« Enfermez Jean-Marie, libérez Marie-Jeanne »
Le cannabis. On n’en entend pas si souvent parler dans le débat public, à part dans les faits divers pour notifier les perquisitions récurrentes. Toutefois, le sujet devient assez courant dans les médias et dans la sphère politique à l’approche d’élections présidentielles, puisque les programmes des candidats sont plus à même d’imposer le sujet dans les esprits, à l’image du Canada qui a légalisé l’usage du cannabis récréatif avec Justin Trudeau, en 2017. D’ailleurs, Jean-Baptiste Moreau, député de LREM, a annoncé le lancement à l’Assemblée nationale d’une mission d’information sur les différents usages du cannabis dont il va être le rapporteur.
C’est un sujet qui peut faire sourire, mais bien qu’il ne soit pas prioritaire dans l’agenda politique, c’est une vraie discussion qui recouvre des questions importantes. Lorsque en 2014, on estime à 4,8 millions le nombre de français qui ont fumé au moins un joint (OFDT), la question se pose de regarder le fait dans les yeux ou de persévérer dans l’hypocrisie : la France fume, c’est un fait. Je vous épargne les chiffres - pas très exaltants à lire, mais près de la moitié des 18-64 ans ont déjà touché à un pétard dans leur vie en 2016. D’abord, pour anticiper les éventuels « oui mais légaliser, ça revient à légitimer et à banaliser le fait de se fumer le cerveau, et à augmenter la consommation », ce devrait être la responsabilité de chacun de jauger ce qui est bon ou mauvais pour soi-même, tant que l’on reste dans le respect de l’ « ordre ». Avoir la liberté de fumer ne pose dans l’immédiat aucun problème à la liberté d’autrui.
De manière générale, nommer et connaitre une chose -quelle qu’elle soit- est une nécessité pour prendre conscience de son existence, pouvoir en parler et avoir toutes les cartes en main pour avoir la possibilité faire des choix. Je pense donc qu’une sensibilisation est toujours nécessaire, surtout chez les jeunes, souvent malléables et influençables afin que les risques leur soient exposés et de garantir une transparence ; libre à chacun, dès lors en connaissance de cause, de laisser libre court à ses désirs et d’accepter le pet qu’on leur propose ou bien de décliner.
Mise à part cette liberté, le trafic noir de la marijuana est source de nombreux problèmes : règlements de comptes, violence, absence de toute législation sur la fixation des prix, etc. Légaliser, c’est encadrer sa distribution et qui sait, sa consommation. Certes, bien qu’asséché, le marché noir ne disparaîtra pas totalement ; le risque est qu’il se reporte sur d’autres produits -organes, drogues dures- ou qu’il subsiste pour le canna à moindre prix que celui de l’Etat.
Mais c’est déjà une étape pour lutter contre les sombres méandres du trafic, diminuer la criminalité et réduire la part de l’illégalité dans la sphère publique. Par ailleurs -l’un des arguments les plus connus-, le marché du cannabis constituerait une nouvelle source de revenus pour l’Etat (1,1 milliard de chiffre d’affaire grâce au cannabis en 2010, selon un rapport de 2016 de l’INHESJ). Bref, bénef. La vente ne devrait pas pour autant se faire de façon illimitée et serait réservée aux majeurs - certes symboliquement, puisque que ce qui leur est réservé ne l’est souvent pas dans les faits.
En outre, on ne pense souvent pas à tous ces gens qui sont derrière le trafic. Gérer un réseau, c’est une sacrée responsabilité et c’est très formateur. Ces quelques 1000 têtes en haut de la hiérarchie du deal pourraient faire de très bons entrepreneurs, si leurs compétences étaient reconnues. Et c’est sans compter tous les maillons de la chaîne, jusqu’au vendeur de rue. Il faudrait ainsi inclure et insérer ces dealers dans l’activité licite qui découlerait de sa légalisation ; la Californie par exemple a entrepris d’effacer les condamnations liées au cannabis des casiers judiciaires. Ils sont un véritable atout et connaissent la réalité du terrain. J’omets de multiples arguments : tous les malades pouvant être soulagés par l’usage de l’herbe à des fins thérapeutiques, tout l’argent de la répression économisé (police, tribunaux…), tous les emplois qui peuvent être créés, tous les produits dérivés du cannabis dont la circulation peut être diminuée.
Pour moi, la dépénalisation est une fausse solution (le cannabis reste illégal mais sa consommation est tolérée ou moins lourdement sanctionnée). C’est simplement la manifestation d’un Etat illogique, qui subit ce que les consommateurs lui imposent. Légaliser le cannabis, c’est cesser de rester passif et hypocrite devant un fait établi : une partie de la France s’adonne à ce plaisir. Et la prohibition ne stoppe jamais la consommation -surtout dans un pays comme le nôtre. Alors faisons avec, et établissons des règles pour entraver ces dérives, cette délinquance et pour accompagner au mieux cette consommation. Le cannabis est une réalité culturelle à ne pas négliger ; la société est en transition perpétuelle, autant l’escorter dans le sens de la courbe du mieux possible.
Quand on y réfléchit, poursuivre cette interdiction révèle l’un des profonds dysfonctionnements de la politique : celui de manquer de cohérence et de se résigner fermer les yeux sur des faits établis sans agir.
Par Mahaut D'Anchald
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