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Dossier: Comment conserver le principe de fraternité dans une France multiculturelle?-Arthur Alemany

Le multiculturalisme consiste à faire cohabiter des peuples aux mœurs plus ou moins différentes au sein d’un même territoire. La « fraternité » mentionnée sur notre devise nationale renvoie quant à elle aux liens qui unissent ceux qui défendent la même patrie. On peut dès lors souligner un paradoxe : si la France n’est qu’une mosaïque de cultures hétérogènes, comment conserver un sentiment d’adhésion puisqu’il n’existe plus réellement de référentiel commun ?

En effet, on parle de fraternité uniquement pour ceux que l’on considère comme nos frères, pas pour des individus que l’on perçoit comme des étrangers, quelle que soit la nature de leurs différences. Le lien social implique la reconnaissance de caractères semblables chez notre voisin ; plus ces similitudes se font rares et moins la cohésion est forte. Le modèle multiculturaliste insiste sur l’hétérogénéité des cultures au sein du pays, il stipule que l’on devrait laisser chacune d’entre elles intactes afin de ne pas brusquer les différents groupes. Toutefois, une telle société s’expose involontairement à un morcellement : chaque communauté se définit d’abord en tant que groupe restreint et ensuite seulement comme membre d’un tout national. Cela n’augure rien de bon pour une éventuelle fraternité, chacun se refermant sur soi et n’étant lié aux autres que par des institutions légales. Quelque part, le modèle multiculturaliste ne serait-il pas un aveu d’échec ? Un assimilationnisme trop faible pour assurer l’homogénéité du groupe, qui proposerait alors un pis-aller plus ou moins stable ? Les Etats-Unis – car c’est bien de là que les doctrines multiculturalistes sont pratiquées de la façon la plus visible - auraient-ils eu besoin de vanter les mérites du multiculturalisme s’ils n’avaient pas connu l’héritage difficile de l’esclavage et les ségrégations qui l’a suivi ?


La France n’a pas à importer un modèle étranger au simple prétexte que les théories qu’il défend sont “à la mode”. Le contexte n’est simplement pas le même, ce pourquoi des mouvements comme « Black Lives Matter » ont infiniment moins de sens au sein de l’Hexagone qu’en Amérique du Nord. Certes, la France est historiquement multiculturelle (Basques, Dauphinois, Bretons, Bourguignons…) mais il aura fallu près de 2000 ans et des centaines de conflits pour unifier ces différents peuples sous la même égide. Il ne suffit pas de dire du jour au lendemain « soyons frères ! » pour que tout le monde avance main dans la main vers le soleil couchant en fredonnant du Johnny Cash. La fraternité n’est pas un vague principe mais le résultat d’un long et douloureux processus d’identification, achevé au terme de conquêtes et de révoltes. La fraternité ne se décrète pas, elle se bâtit sur un temps plus ou moins long selon la taille et la nature du « greffon » social à absorber.

Peut-on cependant imaginer fonder la fraternité sur une idée, une doctrine, plutôt que sur de longs processus d’intégration et de cohésion ? Cela paraît malheureusement compromis. Par exemple, les Droits de l’Homme ne créent qu’une fraternité de surface dans la mesure où il s’agit d’un concept abstrait qui ne suffit aucunement à créer un sentiment d’appartenance enraciné, profond. On peut croire aux Droits de l’Homme aussi bien depuis Mumbai, Paris ou Saint-Pétersbourg, et ce n’est pas pour autant que cela s’accompagne d’une réelle proximité. Cette idée, bien que très belle sur le papier, n’en reste pas moins hors-sol. Comme cela a été dit plus tôt, il ne suffit pas de décréter la fraternité pour que les différentes populations concernées y adhèrent. Le sacro-saint « vivre ensemble » n’est finalement que le synonyme de l’abandon de chaque communauté à elle-même, quitte à ce qu’elle entre en conflit avec les autres lorsqu’elle estime sa souveraineté bafouée. C’est la consécration d’une patrie divisée, soumise aux revendications identitaires au détriment de la cohésion du tout. A priori, débiter la nation en entités toujours plus réduites ne semble pas être un moyen viable de préserver une quelconque forme de fraternité.


En revanche, il existe une fraternité bien réelle entre personnes de cultures différentes pour peu qu’elles aient au préalable traversé ensemble un certain nombre d’épreuves particulièrement difficiles. On peut penser par exemple aux engagés de la Légion Étrangère : malgré la grande variété de cultures qui s’y côtoient, ce corps est réputé pour la cohésion intense de ses membres. Mais une telle fraternité n’a été rendue possible que par une discipline de fer et un conditionnement mental on ne peut plus sévère. A moins d’embrigader et de militariser de force la totalité de la société, il semble difficile de reproduire un tel modèle dans le civil et, à vrai dire, cela ne serait pas souhaitable. Nous en revenons donc à l’argument précédent : la fraternité ne naît qu’au cours de longs processus d’assimilation, lesquels semblent en l’occurrence diamétralement opposés aux dogmes du multiculturalisme.

Pour résumer, le multiculturalisme paraît sympathique en théorie mais difficilement réalisable sans accroc. Les exemples actuels de sociétés multiculturalistes, Etats-Unis en tête, semblent tous montrer une forte ségrégation et une réelle méfiance entre des communautés qui ne souhaitent pas se mélanger. La situation française n’est heureusement pas si extrême, bien que Jérôme Fourquet ait à juste titre souligné la fragmentation croissante de notre « société archipel », notamment selon des critères culturels comme la religion ou la langue. Enfin, Gérard Collomb lui-même déplorait le manque de mixité sociale et terminait sa passation de pouvoir en ces termes : « aujourd’hui on vit côte à côte… je crains que demain on ne vive face à face ».


Arthur Alemany



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