagande est la force d’un Etat et non de la société ci- vile, elle cherche à changer en profondeur les mentalités, et les raccrocher au mieux à la pen- sée de celui qui déploie cette force. La CIA reste au service de l’Etat américain en l’occurence. Le philosophe américain Sidney Hook embauché par la CIA dans la guerre culturelle de la guerre froide déclarera ceci : « ... rééduquer le public français me semble la tâche la plus fondamentale pour notre po- litique... rien d’efficace n’a été fait ici... il faudra purifier les es- prits européennes par une purge des expressions du mode de vie américain qui est en conflit avec la politique démocratique américaine à l’étranger... » ( 1 ).
Après la Seconde Guerre Mondiale, s’opposeront deux mondes, et deux idéologies aux antipo- des. La majorité de l’intelligent- sia française et européenne, le monde artistique, écrivain, est alors tenté par l’idéal commu- niste. Cette vérité encore plus forte en France pose à l’évidence un problème aux américains. Comment détourner cette attention ? Cette guerre déclarée à l’Ouest, commence par ce pos- tulat défaitiste pour les américains et par une conférence le 25 mars 1949 au Waldorf Astoria.
Cette conférence réunissait de grands intellectuels des deux mondes, écrivains, musiciens, philosophes...s’affrontant plusieurs jours sur le sujet de la valeur de leur idéologie respec- tive. Les intellectuels portaient les idées de leur régime mais non la manière dont étaient ap- pliquée ces idées par leur gou- vernement. Ils n’arrivèrent à considérer l’une plus juste que l’autre. En vérité ces intellec- tuels étaient d’accord entre eux! Donald Jameson ex-agent de la CIA conclura en ces termes : « Si nobles qu’étaient les communistes, ils nous fallait agir non par la répression mais par un programme général visant ce que l’on peut appeler aujourd’hui la fin de la guerre-froide. »
En définitive la victoire des Etats- Unis, mais par quel programme ? Cette vaste mission qui fût coor- donnée majoritairement par un homme liaient des centaines d’artistes, professeurs, bar-man, policiers, vendeurs au service du renseignement américain. Si vaste qu’elle fût nous sélection- nerons donc certains sujets du combat vu l’ampleur du constat.
Cette guerre débuta par la création d’un Congrès et de la « Mission Congrès » : le Congrès pour la liberté artistique » domicilié à Paris. C’était une gigantesque association culturelle anti-communiste. En avril 1966, il est révélé que la CIA finance se- crètement le Congrès au travers de fondations écrans, ce qui fait scandale. Il est fondé le 26 juin 1950 par l’agent du renseignement américain Micheal Josselson et son supérieur Lawrence de Neuville qui opère depuis le Mouvement Ouvrier Français.
Le financement du 4ème pouvoir.
Le Congrès a opéré sous plusieurs financements, directs ou non. Le financement de Radio Free Europe domicilié à Prague. Par sa première revue anti-communiste : « Preuves » fondée par François Bondy ancien membre du parti communiste. Cette revue affrontait « Les Temps Modernes » de Sartre et Beauvoir farouchement communistes. Il fallait étendre le pouvoir du Congrès à l’Europe. S’en suit la création de l’Association Ita- lienne pour la liberté de la culture de Ignazio Silone en 1951... toute antenne était reliée à la CIA. Micheal Goodwin directeur de la revue Twentieth Century re- cevra entre 2000 et 700 livres à partir d’août 1951, il deviendra le directeur du cinema et théâtre à la BBC alors qu’il était employé de L’IRD ( Information Research Department ). Ce département britannique du renseignement sous contrôle américain procé- dait de la « diffusion de la pro- pagande américaine anti-sovié- tique » selon Jeff Broadwater (3) - « Partizan Review », « Daeda- lus », « Hudson », « Kenyon », « Poetry », « Sewanee » et « The Journal of the History of Ideas » mais encore « Liberta della Cultura » et « Tiempo Presente », « Franc-Tireur » , « Le Figaro Littéraire ». « Hiwar », « Transi- tion », « Quadrant », « Quest », « Forum », « National Review », «Science and Freedom » et même « Soviet Survey ».... des centaines de revues presse, magazines, journaux financés par l’Agence.
Le financement se faisait par plusieurs centre d’accueil voués à brouiller les pistes : - Compte privés en Alle- magne à l’attention du Bureau Berlinois du Congres. - Codignola Trista rédacteur de Nuovo Italia faisait office de transfert vers le Bureau Milanais - Pendant un moment le GQ de l’organisation se situait à l’Hôtel Baltimore à Paris : des sommes co- lossales transitent de Manhattan vers ce lieu, 200 000 dollars ( 1,5 millions en 1999 ) chaque mois.
Si le Plan Marshall apportait une aide fiduciaire à hauteur de 10% pour le rétablissement européen, 90% consistait en le rachat de produit culturels américains. Ceci créant des fonds de « contre-valeurs » permettant le financement de la branche opérationnelle cultu- relle de la CIA à hauteur de 200 millions de dollars par an. (3)
L’art contemporain.
« L’opération de désinformation la plus réussie de la CIA est l’opération de financement del’art contemporain en Europe» Thomas Braden ex haut-responsable de la CIA. (2 et 3). Il fallait selon Frances ConorSaunders créer une forme d’artqui ne disait plus rien sur rien,qui ne s’enracinait plus dans lasociété. Un art qui rompt avecla richesse traditionnelle ar-tistique du travail. C’est-à-direl’apprentissage du travail de lapierre par exemple. Certains ar-tistes sont alors désignés commeplus qu’artistes mais comme des« créateur » de génie. L’égo est alors gonflé par la perspective de croire que seul eux seraient nés avec un don. Leur proposer de faire que ce qu’il leur passait par la tête, de créer de la valeur sans créer de la richesse. Par richesse on entend la travail tra-ditionnel artistique ( de la pierrepar exemple...). Créer de la valeur sans créer de la richesse estle rêve du capitalisme donc del’idéologie américaine. Il fallait étendre cette logique en Europe. En 2012 Donald Jameson s’est confié au journal « The Independent » et explique que la CIA a soutenu et promu les toiles des maîtres de l'expressionnisme abstrait américain dans le monde pendant plus de vingt ans. Pourquoi ? Parce qu’aux yeux de la CIA, le mouvement artistique démontrait l’existence d’une créativité, d’une liberté qui n’avait pas d’équivalent en URSS. La guerre froide se faisait sur tous les fronts: « L’expressionnisme abstrait permettait de faire apparaître le réalisme socialisme comme encore plus rigide et confiné qu’il ne l’était ».
Quand, comme à Avignon en 2005, des « artistes » se font pipi dessus on appelle cela de l’art. Au Bolchoï à Moscou elles ne se pissent pas dans le tutu, c’est donc un pays autoritaire voyez-vous. Celui-ci n’encourage pas la « totale liberté artistique »... Est alors renforcé le sentiment que si ces « génies » laisseraient des « oeuvres » difficilement compréhensibles cela explique- rait justement leur génie. Car leur travail serait issu d’une pen- sée complexe que le simple pu- blic ne pourrait comprendre, il seraient « trop loin pour nous ». En réalité je pense que c’est le contraire, et que ne pas com- prendre un travail artistique ne signifie pas l’existence d’une explication complexe. Que si certains s’adonnent à un minimum de réflexion, beaucoup font ce qui leur passe par la tête sans aucunes espèce de réflexion. L’art contemporain représente la fin du véritable travail artistique, preuve en est de la précarité des artistes traditionnels. Ne sont éligibles que ceux alors nés avec un don. Plus besoin d’apprendre à sculpter, coudre, peindre ( travaux traditionnels) puisque le talent artistique serait une affaire de don dès la naissance. Et on ne remet pas en cause le don naturel et absolu.
Je passerai certainement aux yeux d’intolérants comme un facho, puisque l’Art Contemporain est aujourd’hui difficilement critiquable. On ne peut remettre en question le « génie » ( supposé évidemment ) de quelques humains se laissant aller à la simplicité. Mais simplicité ou non ils sont perçus comme des Créateurs, des absolus. Soit vous approuvez sans comprendre, soit vous êtes contre et donc vu comme un ignare reac’ et fasciste. Voici ce qu’on peut appeler : L’intolérance au nom de la tolérance.Je livre un dernier exemple historique de l’importance de cet art pour l’Agence : En 1974, il y eu un risque fort de famine en URSS, le président Nixon accepte d’envoyer au pré- sident Brejnev des millions de tonnes de blés si et seulement si le régime soviétique accepte qu’une quinzaine d’artiste se représentent en art contem- porain sur une place de Moscou. Telle était la principale teneur de l’accord de 1974. (3)
Voici par quelques exemples comment la CIA a mené et mène une guerre culturelle pendant la guerre-froide. Guerre qu’elle a remporté. Notre sujet s’ouvre par ce que disait Fichte de la liberté :«... êtes vous certains d’être libre ? D’aimer cette chanson parce que vous l’aimez vous ou alors parce qu’on vous matraque avec et que vous fi- nissez par aimer la chanson qui est celle de tous ? ... ».
Pour aller plus loin :
(*) « Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre culturelle » de Frances Conor Saunders.
(1 ) Sidney HOOK « Report on the International Day of Resistance to Dictatorship and War », 1949.
(2) ARTE : « Quand la CIA infiltrait la culture » Hans-Rüdiger Minow, 2006(3) Frances STONOR SAUN- DERS, « Who paid the pi- per ? The CIA and the Cultural Cold War » 1999
par Bertrand De Blois
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