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  • Photo du rédacteurAlbert Controverses

« Quand Netflix tente de mettre fin aux inégalités sexuelles … » - Arthur Bauchet

Dans un rapport consacré à la sexualité chez les jeunes, le HCE (Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes) déclare en 2016 que : « La sexualité et les relations intimes et affectives forment une découverte et un apprentissage qui, à tous les âges de la vie, mais plus particulièrement chez les jeunes, soulèvent de nombreuses questions et besoins. Compte-tenu des enjeux posés en matière de citoyenneté, d’égalité femmes-hommes et de santé, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de répondre à tou.te.s les jeunes par des informations objectives, sans jugement ni stéréotype, et, lorsqu’elles ou ils en expriment le besoin, de leur apporter l’accompagnement nécessaire. […] Par conséquent, les enjeux d’égalité posés par l’éducation à la sexualité sont nombreux : accès à l’IVG et à la contraception, prévention des grossesses à l’adolescence, prise en compte du désir et du plaisir des jeunes femmes, stigmate de la « réputation », inégalités et violences sexistes au sein d’un groupe ou au sein du couple, question du consentement, instrumentalisation des codes culturels et religieux justifiant l’inégalité filles-garçons, invisibilisation et intolérance vis-à-vis de l’homosexualité et notamment du lesbianisme. ». De plus, alors qu’il est obligatoire à tous les établissements d’assurer l’éducation à la sexualité auprès des jeunes : « Le constat est unanime et partagé : l’application effective des obligations légales en matière d’éducation à la sexualité en milieu scolaire demeure encore parcellaire, inégale selon les territoires car dépendante des bonnes volontés individuelles. Elle est, selon le point de vue de certain.e.s acteur.rice.s, inadaptée aux réalités des jeunes ».

Ainsi, l’éducation à la sexualité n’est pas suffisamment mise en œuvre, surtout au sein du Ministère de l’Education Nationale, bien qu’elle y soit obligatoire. C’est dans ce contexte que Netflix est apparu comme une des seules « institutions » osant parler de sexe aux adolescents du monde entier.


En effet, quand c’est une plateforme de streaming payante qui tente, à travers des séries pour adolescents, de (re)faire l’éducation sexuelle des jeunes (la génération Z, ceux et celles qui ont 20 ans en 2020 (et pour qui c’est dur) et de combattre les inégalités sexuelles cela témoigne du retard de nos sociétés en matière de tabous autour de la sexualité. Netflix endosse donc le rôle « d’éducateur sexuel » auprès des jeunes générations, par le biais du divertissement et de l’humour, sans pour autant être irréprochable dans ce domaine. En France, cela témoigne d’un manquement de l’Etat, de l’école et donc du Ministère de l’Education Nationale. A quoi servent les cours d’EMC (aka Education Morale et Civique) si on n’y parle de pas sexe, de sexualités, de consentement et de plaisir ? Les adolescents devraient tous suivre des cours d’éducation sexuelle à proprement parler. Actuellement, les notions de « plaisir » et de « respect » sont complètement absentes de ces « cours ». L’éducation sexuelle reçue au collège et au lycée se résume à de la SVT. On y parle de reproduction, de contraception (brièvement), d’IVG, de prévention du VIH et de MST/IST… En clair, on aborde tous les sujets chiants et repoussants de la sexualité. Comme si la volonté était d’effrayer les jeunes sur ce sujet. Les cours d’éducation sexuelle seraient beaucoup plus funky si on y parlait de relations amoureuses, de plaisir, de clitoris, de masturbation et de respect entre les sexes. Il serait d’autant plus utile si on y abordait également des sujets sérieux comme le consentement, la culture du viol ou les violences sexuelles.


Beaucoup de sujets autour de la sexualité ne sont abordés ni à l’école ni en famille. Comment les futurs citoyens sont censés se faire un avis sur la question ? Les non-dits entraînent de mauvais agissements, de mauvaises pensées. Et nous ne pouvons pas condamner ces comportements et nous indigner sans remettre en cause notre système éducatif, sans comprendre d’où ils viennent, comment et pourquoi ils surgissent. Une vraie éducation sexuelle, obligatoire à tous les adolescents, serait une des solutions pour combattre les inégalités sexuelles, le sexisme, les violences sexistes et sexuelles et les lgbtphobies.

Jusqu’à présent, le seul domaine où les tabous autour du sexe sont en partie abolis c’est l’art et le divertissement. Tous les films ou presque contiennent des scènes ou des allusions au sexe. On parle même depuis les années 1960 de l’hypersexualisation de la société. Il s’agit de la commercialisation et la médiatisation de la sexualité qui entraînent des changements de comportement chez les enfants et les adolescents. Ainsi la sexualité, comme tous les autres phénomènes sociaux, est devenue un marché économique comme un autre.

Il y a donc un paradoxe curieux au sein de nos sociétés : le sexe n’est plus tabou sauf dans certains endroits, dans certaines institutions et avec certaines personnes. Le sexe est un sujet omniprésent dans notre société sauf dans l’éducation, dans l’apprentissage et dans les recherches universitaires. La société est hypersexualisée mais elle ne sensibilise pas autour de la sexualité. C’est comme si le sexe était partout mais que personne n’allait vraiment au fond des choses (sans mauvais jeux de mot), que personne n’abordait vraiment les sujets importants et primordiaux. Les adolescents ont donc dû se débrouiller dans ce domaine tous seuls, ce qui a entraîné des mal-être. Car le premier problème de toute sexualité c’est le manque de communication. Toutefois, depuis les années 2000, nous observons des changements de mentalités : une nouvelle branche du féminisme, plus pop, réclame le droit au plaisir, le droit à jouir. L’idée est surtout de (ré)affirmer que les femmes aussi ont droit au plaisir contrairement à la vision de la femme héritée du Moyen-Age. « L’égalité des sexes dans le sexe ». Et cela marche. Il n’y a qu’à voir les comptes Instagram comme Jouissance Club, Clit Revolution ou Tu Bandes. Nous constatons qu’il y a une réelle demande chez les jeunes d’aujourd’hui autour de la sexualité. L’idée est de ramener la sexualité à son essence même : le plaisir mutuel et égalitaire.

Netflix surfe sur cette vague de manière intelligente. Ils ont compris, dans leurs locaux californiens, que le sexe était l’une des priorités des jeunes. Puis, ils se sont rendu compte que leur principal public était la tranche d’âge 15-24 ans. Il leur a juste suffi de connecter les deux informations. Malynx les lynx ! Il leur a sûrement fallu de nombreuses heures de brainstorming intensif pour comprendre que la jeunesse était intéressée par le sexe et que si donc ils sortaient des séries sur le sexe, parlant de sexe et contenant du sexe ça serait un grand carton. On peut les applaudir.


Mais rendons leur justice. S’il est vrai que beaucoup de séries sur Netflix (comme sur toutes les autres plateformes de streaming) comportent des scènes de sexe (notamment dans les premiers épisodes de chaque saison, pour attirer les spectateurs) pouvons-nous considérer que Netflix ne fait que marchandiser la sexualité ? Eh bien non, nous utiliserons comme preuves à l’appui deux séries « exceptions ». Netflix a en effet frappé fort en proposant tour à tour « Big Mouth » et « Sex Education ».

« Big Mouth » ou l’humour pour détendre l’atmosphère :


En 2017 un ovni est apparu sur Netflix : « Big Mouth ». Cette série qui ne manque pas d’originalité et d’audace, sous forme d’un dessin animé, suit le passage à l’adolescence et l’apparition de la puberté chez de jeunes adolescents américains issus de la classe moyenne et vivant dans une petite ville de banlieue. Ce groupe d’amis et d’ennemis est en 5ième (soit 7th Grade aux Etats-Unis) et les personnages principaux sont donc âgés de 13 ans. Ce « dessin animé pour adultes » joue sur les codes du fantastique et du surnaturel puisque des personnages imaginaires apparaissent tout au long de la série comme allégories des sentiments ou des changements à l’image des Hormones Monstres (les « monstres hormonaux», influençant les choix et les décisions des personnages). Il est très intéressant et très drôle de voir comment dans « Big Mouth » nos hormones sont personnifiées par des monstres et quels rôles elles jouent dans nos vies (même si c’est fictif et pas scientifique).


Bien que très crue, osée et vulgaire cette série netflixienne met les deux pieds dans le plat pour parler de sexualité : éjaculation, érection, règles, moyens de contraception, clitoris, apparition de la poitrine, poils pubiens, orgasmes, slut shaming … Tout y passe ! La série va même plus loin puisqu’elle aborde des thèmes plus politiques et sociaux comme le racisme, le sexisme, les différentes orientations sexuelles (homosexualité, bisexualité, pansexualité) mais aussi le questionnement de genre (transidentité). De manière quelque peu tapageuse, borderline mais toujours avec humour « Big Mouth » tente de déconstruire un certain nombre de discours et de stéréotypes. Netflix prend donc le rôle de « moralisateur », de « réparateur de torts » et de « porte-parole ». Les épisodes de « Big Mouth » peuvent être vus comme des divertissements mais aussi comme des enseignements. N’est-ce pas novateur de faire passer des messages par le divertissement ? N’est-ce pas intelligent d’utiliser une série pour toucher tous les publics, même ceux qui n’auraient pas été, à la base, réceptifs aux messages défendus?


Nous vous ôtons toutefois d’un doute : « Big Mouth » reste une série loufoque, pas un manifeste politique. Il est cependant intéressant de constater que le divertissement pour adolescent et jeunes adultes n’empêchent en rien des messages de fond plus sérieux. Il est même plutôt réjouissant de voir ça. La beauté et l’ingéniosité de « Big Mouth » c’est que chaque épisode contient au minimum une réplique cinglante. A l’instar de Connie (monstre hormonal féminin) réclamant la gratuité des protections hygiéniques durant l’entièreté de l’épisode 3 de la saison 4. Cette réplique paraît anodine mais résulte bien d’un réel problème de fond. A noter que l’Ecosse vient d’adopter une loi pour la gratuité des protections hygiéniques, une première mondiale (Connie est sûrement écossaise).


Cette série soulève au fond deux problématiques intéressantes : L’humour est-il le meilleur moyen de faire passer des messages politiques ? L’art et le divertissement doivent-ils forcément être « engagés » ? Nick Kroll et Andrew Goldberg ne se sont sûrement pas posés toutes ces questions avant d’écrire cette série pour Netflix (inspirée de faits vécus dans leur adolescence). Ainsi, bien que parfois dérangeante « Big Mouth » est une série pertinente, en phase avec son temps et avec la jeunesse, c’est une série qui frappe juste, et par ses nombreuses références à la pop culture, ses sous-entendus plus ou moins explicites, ses blagues et dialogues parfois douteux, ses happenings délirants, ses mises en abîme surprenantes et ses Hormones Monstres hauts en couleurs, elle devient une série incontournable. Culte même. « Big Mouth » est en train de marquer son temps en changeant les mentalités. Il est plutôt rassurant de voir que cette série a eu autant de succès et qu’elle est autant regardée. L’heure du changement a peut-être enfin sonné … Cette série est si bien écrite que les blagues salaces deviennent poétiques. Gros big-up au personnage de Maurice (Maury pour les intimes) qui est toujours à la limite de l’indécence mais qui est monstrueusement drôle.

« Sex Education » ou la pédagogie pour nous décomplexer :


La deuxième grande révolution netflixienne fût l’arrivée tonitruante de « Sex Education » en 2019. Si « Big Mouth » fait passer ses messages par l’humour et par le dessin animé, « Sex Education », elle, s’appuie sur le scénario et sur la performance de vrais acteurs : le fils d’une sexologue reconnue (Otis) décide de donner des consultations de sexologie dans son lycée avec sa camarade (Maeve) tout en étant lui-même vierge. « Sex Education » se sert donc des situations et amène à chaque nouvel épisode une problématique sexuelle/sociale différente. La grande qualité de « Sex Education » est la variété de sujets traités comme l’abstinence ou les pratiques annales. Tout un catalogue digne des vrais cabinets de sexologie ! L’action de la série se déroule en Angleterre, dans un lycée. Un autre atout de cette série est son adaptation aux problématiques actuelles de la jeunesse et du monde par rapport au sexe. « Sex Education » soulève de vrais problèmes et y apporte de (plus ou moins) bonnes solutions. C’est une série en accord avec son temps, réaliste et intimiste. Elle est très émouvante tant les personnages y sont touchants et les situations réalistes.


De plus, cette série ne liste pas des problèmes sexuels un par un en les traitant « médicalement » mais prend le temps d’exposer des situations, des personnages, des contextes. Toute la série se base sur l’intrigue amoureuse entre les deux protagonistes principaux dont nous attendons tous le dénouement ! Ce ne sont pas simplement des cours d’éducation sexuelle.


Inégalités d’envies, d’hormones et de besoins ?


Si nous présentons aujourd’hui ces deux séries (que vous connaissez sûrement et que vous avez sans doute dévorées, et si ce n’est pas le cas, nous vous encourageons vivement à le faire) c’est parce qu’elles permettent des avancées sociales et sociétales. Elles affirment haut et fort des faits qui étaient pensés tout bas.

Les envies et la masturbation : Dans « Big Mouth », dans l’épisode 5 de la saison 1 (appelé « Les filles aussi »), les personnages masculins apprennent que les filles ont également « envie » et qu’elles peuvent être excitées. A ce moment précis, leur tête explose. Cette scène sera un running gag à chaque fois que les personnages apprendront des évidences par si évidentes à leur âge. Ainsi il est clairement montré que les filles aussi éprouvent du désir, qu’elles ont des envies sexuelles et qu’elles se masturbent. C’est une grande nouveauté d’affirmer et de montrer cela dans une société phalocentrée où les hommes sont perçus comme des animaux ayant des envies et des besoins sexuels insoutenables. Dans « Sex Education », dans l’épisode 1 de la saison 6, le personnage de Aimee découvre qu’elle peut elle aussi se masturber, qu’elle peut se satisfaire elle-même et que cela lui permettra de mieux se connaître. Résultat des courses ? Aimee ne quitte plus sa chambre pendant les jours qui suivent, ayant découvert le plaisir féminin. Ainsi il est clairement signifié que les filles peuvent se masturber tout comme les garçons sans en avoir honte (parce que c’est tout à fait normal).


Les hormones : Dans « Big Mouth » il existe des monstres hormonaux qui accompagnent les personnages tout au long de leurs aventures. Ces « Hormones Monsters » poussent les personnages à faire des actions irrationnelles, bizarres, pulsionnelles et incontrôlées. Ils incarnent les mutations hormonales et leurs rôles dans la prise de décisions des adolescents avant d’entreprendre une action à caractère plus ou moins sexuelle. Il existe des versions masculines et des versions féminines ayant des degrés différents d’influence.

Petit disclaimer :


Ces séries restent … des séries ! Ce sont des divertissements, des loisirs. Il faut donc les prendre avec du recul. Elles ne diffusent pas des sciences exactes et elles ne sont pas forcément écrites par des professionnels des questions abordées. Ce n’est pas parce que nous avons binge watché les deux saisons de « Sex Education » que nous perdons tous nos complexes et que nous devenons des pros au lit. Ce n’est pas parce que nous venons tout juste de finir la saison 4 de « Big Mouth » que nous comprenons tout à notre corps, que nous n’avons plus peur de nos mutations. L’effort que Netflix fait est important et nous lui en sommes reconnaissants mais ce n’est pas pour autant que les cours d’éducation sexuelle ne soient pas nécessaires derrière. En clair Netflix ne doit pas remplacer les professionnels qui s’occupent de ces questions. Que ce soit les professionnels de santé (médecin généraliste, gynécologue, urologue) ou thérapeutiques (psychologue, psychanalyste, sexologue).


To be continued …


Ce qui est toutefois contradictoire par rapport à Netflix et à notre sexualité c’est que, bien que diffusant des films et des séries nous permettant de nous libérer sexuellement, Netflix a entraîné une baisse de libido impressionnante chez les jeunes couples. Il est donc primordial de regarder ces contenus mais aussi de les appliquer et de les mettre en pratique ! Il aura donc peut-être fallu attendre Netflix pour entendre vraiment parler de sexualité à la télévision mais ce n’est que le début. Les séries comme « Big Mouth » et « Sex Education » ne sont que les initiateurs ! Netflix a réussi son coup, et au-delà même des séries sur le sexe car ne dit-on pas, pour parler de sexe, « netflix and chill » ?


Arthur Bauchet

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