Napoléon, Napoléon, Napoléon. Rares furent les noms qui suscitèrent à la fois tant d’admiration et tant d’opposition. Napoléon est pourtant cet homme capable de vous transporter à la bataille d’Issos aux côtés d’Alexandre en plein XIXème siècle. Il est cet homme au-dessus de l’Homme, qui lui est à la fois supérieur en tant que surhumain, et étranger en tant qu’inhumain. Il est cet homme qui mit son génie au service d’un dessein divin et magnifique, celui de restaurer la grandeur française perdue aux plaines d’Abraham, au cours d’une épopée de quinze années, qui transposa la Révolution dans le droit, dans la politique, dans les institutions, la justice, les sciences, et qui se vit baignée au cœur de l’essence de la France : le logos et la discipline grecs, la bravoure et l’ordre romains, la spiritualité universaliste chrétienne couplée à la loi catholique. Il est cet homme, enfin, parvenu à donner rendez-vous à un succulent panaché des plus grands personnages de l’Histoire de France. Toutes les nations du monde rêveraient de pouvoir admirer leur Davout, leur Murat, leur Massena, leur Berthier, leur Lannes ou leur Soult. Toutes les nations, sauf notre France nihiliste. L’auteur de La Chartreuse de Parme semble avoir, en effet eu tort, quand il présageait que « plus la vérité tout entière sera connue, plus Bonaparte sera grand. » Le phénomène s’est inversé, au point que plus le Grand Général est étudié, plus notre pays le honnit. Rétrospective sur les quatre rejets d’une France postmoderne qui refuse de célébrer son Napoléon.
Rejet de Napoléon in personam
Bourreau des peuples. Usurpateur. Ogre. Anti-féministe. Esclavagiste. Proto-Hitler.
L’on peut reprocher beaucoup de choses aux opposants zélés de l’Empereur et de son œuvre, mais pas d’avoir chômé pour forger des sobriquets toujours plus alambiqués visant à dé(cons)truire le personnage. Or, c’est en laissant les livres d’histoire fermés que naît une génération décadente malgré-elle, la nôtre, follement perméable aux vulgates de la postmodernité. Oscillant entre inculture générale et sélection partiale de l’Histoire de France, l’on en arrive à devoir expliquer une nouvelle fois que Bonaparte comme Napoléon n’est pas le méchant général insatiable de conquête qui asservit des peuples entiers.
La paix qu’il recherchait perpétuellement a toujours été interdite par la perfide Albion, quasiment toute sa vie. Ainsi, face aux sept coalitions bâties et financées à chaque fois par Londres contre la France (1792-97 ; 1798-1800 ; 1805 ; 1806-07 ; 1809 ; 1812-1814 ; 1815), Napoléon a lancé uniquement la Campagne d’Espagne. La Campagne de Russie n’étant qu’une riposte au non-respect du Blocus et non un désir de conquérir la Russie comme on peut l’entendre naïvement. Sans compter le Général Hiver, qui a décimé près de la moitié du million de morts que l’on pose injustement sur la conscience d’un Empereur sur le retrait.
De même, l’esclavage supposément aboli dans tout l’empire colonial en 1794 et rétabli par Napoléon en 1802 est largement à nuancer. Quiconque aime Bonaparte (du moins, le connaît) sait qu’il incarne le pragmatisme, et qu’il ne s’embarrasse guère de morale ou de ce que l’on appellerait aujourd’hui « idéologie », pourvu que sa gloire se confonde avec celle de la France. Par conséquent, le « rétablissement de l’esclavage par Napoléon » devrait davantage être appelé « compromis politique concédé par l’Empereur dans le contexte inédit de la paix d’Amiens, où tout devait être fait pour stabiliser la France, qui enfin était en position de force dans la guerre séculaire contre l’Angleterre ». C’est sûr que ça claque moins, mais ça a le mérite d’être vrai. Il est donc complètement sot d’accoler à Napoléon l’étiquette de « méchant esclavagiste », de même que de lui assigner celle de « gentil affranchisseur » lorsqu’il abolit la traite négrière en 1815. Celle de « sultan El-Kébir » est tout aussi erronée quand il s’exclame « il n’y a pas d’autres dieux que Dieu et Mahomet est son prophète ! » en pleine campagne d’Egypte.
Mais plus largement, il est inutile de rentrer dans ce jeu puéril de juger et moraliser en permanence l’Histoire, protégé lâchement par le bouclier du temps, pour rechercher l’admission, la permission, l’approbation de la doxa contemporaine. Il faut absolument suivre le verbe de l’historien et résistant Bloch, selon lequel « en Histoire, l’anachronisme est, entre tous les péchés, le plus impardonnable ». Nous, contemporains confortablement installés dans nos démocraties, ne savons pas comment nous aurions réagi à une pareille époque, car nous n’étions pas pétris dans son moule social. Les valeurs qui sont aujourd’hui les nôtres auraient très bien pu être celles que nous aurions combattues deux ou trois siècles plus tôt. Arrêtons donc de nous croire légitimes à arbitrer l’Histoire selon des critères contemporains.
Rejet de l’archétype du héros romantique
Évidemment, le Napoléon dont nous parlons est entouré d’une aura mystique, noyant parfois la réalité dans la rêverie. Cependant, ce qui importe, ce n’est pas sa personne mais l’archétype qui la transcende. Il est la personnification de la grandeur, de l’honneur, de la virilité, de la victoire, de la méritocratie et des quatre valeurs impériales romaines : la virtus, la pietas, la clementia, la iustitia. Tout ce que notre époque progressiste exècre.
La doxa dominante est, au contraire, complètement à rebours de cette vision. Elle a remodelé la morale, le Bien et le Mal, pour que le « Dernier homme » nietzschéen assassine le « Surhomme ». Dans notre postmodernité, tout ce qui aliène l’hédonisme absolu de l’Individu-roi doit être combattu. Rejetant l’autorité, le conflit, le déplaisir et la vitalité, le Moi devient le seul à pouvoir se déterminer, se plongeant dans des vagues existentialistes se fracassant sur des rochers hédonistes. Naturellement, le Moi rompt temporellement avec la culture passée, et spatialement avec les autres « Moi », pour uniquement se concentrer sur sa personne. La nation, l’Etat, Dieu, l’Histoire : il ne faudrait plus s’agréger autour de pareilles constructions collectives, fruit du violent passé, pour au contraire adopter un comportement libertaire hédoniste. Le Moi aurait été jeté sur Terre pour rejeter tout projet surplombant son propre plaisir. Uniquement jouir et attendre la jouissance ; attendre la jouissance, puis jouir. La vie ne serait alors qu’une simple succession de plaisirs, dont le cycle oscillerait infiniment entre de brèves apathies et une recherche immédiate de nouveaux désirs. Et ce, jusqu’à ce que la mort rompe le cycle. La photosynthèse existentialiste suffirait à assurer à la plante sociale une bonne santé : c’est la croyance fétide de l’accroissement de l’être par le déracinement.
Même si la sagesse gaullienne analysait que « la France fut faite à coups d’épée », et donc par le déplaisir, un Bonaparte devenu Napoléon qui dirige, combat, répand le déplaisir et fait briller sa volonté de puissance ne peut être commémoré par l’amas de Moi que représente notre France.
Rejet de la nation française
Pour parachever ce que nous disions, la doxa contemporaine prône finalement un carpe diem permanent, un règne tyrannique du désir, du plaisir, de l’émotion, du sentiment personnel, au mépris des causes passées ayant conduit à forger le Moi. Ainsi, l’objectif hyper-individualiste de notre temps est de détruire le lien social, de faire muter l’« animal politique » en un « animal solipsiste » qui subit le plaisir. Ce qui importe, c’est le Moi ; pourquoi alors se préoccuper de ce qui a eu lieu avant le Moi, et de ce qui entoure le Moi : les « Eux » ?
Or, l’Aigle étant l’un des plus prestigieux personnage de l’Histoire de France, ne pas le commémorer, c’est poser une nouvelle bombe sur les parois de notre glorieuse nation. Ne pas commémorer le bicentenaire de sa mort, c’est ajouter une nouvelle pierre à cet édifice nihiliste, qui vise à déraciner les citoyens de la tradition et du passé. L’exact opposé d’un Napoléon qui incarne le lien avec le passé de notre nation, l’actualisation des héritages grec, romain et catholique que Valéry décrit sublimement, dans une France révolutionnaire, déboussolée, qui vient de faire de Louis XVI le premier saint céphalophore de la Monarchie.
Le poison nihiliste est donc généreusement répandu. Heidegger dirait que ce nihilisme constitue un désir de destruction, volontaire ou subi, de l’être, et en l’espèce du Français par le Français. Un suicide. Le nihilisme contemporain, c’est l’insatisfaction permanente vis-à-vis d’un monde actuel fruit du passé, dévalorisé, qui conduit à sans cesse réclamer un changement – c’est-à-dire la démolition d’une période antérieure vers la construction d’une nouvelle – dans une promesse idéaliste de lendemains chantants. C’est le souhait d’être tout sauf ce qui fut, et de fuir inlassablement ce passé, cette Histoire, par le « progrès » social et idéologique. Notre époque contemporaine a donc trouvé sa nouvelle religion : le progressisme. Vulgate de la marche constante vers l’avant, aucun but n’est fixé, seul le moyen compte : être tout sauf statique, tout sauf hier. Le progressisme est une idéologie hyperactive qui n’a pas d’objectif clairement défini, si ce n’est que celui de constamment évoluer, et donc constamment détruire ce qui fut pour bâtir un présent instable, voué au fatalisme de l’anéantissement. Un Napoléon aimé ne peut avoir sa place dans un tel monde.
Enfin, faisons réfléchir nos amis progressistes sur ce point fondamental. Que résulterait-il d’un monde dénué des nations et des identités collectives artificielles qu’elles abritent ? Irrémédiablement, cela entraînerait une résurgence des identités collectives naturelles, une essentialisation identitaire non-désirable. Quel serait en effet le ciment renouvelant le pacte social, sur l’autel de la nation souillée ? Il y a fort à parier que l’identité nationale artificielle soit remplacée par une identité de sang naturelle, d’abord familiale puis raciale. Or, chers amis, quel terreau plus fertile pour le racisme que celui d’un monde non plus basé sur la nation et son bijou assimilationniste et universel, mais au contraire fondé sur les liens du sang, donc familiaux et raciaux, et leur fatalisme biologique ?
Rejet de la neutralité historique
Enfin, les principales idéologies progressistes – antiracisme, décolonialisme, féminisme matérialiste – méconnaissent la neutralité axiologique que réclame pourtant une science humaine comme l’est l’Histoire. Par un lyssenkisme ahurissant – l’introduction de l’idéologie dans la science – l’on cherche à plaquer sur toute l’Histoire de France une grille de lecture manichéenne, entre eux-nous, oppresseur-oppressé, méchant-gentil, réactionnaire-progressiste. Inutile de rappeler quelles étiquettes ce cher camp auto-proclamé du Bien a attribué à Napoléon.
C’est en réalité le martelage accru du jargon doxique qui a fait que le discours idéologique a progressivement remplacé la vérité dans les esprits. Et l’atteinte au Dogme progressiste conduit alors, toujours, à une levée de bouclier de masse. Entre parenthèses, en témoigne par exemple la récente terminologie contestée d’ « islamo-gauchisme » qui fait hurler dans les chaumières, puisque c’est l’un des rares néologismes n’émanant pas de cette doxa. Car, pour des concepts tout aussi bancals mais dont elle est à l’origine, tel le « privilège blanc », la rigueur scientifique n’est pas tant invoquée. Quoi qu’il en soit, la manière dont est défini ce phénomène formellement importe peu : nous n’aurions pas assisté à un unanime pleurnichage en écriture inclusive sans l’existence de doxa sectaire. Nous verrons comment sera reçu cet écrit.
Alors, dans cette logique, l’on bâtit un Napoléon bourreau des peuples, usurpateur, ogre, anti-féministe, esclavagiste, proto-Hitler etc., en relisant idéologiquement l’Histoire et en sélectionnant la réalité qui arrange pour arranger sa réalité. En ce sens, oser commémorer notre Grand Général, c’est provoquer l’indignation globale et s’exposer à la mise au ban social, vu que Bien et Mal ont complètement été revisités par l’idéologie progressiste. A l’inverse, il serait bien mieux de célébrer les êtres ayant subi ce que l’on qualifierait de nos jours les « discriminations napoléoniennes », ces martyrs violentés à protéger, les opprimés. La victime, comme toujours, est placée sur un piédestal, et se revendiquer comme tel devient un moyen d’être valorisé en société, d’attirer à soi la compassion collective, et in fine le pouvoir. D’aucuns voudraient même que les Français du XXIème siècle s’excusent des agissements des Français du XIXème.
En réalité, ce qui dérange, c’est de comprendre que l’Empereur est le sauveur de la Révolution et de ses idéaux. Chateaubriand dit justement que « Bonaparte n’est point grand par ses paroles, ses discours, ses écrits, par l’amour des libertés qu’il n’a jamais eu […] Il est grand pour avoir créé un gouvernement régulier, un code de lois, des cours de justice, des écoles, une administration forte, active, intelligente […] Il est grand pour avoir fait renaître en France l’ordre au sein du chaos. » Rien de tout cela n’aurait existé sans la violence de son génie. Vrai ou pas, dans l’esprit des Français du XIXème siècle, leur Aigle les guide quinze années en Europe pour faire triompher les idéaux révolutionnaires, d’où la guerre perpétuelle des coalitions autocratiques. Sans le 18 Brumaire et avec le Directoire, il reste très probable que le sort de la France suive celui de la Pologne en 1795 : la mort. Et donc, la mort du message révolutionnaire ; et donc, la mort de son universalisme. Et donc, la mort dans l’œuf de l’ouragan corse qui interrogera l’Européen tout le XIXème siècle sur la meilleure façon de régir les Hommes. Les progressistes devraient s’en réjouir, se réclamant enfants de la Révolution, à moins qu’ils n’en soient pas. En témoigne l’héritage partiel qu’ils en ont tiré, les droits de l’Homme, en jetant aux oubliettes ceux du Citoyen.
Pour conclure, l’opposition à l’idée de célébrer le bicentenaire du Grand Général est un marqueur fondamental du désir d’enrayer la transmission de notre héritage. La doxa progressiste biaise l’Histoire selon ses intérêts existentialistes, et détruit à petits feux l’identité dont se sont dotés, par la plume du temps, un peuple et un territoire. « Afin de détruire un peuple, il faut d’abord détruire ses racines » rappelle Soljenitsyne. Licence et égalitarisme sont donc de mise, quitte à ce que la mort de l’identité artificielle de la nation refasse paradoxalement surgir l’identité naturelle des communautés, basée sur le sang, donc la famille puis l’ethnie.
Comme Hugo, j’aimerais vous demander : « vous n’admirez pas Napoléon ! Mais qui admirez-vous donc ? » Comme l’abbé Gros Jean, j’aimerais vous demander : « Comment peut-on faire aimer la France à ceux qui la rejoignent ou y grandissent, si la France ne s’aime pas elle-même, ou s’excuse sans cesse d’être et d’avoir été ce qu’elle est ? »
Rendez-vous le 05 mai, dans l’espoir que ce soit le premier signe vers une restauration de la nation que chaque Français mérite.
Hugo Gonzalez
Je pensais au début que ça n'avait aucun lien avec le thème du Sexe de ce mois-ci, mais en fait si, c'est la preuve qu'il est possible de retranscrire la masturbation à l'écrit. On ressent la passion charnelle et érotique de l'auteur pour celui qu'il désigne amoureusement comme son "Aigle", son "Grand Général" et à qui il attribue monts et merveilles. L'originalité et la passion de cette fiction comique homoérotique lui donnent parfaitement sa place dans ce numéro.