≪Il s’agit de faire tomber d’une hauteur suffisante la lame lestée d’un poids (le « mouton ») sur la nuque d’un condamné. […] Au moment où la lame tombe, il doit être allongé sur le ventre, la nuque à l’aplomb du couperet, bien dégagée et immobilisée. […] Le long de la bascule est disposé un panier d’osier pour recueillir le corps, et devant la lunette, un récipient reçoit la tête tranchée≫.
La guillotine, instrument qui servit à décapiter les condamnés à mort, fut utilisée pour la dernière fois le 10 septembre 1977 à Marseille. C’était par le biais de ce procédé, décrit par l’historienne Anne Carol dans son ouvrage Au pied de l'échafaud, que la justice percevait la solution dans le crime, au fond d’un panier en osier. L’élimination du crime passant alors naturellement par l’élimination du criminel. Cette loi du Talion - qui croit possible d’infliger la violence pour réparer la violence - semble si lointaine. Et pourtant, selon un sondage Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, 55% des Français seraient favorables au rétablissement de la peine de mort contre 44% en 2019. C’est un chiffre record encore jamais atteint en huit ans, qui témoigne du retour en puissance en France du débat sur la peine capitale pourtant abolie en 1981 à l’initiative de Robert Badinter, Garde des Sceaux, sous la présidence de Mitterrand. Sujet polémique de par ses implications morales et son efficacité controversée, cette hausse de 11 points de pourcentage entre 2019 et 2020 semble faire preuve de l’indécision des Français sur la question.
Mais comment expliquer cette augmentation massive?
À chaque fois que se produit un crime qui mobilise l’opinion publique et qui fait horreur, de par ses conditions de commission et la malheureuse victime, la voix de la population s'élève pour demander le retour de la peine de mort ou la perpetuité. En 2015, 52 % des Français y étaient favorables, une hausse de 7 points par rapport à l’année précédente. Les attentats de janvier avaient ainsi joué un rôle central dans cette augmentation. La violence est donc aujourd’hui de moins en moins tolérée, qui plus est avec la libération de la parole des victimes de crimes sexuels, mais également avec le contexte du procès des attentats de Charlie Hebdo. Cependant, ces sondages font appel à une réaction spontanée, émotionnelle. Et avec la question de la peine de mort, la réponse qui fait suite à une réaction émotionnelle est de se projetter en tant que victime potentielle, en pensant à ses proches. La volonté de vengeance survient alors, et la réponse tend vers le rétablissement de la peine de mort. Le rôle de l’Etat est pourtant de substituer à la Loi du Talion, une Justice qui pacifie et régule, et ne répond pas à des pulsions de vengeance que nous aurions tous, moi la première. “Œeil pour œil et le monde finira aveugle” comme l’a si bien dit Gandhi.
Un sondage ne peut donc suffir à la compréhension de l’abolition de la peine de mort. La peine capitale ne peut se résumer à un débat simpliste et manichéen opossant le camp du mal contre celui du bien. C’est en partie alors, un dialogue de sourds qui prend place entre les partisans et les opposants de cette pratique, car au-delà de son efficacité, la question est majoritairement morale et philosophique. Elle touche aux convictions les plus profondes des individus, ceux-ci ne possédant pas la même hiérarchie des valeurs et détenant une conception de la société et de l’homme différente et propre à chacun. Chaque démonstration se déploie à partir d'un certain nombre de principes éthiques indémontrables.
Si le débat s’avère complexe, il permet la nécessaire et constante remise en question des pratiques punitives, des institutions pénales et de la justice en générale. Les sociétés se doivent de rester vigilantes à ce sujet. Les raisons ayant mené à l’abolition de la peine de mort sont légitimes à mes yeux, et son aspect moral, même s’il possède une dimension très largement contestable comme dit plus haut, résonne avec mes principes.
Ainsi, Robert Badinter mentionne que : ”La justice est rendue par des êtres faillibles. Rien n'empêchera jamais les erreurs judiciaires”. Comment peut-on infliger une condamnation infaillible et définitive, sans possible retour en arrière, tout en sachant qu’une marge d’erreur existe? Tant que la justice commettra des erreurs, elle ne doit pas déclarer une sentence qui ne peut être annulée. On se targue de réparer un crime par la peine capitale en prenant le risque de ne pas réparer les erreurs même de la justice. À titre d’exemple, le doute planne toujours sur l’incrimination de Christian Ranucci (condamné à mort en 1976) dans l’enlèvement et le meurtre de la petite Marie-Dolorès.
Toutefois, selon Michel Foucault : “Renoncer à faire sauter quelques têtes parce que le sang gicle, parce que ça ne se fait plus chez les gens biens et qu’il y a risque, parfois, de découper un innocent, c’est relativement facile. Mais renoncer à la peine de mort, en posant le principe que nulle puissance publique (pas plus d’ailleurs qu’aucun individu) n’est en droit d’ôter la vie de quelqu’un, voilà qu’on touche à un débat important et difficile”.
En effet, la question clé dans ce débat repose sur la limite du pouvoir étatique et sur son potentiel droit de tuer. Ainsi, puisque l’Etat détient le monopole de la violence physique légitime, celui-ci ne devrait-il pas également posséder le droit de tuer ? Oui, l’Etat possède des prérogatives qui sont censés lui permettre d’assurer l’intérêt général, mais le droit de tuer est facteur de maux infinis, d’altération du caractère et de perte du sentiment de bienveillance. Ce n'est pas une démarche rationnelle de mettre quelqu'un à mort : c'est l'échec de la raison. Mais surtout, le fait que la puissance publique puisse posséder un droit de décision sur la vie ou la mort de sa population représente un danger pour la sûreté de celle-ci et peut annoncer l’avènement d’un certain autoritarisme. En effet, les pays qui l'appliquent encore aujourd’hui sont majoritairement des régimes totalitaires ou autoritaires. Donner le pouvoir de décider de la vie ou de la mort d’un accusé, c’est aussi prendre le risque de nombreuses dérives. Il est sans rappeler que l’homosexualité est encore passible de la peine de mort dans 12 pays du monde. Ainsi, il devient question de quel acte, quel comportement mérite la mort. Le risque réside également dans le fait que la peine de mort soit utilisée par les gouvernants afin d’éliminer “légalement” des individus qui gênent le pouvoir en place tels que des opposants politiques, des intelectuels, des groupes ethniques…
De sûrcroit, ôter de manière barbare la vie à des assassins, nous range ainsi nous-mêmes au rang des assassins. La peine de mort s'écarte même de ce qui fait la force de la loi, à savoir s'extraire de l'ordre naturel. Elle commet alors à son tour un crime plus grave encore car il est prémédité, annoncé et organisé pour punir un acte qui relève d'une pure violence. Finalement, l’horreur de l'acte du criminel s'efface derrière la barbarie de la sentence.
Ensuite, l'argument voulant que la peine de mort soit un moyen de lutter contre la criminalité s'est trouvé discrédité à maintes reprises. Il n’a jamais été prouvé que la peine capitale soit plus dissuasive que l'emprisonnement. À titre d’exemple, au Canada, le nombre d’homicides en 2008 était inférieur de moitié à celui de 1976, lorsque la peine de mort y a été abolie. De plus, les condamnés susceptibles d’être éligible à la peine de mort représentent une minorité, la réduction des coûts de l’Etat pour ces prisonniers à longue période de sûreté ne représente donc pas une économie substancielle. Enfin, plusieurs études américaines révèlent que la peine de mort coûterait trois fois plus cher que la prison à vie. C’est ainsi pour la raison économique que les États américains du Nouveau-Mexique et de l’Illinois ont respectivement aboli la peine de mort en 2009 et 2011.
Au-delà de ces arguments souvent présentés, tout l’enjeu repose sur la portée du droit à la vie dans la répression du crime. Il est vrai que les partisans de la peine de mort défendent l’affirmation du caractère littéralement vital du respect du droit au cœur des rapports sociaux. Comme le préconise Rousseau, le malfaiteur qui ne respecte pas le droit social trahit sa patrie et le contrat social. “Alors la conservation de l'État est incompatible avec la sienne, il faut qu'un des deux périsse”. Mais condamner des individus à mort, c’est faire le constat que deux types de criminels existent. Ceux qui peuvent changer, redevenir des hommes et retrouver la société des hommes libres, et ceux qui sont intrinsèquement irrécupérables. Une sorte de fatalité biologique et psychologique s’abattent sur ces individus. Cette question oppose des visions diamétralement opposées de la société, du rôle de la justice, mais surtout de la nature humaine. Le criminel peut-il changer ? A-t-il le droit à une deuxième chance malgré les crimes les plus horribles qu’il a pu commettre ? La pratique pénale qui est censée avoir pour rôle de corriger, ne tombe-t-elle pas dans la facilité quand il est question de peine de mort ? La peine capitale s’affranchit de l’obligation de soin des malades mentaux: il est plus simple d’assassiner l’assassin que de le soigner. Que devient le corps social et son rôle fondamental d’élévation et d’éducation ? La peine de mort nie donc la rédemption et la réhabilitation. Il s’agit d’un conflit sur l’essence même du droit pénal. Deux idéologies sont donc confrontées : une vision plus humaniste qui tend à favoriser la réinsertion du détenu et une autre plus sécuritaire pour qui la finalité du droit pénal reste la sanction et non la réinsertion.
Mais, dans les faits, un retour de la peine de mort en France est-il possible ? L'article 66-1 de la Constitution dispose que : " Nul ne peut être condamné à la peine de mort ". Par ailleurs, pour rétablir la peine de mort, la France devrait sortir de deux traités internationaux. L'abolition de la peine capitale, en toutes circonstances, figure ainsi dans deux protocoles additionnels à la Convention européenne des Droits de l'Homme, ratifiés par la France. La France est également signataire, depuis le milieu des années 2000, d'un protocole facultatif au “Pacte international relatif aux droits civils et politiques” de l'ONU, qui prévoit l'interdiction de la peine capitale. Mais la peine de mort, c’est aussi le non-respect du droit à la vie. C’est un principe absolu et fondamental garanti par les articles 3 “Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne” et 5 “Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants” de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Il est donc très peu probable que la peine de mort soit rétablie.
Finalement, cette poussée soudaine dans les sondages de la volonté du rétablissement de la peine capitale peut être mise en persepctive avec la perte de confiance des Français en la Justice. D'après une enquête de l'Ifop, seulement 53 % des interrogés ont aujourd'hui encore foi en l'institution judiciaire. Pour 62 % d'entre eux, elle fonctionne mal. Des peines jugées pas assez lourdes, une justice trop laxiste. Comment protéger la société de ses criminels ?
La peine à perpétuité peut sembler être un bon compromis, puisque c’est une peine punitive et protectrice de la société. Mais existe-t-elle en France? Il faut savoir que depuis une loi adoptée en 1994, les cours d’assises peuvent, sur décision spéciale, prononcer des peines à perpétuité assortie d’une période de sûreté pouvant aller jusqu’à 30 ans. Il existe également des peines à perpétuité dite incompressible mais qui sont très rarement prononcées. Cependant, en France, la perpétuité sans possibilité de libération n’existe pas. Même les détenus condamnés à la réclusion criminelle incompressible peuvent espérer un aménagement de peine mais sous des conditions très strictes. Tout comme la peine capitale, la prison à perpétuité incompressible agite tout autant les débats. Ainsi, lorsque les parlementaires ont éprouvé le besoin de trouver une peine de substitution à la peine capitale, Robert Badinter répondit : “Une substitution à la mort je n’en voyais pas, et que remplacer un supplice par un autre supplice, c’est-à-dire une perpétuité perpétuelle sans aucun espoir, jamais, de sortir de prison, me paraissait tout à fait indigne”.
Finalement, la question sous-jacente commune à la peine de mort et à la prison à perpetuité réside dans le rôle de la justice. Devons-nous tendre vers une justice punitive qui essaye de rétablir l'équilibre social dans une démarche de vengeance, ou vers une justice restaurative qui souhaite réparer ou compenser le plus possible les préjudices causés ? Quelle que soit la réponse à cette question, le simple fait d’y réfléchir est un acte primordial. Il permet de faire de la pénalité un lieu de réflexion incessante et de remise en question afin de ne pas laisser tomber les institutions pécuniaires dans l’immobilisme face à une société et des individus en constante évolution.
Sarah Fleury
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