Au même titre que la Liberté ou l’Égalité, nul n’est censé ignorer la signification de la « fraternité » et sa présence dans notre devise nationale devrait hisser ce principe au sommet de notre considération. Pourtant la fraternité est bien plus difficile à définir que les deux autres valeurs, que ce soit dans l’opinion publique ou dans la Constitution. Il est complexe de trouver des situations qui témoignent de l’existence même d’une « société fraternelle ». Alors connaissons-nous aujourd’hui la fraternité et l’avons-nous déjà connue ?
La question de l’immigration divise l’Europe et représente partout un levier important du populisme et de l’extrême droite. Alors que la France érige la fraternité comme principe fondamental, l’ancien président Nicolas Sarkozy déclarait « L’immigration menace notre façon de vivre ». Quant à la candidate au second tour de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen, elle parle de « priorité nationale », soit « un avantage donné en matière d’emploi ou de logement aux Français. ». Lorsqu’une personne en vient à décider de quitter tout ce qu’elle possède et connaît, famille, amis, repères, on ne peut pas réellement parler de choix mais plus de nécessité. Ces personnes qui traversent les frontières et les mers au péril de leur vie dans l’espoir de trouver mieux ailleurs se retrouvent dans le pire des cas face à des portes fermées, contraints de faire le trajet inverse, et dans le meilleur, face à une vie de misère, sans considérations, sans aide, sans sécurité. Très fraternel…Notre peur de l’autre, de l’inconnu, notre besoin de trouver un responsable n’est pas compatible avec la fraternité et ne l’a jamais été. Les étrangers sont accusés de tous les mots : d’amener la violence, la maladie, la délinquance, le chômage, d’être des profiteurs, des sangsues, de vivre au crochet de la France qui se lève tôt et se couche tard. Pourtant, la majorité des immigrés participent activement aux besoins fondamentaux et au bon fonctionnement de notre société.
Cependant, une avancée importante a été faite récemment pour la fraternité. Le 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. Celui-ci a amendé la loi selon laquelle « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros », ce qu’on appelle plus communément le « délit de solidarité ». M. Herrou avait par exemple été condamné à quatre mois de prison avec sursis en août 2017 pour avoir transporté 200 migrants de la frontière italienne jusqu’à chez lui et organisé un camp d’accueil. Aujourd’hui, le principe de fraternité permet « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ». L’aide humanitaire n’est donc plus considérée comme un délit. Un grand pas pour la fraternité. Néanmoins, l’aide à l’entrée sur le territoire national de migrants en situation irrégulière reste passible de poursuites. Cette modification n’a donc permis qu’une meilleure conciliation « entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l’ordre public. »
Il reste donc de nombreux efforts à faire pour remplir cette notion vide de sens, en France comme ailleurs. Combien de fois la communauté internationale a-t-elle été accusée d’inaction et de manque de solidarité face à des situations scandaleuses ? Si nous ne voulons pas nous retrouver, dans quelques décennies, à devoir répondre de notre passivité, à devoir expliquer pourquoi rien n’a été fait alors que tout le monde savait, nous ferions mieux de reconsidérer plus attentivement notre sens de la fraternité.
Lili Auriat
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