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Photo du rédacteurAlbert Controverses

Des discriminations, ou de la nécessité de l'égalité en démocratie- Arthur Patou

Alors que la République française sombre toujours plus dans la politique sécuritaire et autoritaire et que se généralise la lutte sociale pour les contrer, il apparaît nécessaire de revenir aux origines premières de ces événements et à leurs conséquences possibles. Pour ce faire nous parlerons de discriminations. Avant toute chose, il peut-être intéressant de rappeler les origines historiques des principaux systèmes discriminatoires structurant nos sociétés. A noter qu'en abordant les discriminations comme issues de systèmes sociaux, matériels et pouvant être étudiés, l'article a la volonté de se placer dans une posture résolument matérialiste.

Les origines des systèmes discriminatoires en France :


Nous pouvons citer trois système discriminatoires pour développer cette idée bien qu'ils ne soient pas seuls :


Le racisme : Dans le monde entier, ce dernier est lié à l'histoire coloniale. Aux Etats-Unis il est lié au fait que le pays est lui-même une colonie qui se concevait (et se conçoit toujours) comme « blanche ». En France, il est lié au système colonial et à sa propagande. A ce titre, la création de la police des Noirs en 1777 destinée à traquer les personnes noires et à leur empêcher l'accès à la France métropolitaine en est une manifestation ancienne. Le contrôle au faciès, que le maître de conférence en science politique Emmanuel Blanchard décrit comme une « cérémonie de dégradation » ayant pour objectif de signifier à une partie (racisée) de la population qu'elle n'a pas sa place ici, en est une manifestation actuelle. La réalité de ce problème est perceptible dans la réalité statistique, dans la mesure où 37% des contrôles sont effectués sur des personnes déclarant avoir une ascendance d'Afrique du Nord, alors que ces personnes représentent pourtant 7% de la population française. Des études entières se consacrent à l'analyse de ce système de domination.

Le patriarcat : Ce système de domination est peut-être le plus ancien et le plus répandu au monde. Le patriarcat est une organisation sociale qui se base sur les caractéristiques sexuelles primaires pour définir généralement (des exceptions existent) deux genres (deux ensembles de rôles sociaux à suivre) hiérarchisés, où le genre masculin sera représenté dominant. Les hommes seront alors aux positions de pouvoirs, de commandements, de décisions, de prestiges, là où les femmes seront recluses aux positions de subalternes, d'exécutions, représentées et définies par rapport au genre dominant socialement. Si le féminisme qui lutte contre ce système est très ancien, l'analyse de cette structure a commencé, notamment, avec les études féministes proches du marxisme après les années 1950 menées, par exemple, par Dorothy Smith, sociologue, qui travailla sur la dénaturalisation du genre et sur l'importance du groupe social dans les conclusions et sujets d'études en sciences sociales.

Les classes sociales : Les classes sociales sont également très anciennes, mais dans leur configuration actuelle que depuis la Révolution industrielle. En parallèle de celle-ci se fait la montée en puissance de la bourgeoisie qui devient la classe sociale dominante, et qui impose ainsi ses codes, ses valeurs, ses idées et ses conceptions du monde. La bourgeoisie est une élite économique et politique gardant en main la quasi-totalité des chances et des ressources, qui lui servent ensuite d'assises pour assurer sa propre reproduction. L'ouvrage théorique principal qui sous-tend l'analyse de la bourgeoisie est bien évidemment Le Capital de Karl Marx, puis les analyses ultérieures comme celles de Pierre Bourdieu.

Par ailleurs, il est à noter que d'autres systèmes de discrimination existent, et surtout que chaque système s'entrecroise et se nourrit des autres. On parle d'intersectionnalité lorsqu'un individu va être soumis à plusieurs systèmes discriminatoires simultanément. Une femme noire dans une famille ouvrière n'aura absolument pas les mêmes chances dans la vie qu'un homme blanc de famille de cadres. Mais nous allons justement y venir. Après un cours récapitulatif des origines et organisations des différents systèmes discriminatoires, il est important d'en récapituler rapidement les conséquences sur la société et de fait sur la démocratie.Si l'on doit délaisser le plan moral de la chose, il faut déjà noter que l'un des principaux effets des systèmes discriminatoires est de créer de l'instabilité dans la société.


En effet, les systèmes discriminatoires étant basés sur une différence d'accès aux ressources et sur une différence de fait du rapport à la société, ceux-ci ont tendance à créer des groupes sociaux aux intérêts mécaniquement divergents. A ce titre, les intérêts d'une classe sociale dominée sont aux antipodes des intérêts de la bourgeoisie, dans la mesure où servir les intérêts de la première revient à remettre en cause le pouvoir de la seconde. Les groupes dominés voient leurs existences définies par les groupes dominants. La situation de vie, souvent largement meilleure, des groupes dominants n'est, à ce titre, maintenue que par la subordination du groupe dominé. Le groupe dominant a donc comme intérêt le statu quo ou l'élargissement du groupe dominé, là où le groupe dominé a pour intérêt la réduction du groupe dominé ou la suppression pure et simple du statut de domination. C'est le principe de la lutte des classes, faite pour abolir le capitalisme. On le retrouve également dans le féminisme dont l'objectif est l'abolition du patriarcat et du système de genre.


Mais de fait, en créant ces groupes sociaux antagonistes, les systèmes de discrimination entraînent de profonds facteurs d'instabilité sociale, la situation n'évoluant souvent que violemment ou au terme de révoltes du ou des groupes dominés (qu'elles soient ou non victorieuses). Il n'est alors pas idiot de rappeler que la stabilité est un élément nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de la démocratie et de la société. Par ailleurs, l'instabilité ne se limite pas à un simple antagonisme abstrait. La sociologie nous apprend notamment que c'est l'isolement social, la pauvreté, l'absence d'infrastructures, l'exposition au racisme et aux préjugés, les humiliations et agressions qui finissent par générer une situation de déviance (dans son sens sociologique) mais également de la délinquance, de la criminalité, de la marginalité, etc. Les « révoltes des cités » ne sont dans cet exemple que des conséquences d'un groupe social écrasé et marginalisé dépourvu à la fois de ressources économiques et sociales.

Maintenant, si l'on quitte le terrain presque « fonctionnaliste » qui décriait le danger des systèmes de domination dans la société pour revenir sur un terrain faisant entrer en jeu les individus, il faut rappeler que les systèmes de discrimination sont également des sources très fortes de souffrance. De fait, la transphobie (issue du patriarcat par l'immobilisation et la hiérarchisation des genres) est un phénomène entraînant un taux de suicide très élevé chez les jeunes transgenres, mais également de dépressions, d'assassinats, ou d'autres. La précarité des classes sociales intériorisées amène à un développement toujours plus grand des dépressions et pareillement à une hausse des taux de suicides. Le racisme amène à des tabassages, assassinats, humiliations quotidiennes, vexations, rejets, voire à des massacres comme récemment à Christchurch en Nouvelle-Zélande. Les différences de classes sont également sources de harcèlement, par exemple en milieu scolaire, où des études ont montré que les enfants des classes sociales dominées étaient les plus susceptibles d'être visés par du harcèlement simplement en raison de la différence de richesse. A ce contexte s'ajoute bien évidemment le fait que le harcèlement en sera toujours pire : plus la couleur de la peau sera foncée, plus l'aspect physique s'éloignera de la norme, plus les différences de richesses s'accroîtront etc.


Globalement, les systèmes de domination sont en fait l'inadaptation de la société à ses propres composantes. L'exemple le plus frappant est celui des personnes handicapées, qui ne sont « handicapées » - au sens où leur condition les handicape - que dans la mesure où la société n'est pas adaptée pour leur fournir des ressources et une place légitime.

Un autre exemple est celui des personnes noires, qui peuvent par exemple être mises en danger dans des services de soin par l'absence de formation des soignants, entraînés sur des standards uniquement blancs. Les récits de patients noirs n'ayant pas été pris en charge parce qu'un soignant n'a pas su comment les prendre en charge sont légions à ce titre. Dans un autre domaine, les simples standards de beauté sont tout à fait inadaptés et sur un modèle blanc ou tout du moins sur le modèle de la « blancheur ». C'est tout le principe du « colorisme », tendance à se blanchir la peau voire à se lisser les cheveux pour des personnes racisées car la clarté de la peau est socialement valorisée.


Toute l'histoire des systèmes de domination se résume donc à l'imposition par les classes dominantes aux classes dominées de se conformer à leurs propres codes et manières de vivre, d'être, et donc de fonder une société sur un déséquilibre manifeste.Tout ceci ayant été dit, comment arriver à vaincre ces systèmes de discrimination, systèmes de domination ? Que devons-nous atteindre ? Un mot simple : l'égalité. L'objectif est d'atteindre l'égalité. Attention, il ne faut pas voir l'égalité telle qu'elle fut formulée au cours des siècles comme une égalité de droit salvatrice qui montrerait la voie et dirigerait la société. Il n'est plus inconnu que ce n'est pas le droit qui régit la société mais bien que le droit est conditionné par la société. De fait, l'utilité du droit est assez limitée par rapport aux leviers que sont les politiques économiques et sociales, et les modifications d'ordre sociales et non pas simplement juridiques.

Il faut distinguer ainsi l'égalité de droit et l'égalité de situation. Quand la première est atteinte, elle n'indique en rien l'accomplissement de la seconde. D'ailleurs, la fameuse « égalité des chances » et le « mérite » ne sont que des valeurs, des manières abstraites de voir le monde et d'imaginer une liberté absolue des individus, sans déterminismes sociaux. Les individus n'ont une égalité des chances qu'en cas d'égalité de situation. Or, c'est bien cette égalité des chances que nous voulons, cette égalité statistique au sein de la population. Nous cherchons que personne dans la société n'ait plus de chance que d’autres de mourir assassiné, d'être abandonné dans la rue, d'être tabassé, d'être humilié, ou détruit. Nous cherchons à ce qu’il n’y ait plus de pauvres, et sans pauvres plus de riches, qu’il n’y ait plus personnes en train de mourir dans la rue car n’ayant pas pu se payer un des innombrables logements vides. Nous voulons qu’il n’y ait plus de précaires et qu’il n’y ait plus de victimes du racisme institutionnel. De fait, nous voulons que tous aient les mêmes conditions de départ dans la vie, une existence dans de bonnes conditions assurées. Cela obtenu, les facteurs qui différencieront les individus ne seront plus causes et conséquences de dominations, d’instabilités et de souffrances. Ce faisant, la liberté, soit l’indétermination statistique des individus, la capacité de mener leurs vies du mieux qu’ils le peuvent est maximisée.Et pour ce faire, nous devons donc tendre vers l'égalité de situation.


Si les individus sont soumis de manière intersectionnelle aux différents systèmes de domination, la réponse pour les démanteler doit également être intersectionnelle. La mise à bas du capitalisme par exemple, pour réaliser la démocratie économique, serait déjà un coup fort porté aux bases des structures de discrimination. La libération des mémoires, la lutte contre le racisme nécessitent également des refondations institutionnelles et civilisationnelles profondes qui permettraient de mettre à bas le système raciste régissant le monde depuis la colonisation européenne. Dans le même temps, la lutte contre le patriarcat nécessite une lutte totale contre toute supériorité sociale du genre masculin voire même contre l'idée de genre elle-même. Dans la finalité de ces idées et politiques, rien de mieux que la stabilisation de sociétés considérablement plus ouvertes, beaucoup plus diversement et réellement composées, des sociétés faites et pour toutes ses composantes, la réduction drastique des souffrances de l'Humanité, et la fin de nombreux poisons et fantasmes la grevant depuis des millénaires. L'achèvement final de la liberté, nécessitant l'égalité, au travers de transformations conscientes et véritablement révolutionnaires des sociétés humaines.


Arthur Patou


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