Il est difficile d’aborder ce sujet en l’isolant de l’égalité femmes/hommes puisque la sexualité, en l’occurrence hétérosexuelle, est le miroir de nos rapports femmes/hommes en société. Aujourd’hui encore, malheureusement, l’égalité sous la couette n’est pas gagnée. Je m’excuse d’avance si mon propos va peut-être paraître un peu caricatural, généralisant et indélicat, mais les dynamiques générales soulevées ici ne sont là, je précise, pour blâmer personne ni les hommes, ni les femmes, ni ceux évidemment qui ne se reconnaissent dans aucun de ces deux genres.
La vision de la sexualité a souvent été très naturalisante en confondant souvent la reproduction et l’art de la sexualité. Cette confusion est l’un des éléments expliquant le fait que la sexualité, reflet de notre société, n’est pas encore égalitaire. En réduisant pendant longtemps la sexualité à la reproduction, la sexualité s’est déjà d’abord résumée à une sexualité de couple. Mais ce n’est pas tout : elle est restée extrêmement phallocentrique, ne percevant le sexe de la femme que comme un trou, comme un simple vagin. “Un trou est un trou”, “Une bite n’a pas d’œil”. Peut-être avez-vous déjà entendu ces phrases extrêmement révélatrices de l’amputation du sexe féminin, souvent représenté ouvert, comme un espace qu’il faut combler à tout prix. Cette amputation concerne également les hommes et en général toutes les zones potentiellement érogènes du corps sauf les organes reproductifs, produisant ainsi une sexualité très amaigrie, très utilitariste et très inégalitaire. Comme on le sait maintenant, l’orgasme appelé “vaginal” des femmes est en fait un orgasme “clitoridien”, possible grâce aux branches du clitoris qui entourent le vagin. Cette découverte purement scientifique en a révélé une autre. Les femmes n’ont pas besoin de pénétration pour jouir et leur sexualité ne se résume pas au vagin mais bien à l’ensemble de ce qu’on a aussi seulement nommé le « petit bouton rose », qui est en réalité un véritable organe externe et interne dédié seulement au plaisir : le clitoris.
En continuant sur l’aspect reproductif de la sexualité, j’en viens à la question de la contraception. Depuis 1968, la pilule féminine est enfin disponible pour les femmes. Si ce fut une avancée extraordinaire pour les féministes de l’époque, je trouve qu’on peut aujourd’hui en voir aussi les travers. Les féministes des années 70 ont défendu ce droit à la contraception afin, bien sûr, que les femmes puissent se détacher enfin de cette sexualité reproductive, ce qui était évidemment nécessaire. En revanche, l’un des arguments qu’elles ont utilisés était le suivant : “C’est nous qui portons les enfants, c’est notre responsabilité, notre charge et notre droit d’avoir un moyen de contraception”. Cette responsabilisation des femmes les ramène encore une fois à leur rôle de mère dans la sexualité. Or, un père a aussi le droit d’avoir accès à un mode de contraception autre que le préservatif, utilisé souvent à court terme. D’après l’étude de 2017 de Cécile Ventola auteure d’une thèse qui compare les contraceptions masculines dans les systèmes de santé en France et en Angleterre, en France 70% des femmes exposées à un risque de grossesse utiliseraient un moyen de contraception féminin. Cette déresponsabilisation des hommes de la charge de la contraception est un des facteurs qui rend les rapports sexuels d’une certaine manière inégalitaire. Heureusement, cela commence à bouger.
Les hommes selon moi doivent prendre part autant que possible à la prise d’un contraceptif pour que le rapport et la crainte ne soient pas toujours du côté des femmes. Il est temps que cette charge, lourde à assumer seules pour les femmes, soit partagée. Cela permettrait que les hommes comprennent davantage la charge que pouvaient autrefois porter seules leurs partenaires féminines. Je parle ici surtout des couples qui durent où pour la plupart, c’est quand même la femme qui porte cette charge. Mais évidemment cela est valable également pour les couples libres, les plans culs, etc. Chacun peut, à sa manière, en fonction de la nature et de la fréquence de ses rapports, réfléchir à la question.Même si ce n’est pas un sujet négligeable faisant partie intégrante de la sexualité, il est temps de s’éloigner du sujet reproductif pour se tourner vers la découverte, l’art de la sexualité. Selon Maïa Mazaurette, journaliste au Monde spécialiste de la sexualité, il faut acquérir une culture sexuelle. Il faut accepter que la sexualité soit une culture, un art et un champ de connaissance important.
L’une des formes de rapport inégalitaire sous la couette extrêmement problématique est le manque d’érotisation des hommes. Il est vrai que l’on vit dans une société où les hommes hétérosexuels sont confrontés toute la journée à des stimuli de femmes hypersexualisées désirables dans les publicités, les films, les séries, les couvertures de magazines etc. Dans une étude de 2014 sur 2 000 personnes aux Etats-Unis, 67% des femmes adultes affirment s’être souciées au moins une fois dans la semaine de leur apparence contre 23% des hommes.
S’il existe une pression démesurée de notre société sur l’esthétique féminin et qu’on peut véritablement affirmer que le but n’est pas de déplacer cette charge sur les hommes, il serait peut-être simplement temps de l’équilibrer, comme pour la contraception. Si certains hommes se plaignent de ne pas recevoir de compliments venant de leurs partenaires, il faut accepter que ce soit parce que les efforts des hommes pour être désirables en moyenne sont significativement moins importants pour la plupart que ceux initiés par les femmes.
Ce déséquilibre esthétique est très nocif pour le succès d’une sexualité égalitaire et partagée puisqu’ il se traduit également dans les rôles genrés de séduction et de sexualité. Comme les femmes en société sont dans la plupart du temps dans une posture de séduction passive à travers leurs esthétiques, les hommes eux doivent être très actif autant dans la séduction que dans la sexualité. Heureusement c’est de moins en moins le cas, mais les comportements sexuels sont encore dictés par les étiquettes qui collent aux genres et c’est un problème. Les femmes ne prennent souvent pas beaucoup d’initiatives par manque d’habitude, d’audace et peur du rejet tandis que le manque d’érotisation et parfois même d’hygiène de certains hommes font baisser leur libido. A l’inverse, certains hommes sont déconcertés quand la femme prend les devants tandis que d’autres adorent ça. Bien sûr, il ne faut absolument jamais se forcer en sexualité mais cela explique parfois le ressenti de certaines femmes ou certains hommes d’ennui au lit. Une routine s’installe. Les hommes ont une pression d’avoir toujours envie, de montrer leur désir et de bander tandis que les femmes ont la pression de mouiller suffisamment vis-à-vis de l’excitation reçue. C’est un peu caricatural et cru mais c’est quelque chose d’intériorisée. Par ailleurs, globalement, la beauté ne peut être que féminine dans notre société en grande partie à cause de nos représentations culturelles. Dans le cinéma notamment, le “male gaze” domine c’est-à-dire que les mouvements de caméra par exemple, les scènes, sont filmées du point de vue masculin hétérosexuel. Même si le “female gaze” continue d’émerger, il n’arrive toujours pas à se détacher de l’apparence des femmes et à érotiser les corps des hommes. On a donc une vision très sexualisée des corps des femmes, et très peu de ceux des hommes. Maïa Mazaurette, également artiste, a décidé de s’emparer de cette thématique dans ses œuvres. Elle dessine, peint, apporte un regard érotique, parfois sexualisant sur le corps des hommes. Si les hommes s’érotisaient un peu plus, la charge de l’esthétique serait plus équilibrée dans le couple hétérosexuel et cela pourrait peut-être permettre aux femmes de davantage désirer « activement » leur partenaire, d’avoir davantage de désirs à long terme et de ne plus ressentir une aussi grande pression d’exigence esthétique de la société.
D’autres facteurs induisent un rapport inégalitaire entre la libido féminine et masculine. Il y a évidemment la contraception qui peut influencer puisque souvent sous forme de pilule féminine, celle-ci peut avoir des effets sur la libido. Il y a également comme je viens de le souligner le manque d’érotisation des hommes comparé aux femmes. Mais, il y aussi la charge mentale. En effet selon une étude de l’INSEE de 2015 dont les chiffres n’ont quasiment pas évolué aujourd’hui, deux tiers des tâches domestiques sont effectués par les femmes. En partant de ce constat qui ne prend même pas en compte l’ensemble de la charge mentale, il n’est pas surprenant qu’il soit plus difficile d’avoir la tête à faire l’amour pour les femmes. Même dans la chambre à coucher, qui est incontestablement la pièce sexuelle par prédilection, il y a des tâches ménagères à faire. C’est un facteur non négligeable. Évidemment, l’égalité sous la couette doit passer par une égalité des tâches domestiques, et plus globalement par une répartition de la charge mentale. C’est d’ailleurs pour cela que c’est compliqué. La vie sexuelle est interconnectée à d’autres aspects de la vie quotidienne.
Une autre question fondamentale se pose : la question du consentement. En pleine polémique de #sciencesporcs et après les nombreux témoignages récents de viols et d’incestes, évidemment il faut l’aborder. Pour faire le lien avec la libido, il y a toujours l’idée que le consentement ne serait pas sexy, freinerait le désir et empêcherait toute spontanéité. Transgresser le consentement au contraire amènerait une tension sexuelle. Or, il est temps de prendre conscience que demander le consentement de quelqu’un est non seulement obligatoire, mais peut être aussi très excitant. Exprimer avec des mots ses désirs, pas forcément sous forme de question mais d’affirmations, peut être source d’excitation sexuelle: « J’aimerai toucher tes testicules, je veux embrasser tes seins… »
Le problème est qu’on a du mal à trouver un langage adapté : soit on utilise un langage codifié, jargonné et scientifique (seins, testicules ...) soit un langage cru (couilles, chattes, bites…) soit alors un langage enfantin (zizi, zezette…). C’est quelque chose sur lequel chacun doit réfléchir afin de trouver le langage qui l’excite le plus et le transmettre à son ou ses partenaires pour que ceux-ci puissent l’utiliser. C’est cela la subversion. Plus on demande le consentement, plus on rentre dans une forme de dangerosité : on se rend vulnérable. On accepte qu’en demandant, en assumant son désir, on puisse se faire rejeter. En parlant de rejet, il est également vrai que certains hommes ne veulent pas prendre soin d’eux de peur de faire comme un « pd », d’être considéré comme moins viril et donc d’être d’une certaine manière rejeté par les autres hétérosexuels. L’association de la pénétration anale aux pratiques homosexuelles va dans le même sens. Encore beaucoup d’hommes hétérosexuels ne vont pas accepter d’être pénétrés par leur partenaire féminin car la pénétration masculine anale est toujours perçue comme un acte sexuel démasculinisant et dévirilisant.
« Si la sexualité était une question de plaisir, les femmes seraient moins pénétrées et les hommes le seraient davantage. » écrit Martin Page dans Au-delà de la pénétration. La représentation culturelle de celui qui est pénétré est celle de quelqu’un dans une posture passive et soumise, ce qui va à l’encontre de la posture de mâle alpha que l’homme, surtout hétérosexuel, peut parfois se sentir obliger de tenir. Mais il est temps que le plaisir passe avant tout et que la sexualité balaye les rôles genrés. Les hommes ne doivent plus avoir peur d’être “dévirilisés”. Comme on ne détermine pas la valeur d’un homme ou d’une femme sur sa couleur de peau, on ne la détermine pas non plus sur ses pratiques sexuelles. Dans l’étendue des pratiques sexuelles, il existe les pratiques BDSM. Certains films et romans érotiques comme Cinquante Nuances de Grey les ont démocratisés bien qu’elles l’étaient déjà d’une certaine manière dans les films pornographiques. Or, même s’il est nécessaire de se sentir libre en sexualité, cette démocratisation pose des questions sociales et morales. En effet, si dans la vie on prône une égalité des sexes et que dans notre sexualité on n’est pas capable de désirer l’autre sans être soumis(e) ou sans dominer l’autre, cela peut poser question. Tout dépend évidemment de notre vision de la sexualité et également du degré. La psychanalyse freudienne a longtemps fait croire que tout rapport sexuel consiste à anéantir son partenaire, que toute sexualité comporte une part de violence et que sans cette violence, l’acte sexuel ne serait pas jouissif. Évidemment, c’est sûrement faux pour beaucoup de personnes. Mais, pour ceux pour qui ça ne l’est pas, que ce soit des hommes ou des femmes, il serait intéressant d’essayer de comprendre pourquoi. Nos désirs sont formés à partir de nos représentations culturelles. L’homme hétérosexuel est celui qui pénètre et par conséquent, on l’associe à celui qui est actif et donc à celui qui domine le rapport. Mais celui ou celle qui est pénétré(e) ne doit pas être passif ou passive. Cette personne doit elle-même faciliter cette pénétration et l’accompagner. Néanmoins, la domination qui peut s’exprimer autrement que par la pénétration, passe parfois par l’usage de la violence. Si cette domination est acceptée par les deux partenaires, il n’est absolument pas question de la juger. Mais il est bon de remarquer une certaine dissonance cognitive entre la réalité et nos valeurs et nos pratiques au lit. Chacun doit réfléchir au pourquoi du comment on désire et on fantasme sur des pratiques irrespectueuses ou moralement inacceptables en société.
Par ailleurs, il est vrai que ce schéma dominant/dominé persiste souvent dans la sexualité avec l’homme dominant et la femme dominée. Le problème n’est pas forcément de désirer que la femme soit soumise dans un rapport, mais plutôt de la désirer de cette manière parce qu’on est un homme et seulement pour ça. Lorsqu’on n’accepte pas que le rapport de domination puisse s’inverser parce qu’on considère que la femme doit automatiquement être soumise dans le rapport, là est le problème. C’est la source de ce désir qu’il faut parfois remettre en question parce que cela ampute les individus de pouvoir se libérer des pratiques et postures genrées. Je ne vais pas m’attarder sur le rôle dévastateur du porno classique sur toutes les pratiques genrées, dégradantes, déshumanisantes pour certaines qu’il véhicule, sinon on n’en finirait pas.
Finalement, nos désirs, nos rôles dans la sexualité et nos pratiques sexuelles ne doivent pas être dictés par les stéréotypes attribués aux hommes et aux femmes dans la société. Il existe une multitude de pratiques sexuelles comme l’illustre A Map of the Lands of Human Sexuality de Franklin Veaux qui peuvent satisfaire tout un chacun dans le respect de l’autre. On ne doit pas s’amputer de certaines pratiques sous prétexte qu’elles ne seraient pas féminines et masculines. Il est temps que chacun puisse expérimenter toutes les formes de plaisir s’il le souhaite, pas parce qu’il est un homme ou une femme, mais simplement parce qu’il est un être humain libre de désirer et d’être désirable.
Angèle Coadou
Comments