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Photo du rédacteurAlbert Controverses

Des discriminations « positives » ?- Lili Auriat

Depuis le début des années 2000 le principe de discrimination positive est un sujet de débat en France. Certains crient à l’injustice, d’autres vantent un retour à l’équilibre tant attendu mais ce système a pourtant précédé de quelques décennies les heures de gloires de Britney Spears et n’a pas été imaginé sous notre chère bannière tricolore.

Il apparaît à partir de la fin des années 1960 aux États-Unis sous l'impulsion de Lyndon Johnson. La « discrimination positive » que nos voisins outre-Atlantique nomment « l’affirmative action », a pour but, au travers d’une politique préférentielle, de favoriser l'accès à l'emploi et à l'enseignement supérieur de certaines catégories de population victimes de discrimination, principalement les femmes et les minorités ethniques. En pratique, il existe certaines différences entre ces deux modèles : les politiques de quotas sont bien plus simples à mettre en place aux États Unis où l’origine ethnique et la religion sont des critères reconnus et utilisés. En effet, en France, il n'existe pas de discrimination positive de type ethnique ou religieux car cette forme de discrimination est considérée comme "un concept d'inspiration raciste […] qui constitue un point de rupture avec notre Histoire" d'après Lotfi Bel Hadj, le président de l'Observatoire économique des banlieues. De plus, si on s’attarde à une analyse purement sémantique on remarque que « l’affirmative action » sonne beaucoup plus positif que « la discrimination positive » qui avant d’être positive, demeure de la « discrimination »


Pourquoi alors avoir cherché à reprendre le modèle américain en France ? Parce que la patrie de la Liberté n’échappe malheureusement pas à un racisme ambiant, à des stéréotypes sociaux qui creusent une fracture sociale entre les différentes « communautés » de français. Parce qu’en France aussi il y a de la discrimination, des inégalités de la stigmatisation. Parce qu’en France, les enfants d'Algériens sont quatre fois plus au chômage que les enfants de Français selon Michel Euriat et Claude Thélot. Ainsi, la discrimination positive apparaît comme une solution puisqu’elle est par définition contre discriminatoire. Elle permet de réduire les effets des préjugés et des stigmatisations lors de l’embauche ou de l’entrée dans des grandes écoles. Elle permet de « recentrer l’État Providence » sur ceux qu’il a oublié, laissé de côté pendant trop longtemps. Elle s’illustre en France à travers la création de quotas, notamment pour favoriser la parité au sein des entreprises, dans les conseils d’administrations, à travers la loi du 10 juillet 1987 qui impose aux entreprises de plus de 20 salariés d'employer au moins 6% de travailleurs handicapés, à travers des conventions signées dans les années 2000 entre des ZEP (zones d'éducation prioritaires) et des grandes écoles pour permettre à des élèves issus de milieux défavorisés d'accéder à de grandes écoles sans passer par les concours communs. C’est ainsi qu’en 2003, pour la première année d’expérimentation de ce système 37 étudiants originaires de ZEP sont admis en première année à Sciences Po Paris. Depuis, cette discrimination positive a même été renforcée dans certains établissements, n’acceptant plus que les élèves boursiers au sein de ces programmes, afin d’exclure les stratégies opportunistes d’élèves venus passer uniquement leur dernière année de terminale dans ces lycées de ZEP pour profiter des procédures d’admission particulières.

Alors certes, la discrimination positive s’oppose au principe « d’égalité devant la loi ». Mais de quelle prétendue « égalité » parlons-nous réellement quand les élites françaises sont essentiellement masculines, blanches et souvent peu ouvertes au renouvellement ? Une fois n’est pas coutume, je citerai Nicolas Sarkozy qui semble avoir bien saisi l’étendue du problème lorsqu’il déclare : « il est des territoires qui ont tellement plus de handicaps que, si on ne leur donne pas plus qu'aux autres, ils ne pourront pas s'en sortir. ». Il ne s’agit plus d’agir pour l’égalité, mais de faire preuve d’équité.


Le modèle de discrimination positive est pourtant loin d’être parfait. Il peut créer une frustration, un sentiment d’injustice chez ceux qui se trouvent de l’autre côté de la barrière et qui ont l’impression que leurs compétences ne sont pas évaluées à leur juste valeur, qu’ils ne sont pas choisis au profit d’autres sur des critères qui ne sont pas méritocratiques. Cela peut être vrai mais remettons les choses dans leur contexte. Les personnes qui sont favorisées par la discrimination positive le sont une fois et dans un domaine particulier, lors d’une offre d’emploi, ou de l’entrée dans une grande école par exemple. Mais ce sont des personnes qui ont ou être discriminées par ailleurs, qui subissent du racisme ou du sexisme. La notion « d’injustice » dans cette situation est donc à relativiser. De plus, la méritocratie s’applique dans une certaine mesure puisque les personnes positivement discriminées ont des compétences professionnelles ou scolaires qui leur permettent d’occuper la place qui leur est offerte. La discrimination positive leur permet ainsi de saisir une opportunité qu’ils n’auraient pas eu autrement, à la différence de ceux qui sont alors « laissés de côté » et qui auront certainement d’autres occasions de progresser grâce à leurs réseaux par exemple.

Ceux qui bénéficient de ce système, peuvent, au contraire, développer un sentiment d’illégitimité, souffrir du syndrome de l’imposteur. Ils ont l’impression de ne pas avoir leur place dans un groupe, dans une école, de ne pas mériter leurs postes parce que la société ne cesse de leur répéter qu’ils sont là pour « remplir des quotas ». Ainsi la discrimination positive peut paradoxalement mener à une nouvelle forme de stigmatisation. Mais à cela je répondrai « et alors ? ». Et alors, puisque la stigmatisation existe déjà avant la discrimination positive. Et alors, il faudrait tout arrêter, ne rien faire sous prétexte que ce modèle n’est pas parfait ? Cela reviendrait à nier l’existence d’inégalités, de discriminations au sein de la société française.


Ainsi, j’admets que la discrimination positive n’est pas une solution sur le long terme car elle est par définition discriminante. Cependant, dans une société inégalitaire comme la nôtre il n’y a pas d’autres moyens pour tendre vers un objectif d’égalité que d’en passer par là, que de remplacer le principe d’égalité par celui d’équité. A chacun selon ses besoins. Ce modèle a su faire ses preuves aux États Unis et Colin Powell est le premier à dire qu’il ne serait pas devenu un membre éminent des institutions Américaines sans « l’affirmative action ». Finalement, la discrimination positive ne résout qu’une partie du problème d’inégalité en France. Si les employeurs n’ont pas l’impression d’avoir l’offre nécessaire à maintenir une large diversité d’employés c’est parce que le problème intervient avant, parce que les inégalités existent quand il s’agit de faire des études, de choisir sa voie, d’avoir des ambitions professionnelles, d’avoir les moyens de réussir.


Lili Auriat

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