top of page
  • Photo du rédacteurAlbert Controverses

« Chacun fait ce qu’il veut » ou l’artifice du libre arbitre

Dernière mise à jour : 24 oct. 2020

Dans un bar, autour d’une pinte – chouffe de préférence – une discussion. Les idées

s’échangent, les opinions fusent. Tout à coup, c’est à propos de la consommation de viande d’abattoir, de la création d’un compte OnlyFans ou bien de l’achat du dernier « item de la collection FW 20 Supreme x Palace », quelqu’un parmi l’assemblée affirme : « Roh mais c’est bon, on se détend ! De toute façon chacun fait ce qu’il veut ». Assis parmi la foule, cette phrase résonne dans ma tête. Sur le chemin pour rentrer chez moi, mes pensées se baladent et cherchent à trouver une certaine légitimité à cet énoncé : « Chacun fait ce qu’il veut ». C’est alors que mes envies de philosopher s’emparent de moi, me traversent de part en part, et c’est dans cet article que j’aimerais vous en faire part. Au carrefour de mon esprit, je pourrais tourner à gauche direction : « L’Homme est-il condamné à être libre ? ». Ou bien, aller tout droit vers l’idéal platonicien et prendre la prochaine sortie qui donne sur Aristote. Toutefois je ne prends pas le virage à droite à cause de ce monstrueux panneau « La liberté, c’est l’argent et le profit » sponsorisé par Vinci autoroute. Coincé, je me retrouve donc à faire du surplace. Je dois faire un choix. Je n’aime pas faire de choix.


Choisir, c’est renoncer. Certains pourraient néanmoins affirmer que faire un choix est en somme un signe de notre liberté : contraint pour avancer je dois prendre une direction et ma décision d’aller à gauche, tout droit (et pas à droite) témoigne in fine de ma liberté. Comme Kierkegaard, il serait possible d’ajouter que de cette liberté infinie de choisir naît une certaine angoisse, celle de ne jamais savoir si l’on fait le bon choix. Il n’empêche que ce choix fait de moi un homme libre. Or, cette croyance doxastique au libre arbitre, je n’y accroche pas. C’est pourquoi je vais essayer, dans la mesure du possible, de formuler et d’ordonner ma pensée envers et contre ce dogme du « chacun fait ce qu’il veut ».

« Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres et cette opinion consiste en cela seul qu’ils sont conscients de leurs actions, et ignorants des causes qui les déterminent ». Cette citation du philosophe déterministe Baruch Spinoza tirée de son ouvrage L’Ethique en dit long sur l’état actuel des choses. L’Homme, de ce que j’ai pu observer de la société française contemporaine, est soumis à une multitude de contraintes et de déterminismes extérieurs à lui-même, laissant ainsi peu de place à un soi-disant “libre arbitre”, ou à une liberté totale de l’individu.

Grâce au progrès de la médecine, il est possible d’énumérer un nombre assez conséquent de mécanismes biologiques et de réactions chimiques s’opérant à l’intérieur du corps humain et du cerveau, influençant fortement nos réactions, nos réflexes et nos manières d’agir. Le neuroscientifique Christian Lüscher a réussi à mettre en avant en 2017 les mécanismes biologiques communs aux différentes addictions : alcool, cocaïne, tabac et même sucre (processus de « liking », « learning » et « wanting »). Ce n’est pas pour rien qu’il est si dur de priver les enfants de leurs bonbons Haribo en tout genre. De plus l’effet des hormones sexuelles (la testostérone et l’œstrogène) ont aussi un impact sur l’humeur et les comportements (prise de risques liée au taux de testostérone par exemple). Par ailleurs, les mécanismes psychologiques à l’œuvre jouent un rôle prépondérant, sur le plan politique par exemple, avec l’effet bandwagon (voter pour le candidat en tête des sondages) ou encore l’effet underdog (voter pour le candidat en chute dans les sondages). Cet aspect psychologique est d’autant plus pris en compte aujourd’hui, même au niveau de l’analyse économique, intégrant la notion d’individu irrationnel.



En effet, économiquement nos comportements, nos façons et propensions à consommer varient fortement et définissent nos champs d’action. Né riche vous serez riche, né pauvre vous risquez de le rester comme en témoigne les chiffres de l’OCDE en 2017 sur le fait qu’il faille 6 générations pour que les descendants de familles modestes atteignent un revenu moyen. La France prend alors la dernière place en Europe, derrière la Hongrie, en terme de mobilité sociale. L’accumulation de richesse fait d’autant plus tendre vers une consommation ostentatoire de produits de luxe, et les rappeurs américains comme les Migos, Lil Uzi Vert, ou Young Thug sont les premiers à faire valoir leurs montres en diamants dans leurs textes et à l’écran. A l’inverse, ce n’est pas non plus pour rien si les étudiants ont une forte appétence pour les pâtes si de l’autre côté ils dépensent un mois d’APL en pinte au bar. Une limitation des capacités économiques des individus participe donc évidemment à un lourd déterminisme sur la façon de consommer et constitue aussi une contrainte forte sur l’ascension sociale et la possibilité de dépasser sa condition économique et sociale de base. Au restaurant, la manière qu’a un pauvre de choisir son repas à la carte (en fonction du prix) va largement différer de celle d’un riche (qui va choisir beaucoup plus en fonction du repas qu’il souhaite manger).


Toutefois, ce dernier point est aussi cimenté à l’intérieur d’un autre déterminisme – social. La pression des pairs, à s’intégrer et, par conséquent, à assimiler les comportements caractéristiques du groupe applique une contrainte forte sur l’individu. Le mimétisme social code une partie de nos comportements en société : Je fume car mes amis fumaient avant moi. On peut alors se poser la question : combien de participants aux manifestations après l’attentat de janvier 2015 marchant pour la défense de la liberté d’expression le sont aujourd’hui pour protester contre le tout récent Schéma National de Maintien de l’Ordre publié par le Ministère de l’Intérieur, interdisant aux journalistes de participer aux manifestations sans avoir été accrédités par les autorités ? Bien peu, hélas, car il est plus simple de copier autrui, parfois sans même le vouloir, et de mettre un filtre Facebook « Je suis Charlie ». Le déterminisme social agit sur pleins d’autres échelles encore : la famille à travers l’héritage matériel et culturel, l’environnement social plus global (la nation et les loisbqui émanent de l’État), les médias et les différentes représentations du réel qu’ils (ainsi que la sélection de l’information) … L’individu baigne aussi dans un contexte culturel précis qui fixe en partie ses manières de penser et d’agir. La particularité de la culture est qu’elle est en perpétuelle évolution et que, d’une génération à l’autre, les contraintes exercées sur l’individu peuvent être totalement différentes. Nous sommes tous plus ou moins soumis à une idéologie précise qui polie chaque jour, et de mieux en mieux, notre façon de penser (religion, libéralisme, socialisme, communisme etc.). Aujourd’hui, la mode a une absence totale d’idéologie au service du grand capital à travers une réelle culture « Internet ». Elle se développe notamment via les réseaux sociaux où règnent l’uniformisation des comportements et le nombrilisme. Il est intéressant de se pencher sur le cas des Stories Instagram. A priori une story au sens propre se distingue par son originalité, toutes les histoires sont différentes, exposent des personnages aux mentalités complexes qui s’animent à l’intérieur d’un récit. Or, une story au sens d’Instagram tient plus de la banalisation et de la répétition, où dans chacune d’elle les utilisateurs y exposent les mêmes histoires (restaurant, musique, soirées etc.). Ainsi cette culture Internet, dans laquelle les GAFAM y ont parfaitement la main mise, standardise les comportements à une échelle mondiale (1 milliards d’utilisateurs actifs mensuels pour Instagram, 2,1 milliards pour Facebook) aliénant les individus (ce que je fais doit se retrouver

sur les réseaux) au profit de ces grandes firmes multinationales qui s’enrichissent sur leur dos.


Ce dernier point nous amène à ce que je considère comme le plus grand facteur de

détermination de nos manières d’agir et de penser : le système capitaliste de prédation et de mise en compétition des individus. Il regroupe plus ou moins la plupart des déterminismes cités plus haut et se meut en une machinerie parfaite créatrice de citoyens esclaves parfaitement dociles et aveugles quant aux mécanismes qui se déchaînent sur eux.

Est-ce vraiment être libre que de devoir vendre sa force de travail sur un marché toujours plus sélectif dans le seul but de pouvoir se nourrir et se loger ? Est-ce vraiment être libre que de faire des soldes à -50% à H&M où les vêtements sont produits à 80% au Cambodge par des ouvriers payés 75 dollars le mois et travaillant dans des conditions insalubres ? Enfin, est-ce vraiment être libre que de vendre sur internet des photos de son corps nu ? Surfant sur une misère sexuelle d’une société hyper sexualisée qui diffuse en permanence des contenus pornographiques dans la publicité, l’art contemporain, les séries ou encore la musique (à noter que 52% des 14-17 ans ont déjà vu une vidéo porno).

A la sortie, on ne retrouve que des individus obnubilés par le profit et qui se contentent de consommer ce qu’on leur met sous le nez.

Ne vous détrompez pas, je ne prétends absolument pas être exempt de tous ces déterminismes à l’œuvre, bien au contraire, puisque mon propos est de dire que personne n’y échappe. Néanmoins, à la différence de certains, je suis conscient de tous ces rapports de force à l’œuvre et je possède le recul nécessaire pour me dire que je suis un spectre (au sens foucaldien) qui transparaît le pouvoir, la culture, la société. Cette lucidité n’est pas sans désavantages car elle suscite une certaine angoisse, un vide dans lequel il est alors difficile de se sentir vraiment libre. Pour y faire face certains adoptent un style de vie d’esthète

clochardisé (sortir tous les jeudis soirs pour s’alcooliser en finissant par vomir dans les toilettes), d’autres partent en vacances pour essayer de s’évader de leur travail, d’autres encore traînent dans les halls d’immeubles avec pour seule compagnie le réconfort d’un joint.


En fin de compte, chacun trouve son propre refuge sans pour autant échapper à cet enfer déterministe fermement gardé par ce cerbère de la fatalité dressé par le grand capitalisme, et qui aboie sur notre libre-arbitre.

Alors à celui qui dit volontiers : « Chacun fait ce qu’il veut ». Je lui réponds que non.

Personne ne fait ce qu’il souhaite. De cette impossibilité à faire ce que l’on veut, à être limité dans ses choix ou bien à être déterminé au préalable sur les choix à faire, naît l’Angoisse.

Peut-être - qui sait ? - qu’avec le renversement du système capitaliste et son remplacement par un système communiste où le travail aurait retrouvé sa fonction émancipatrice, chacun serait enfin libéré de tous ces sanglants déterminismes. Malheureusement, aujourd’hui, dans

nos sociétés post-modernes, l’enjeu tacite pour la majorité est de nier puis d’oublier cette angoisse qui pousse à réfléchir sur sa propre condition et de vivre ainsi d’hédonisme et de

dopamine en attendant que la fin arrive …


Quentin Betrancourt-Couaillet


19 vues1 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page