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Comment équilibrer “liberté” et “égalité” ? - Fahim Bounoua

Liberté et égalité. Deux notions si profondes, toutes deux en apparence opposées mais dont l’intrication est si forte qu’on ne peut penser l’une sans penser l’autre. Deux notions clés dans notre monde d’aujourd’hui car penser l’égalité c’est penser notre présent et penser la liberté c’est penser notre avenir. Deux notions complexes qu’il faut alors borner, définir et étudier avant d’en parler.

Avant de parler de liberté il faut absolument sortir du débat métaphysique sur la liberté de la volonté que l’on appelle libre-arbitre. C’est en effet totalement hors-sujet lorsqu’on parle de liberté au sens que l’on pourrait dire “politique”. La notion de liberté implique toujours implicitement à la notion de règle, le libre-arbitre est alors la liberté de la volonté face aux règles de la nature, et peu importe que l’on soit déterministe quant à la liberté, les règles dont on parle lorsqu’on se demande si nous sommes libre au sens usuel sont les règles que nous impose l’État, les lois, l’autorité politique en général. On parlera donc uniquement de la liberté vis-à-vis de contraintes politiques. Notez aussi que l’on peut s'intéresser à la contrainte qu’exercent les normes sociales même si c’est plus diffus et difficile à étudier, nous allons mettre ça de côté et nous n’en parlerons pas.


La liberté, en ce sens, c’est avant tout des lois qui ne contraignent ni de faire une action, ni de ne pas la faire, et qui en plus contraignent les autres à ne pas interférer avec mon choix de faire cette action. C’est la définition la plus simple que l’on peut faire de la liberté. Cette définition de la liberté à pour seul paradoxe la célèbre citation de Benjamin Franklin : “Un peuple qui sacrifie un peu de liberté pour un peu de sécurité est un peuple qui ne mérite ni l’un ni l’autre et qui finira par perdre les deux”. Il faut noter que cette citation, pour des raisons assez compliquées, avait pour but original de justifier une taxe qui servirait à la défense des frontières face aux Amérindiens et aux Français. Ce n’était pas pour critiquer la taxe, non, c’était pour la justifier. Ce paradoxe en apparence n’en est pas un premièrement car une loi est par définition contraignante (sinon on ne l’appellerait pas loi mais simple recommandation), et deuxièmement car une loi contraignante à pour objectif d’éviter qu’un tort soit infligé à autrui, ce qui est donc une façon d’accorder plus de liberté aux individus et c’est d’ailleurs pour John Stuart Mill (dans De la liberté) la seule raison pour laquelle une loi devrait être créé, lui qui était pourtant un défenseur des libertés individuelles assez radical.


Enfin, la liberté ce n’est pas non plus le “laissez-faire”, c’est même l’opposé du “laissez-faire”. Par exemple, l’absence d’instruction publique de qualité limite considérablement les libertés des populations exclues de l’accès au savoir. On n’est pas libre quand on est assigné de force à l’ignorance. Le “laissez-faire” total consiste à laisser le secteur privé se charger intégralement de l’instruction, et aboutit à interdire l’accès au savoir à la population la plus pauvre de la société.

Par extension, cette définition de la liberté que nous avons donnée implique que l’égalité soit l’isonomie, l’égalité civique et politique entre nous, citoyens athéniens. Cette définition peut surprendre, que l’égalité soit uniquement une affaire de droits civiques et de droits politiques. Néanmoins, l’égalité doit absolument être dissociée de l’égalitarisme. L’égalitarisme c’est la volonté et l’obsession d’invariabilité des résultats peu importe les qualités personnelles et les efforts de chacun. L’égalitarisme s’oppose donc au mérite (vous vous y connaissez en mérite, vous étudiants à Sciences Po Aix qui me lisez), qui était pourtant une valeur progressiste au temps de la Révolution française où seuls les nobles et les bourgeois avaient accès au pouvoir. L’égalitarisme fonctionne par le nivellement forcé vers le bas, car l’objectif est moins le traitement égal de chacun que la détection des qualités individuelles travesties en privilège à combattre et la transformation de la médiocrité en handicap qu’il convient de corriger.

Là où l’égalité est l’émancipation de l’individu à l’arbitraire et aux privilèges, l'égalitarisme est un asservissement de l'individu au devoir de corriger les différences entre les hommes en les supposant anormales et intolérables.


Liberté et égalité sont en apparence opposées, mais en réalité complémentaires l’une et l’autre et très similaires. Elles sont similaires de part les dangers qu’elles encourent. Nous l’avons vu, le risque pour l’égalité c’est d’être confondu avec l’égalitarisme, ce qui est très souvent le cas. On pourrait répondre que la définition d’égalité ici invoquée est réductrice. Pourtant, c’est bien cette définition qui, à terme, a permi de mettre en lumière des déterminisme sociaux, économiques et culturelles qui ont dans un premier temps permis d'accroître nos libertés en comprenant les mécanismes derrières ces déterminismes, mais qui ont dans un second temps justifié des politiques égalitaristes et donc liberticides. Et bien que ces études sociologiques aient été détournées pour évincer la liberté du prisme de lecture, il ne faut pas oublier le caractère incontournable des sciences sociales pour comprendre les mécanismes sociaux qui entravent les libertés individuelles. Sans verser dans l’égalitarisme destructeur, on ne peut se contenter de la seule égalité devant la loi pour garantir le maximum de liberté à tous, du fait des déterminismes sociaux.


La liberté est aussi en danger, que ce soit à cause de la gauche, comme ce conservatisme que l’on nomme droite.Du côté de la gauche, on constate un esquive de tout ce qui touche à la liberté, sauf quand c’est pour la réduire. Ainsi, d’un côté elle ne manque pas de réitérer sa haine envers la liberté d’expression et la liberté d’entreprendre, tout en s’attaquant au droit de propriété. D’un autre côté, elle défend le nom de République, valeur démocratique et justice sociale pour éviter de prononcer seulement le mot liberté, et de ne jamais en parler clairement. Ainsi la gauche à supprimer totalement la notion de liberté dans les études sociales, tout n’est que inégalité à combattre et oppression imaginaire. Du côté des conservateurs, et j’englobe dans ce terme toute la droite actuelle, on hésite pas à agiter les dérives que telle ou telle liberté pourrait entraîner, comme si le peuple était un enfant. Face à un public soucieux de préserver la grandeur civilisationnelle, la lutte contre les libertés paraît un moindre mal face à l’effondrement de nos sociétés. Ils détestent particulièrement la liberté sexuelle, les divertissement et le droit des femmes, et ne défendent la liberté d’expression (dans une certaine mesure évidemment) que parce qu’ils ne sont plus au contrôle de la censure. Tous leurs objectifs est de revenir à des interdictions passées quand ils ne fantasment pas tout simplement sur un régime autoritaire ou une monarchie de droit divin.

Un autre danger de la liberté - et pas des moindres - : la sous-traitance liberticide. Quand les politiciens liberticides n’arrivent pas à leurs fins par des moyens traditionnels, ils utilisent alors des organes privés. Ainsi, la liberté d’expression est complètement bafouée, piétinée par les réseaux sociaux. Ces réseaux sociaux sont devenus le cœur des débats politiques actuels, cœur de la socialisation politique et ont remplacé les États dans la suppression de pensées non conformes à la morale actuelle. Le fondement de leur censure n’est nullement juridique, tout comme la base n’est pas légale, seulement de l’arbitraire et de la morale. Les politiciens liberticides vont jusqu’à réclamer une plus grande surveillance, c’est-à-dire censure sur les réseaux. C’est une véritable guerre contre la liberté d’expression qui doit nous faire comprendre que la liberté n’est jamais acquise. Wittgenstein disait “les frontières de mon monde sont les frontières de mes mots”, comment penser une opinion que l’on ne peut pas exprimer ? Vous avez quatre heures.


La liberté et l’égalité sont donc similaires par les dangers qu’elles encourent, mais nous pouvons réconcilier ces deux notions par une complémentarité et un entrecroisement qui les lient réellement : c’est le féminisme. Un homme libre est forcément le fils d’une femme libre et d’un homme libre. Les sociétés où les femmes sont des esclaves ne peuvent engendrer que des moitiés d’hommes. Il n’y a pas de libéralisme sans féminisme puisqu’aucun homme n’est libre si sa mère est une esclave, mais il n’y a pas non plus de féminisme sans libéralisme. Le féminisme, c’est l’égalité dans la liberté. L’égalité dans la servitude n’est pas du féminisme. Le féminisme est tout autant victime de la gauche et des conservateurs pour la simple raison qu’il est la synthèse de ce que devrait être l’équilibre entre la liberté et l’égalité.

Historiquement le féminisme est de gauche car tant que les droits civiques des femmes étaient explicitement inférieur à ceux des hommes alors il était normal que la gauche porte ce combat progressiste car il ne pouvait y avoir de libération des femmes sans combat préalable pour l’égalité des droits. Aujourd’hui le féminisme n’est plus de gauche, il n’y a plus aucun sens à dire cela. Aujourd’hui le combat ne se fait plus uniquement pour l’égalité des droits, il se fait pour l’instauration d’une culture du consentement, condition indispensable pour la libération des femmes. Dans le même temps, la gauche ayant perdu le combat pour l’abolition des classes, elle se réinvestie dans une myriade d’autres luttes égalitaristes qui sont incompatible avec le féminisme : l’égalité entre les tenants de la charia et les citoyens respectueux de la démocratie, les droits des violeurs étrangers à ne pas être expulsés du pays où il commettent un viol et même à obtenir le droit de vote dans ce pays, l’égalité entre l’égo racial et religieux des hommes issus des pays les plus patriarcaux du monde et le droit à la parole des féministes qui dénoncent les violences patriarcales. On voit là que la mutation de la gauche fait que dire que le féminisme reste un valeur de gauche, c’est avoir une vision restreinte du féminisme, comme s’il n’avait pas évolué ces cinquante dernières années.


Le féminisme est aujourd’hui à moins de problèmes égalitaires que liberticides : les mouvements de libération de la parole des femmes le démontrent, car c’est un combat pour la liberté d’expression. Les conservateurs haïssent les libertés des femmes car elles menacent l’ordre moral chrétien et les anciennes figures d’autorité patriarcale. Les gauchistes s’opposent à ces libertés parce qu’une société qui donne aux femmes l’entière liberté de choisir et de consentir ne peut en même temps assurer l’égalitarisme racial et l’absence totale de discrimination souhaitées par la gauche. Discriminer, c’est choisir, donc toute liberté de choix sexuel implique une possible discrimination.


En somme, l’équilibre entre liberté et égalité est obtenu par le féminisme. Les attaques contre le féminisme sont des attaques égalitaristes et liberticides, et sont finalement les mêmes que l’attaque sur nos libertés individuelles et sur l’égalité entre citoyens travestis en égalité absolu pour tous. L’opposition entre la liberté et l’égalité n’est qu'une façade, en réalité il existe seulement une alliance entre égalitaristes et liberticides. Car il n’y a pas de liberté sans égalité ni égalité dans l’asservissement.


Fahim Bounoua



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