Faites votre choix : collapsologue ou « collapsonaute » ; « àquabontiste » ou « çavapétiste » ; l’étendue des qualificatifs et des significations est large pour une discipline qui n’anticipe rien de moins que l’effondrement de notre société actuelle et qui s’intéresse à y substituer une alternative politique viable.
Un récit politique commun ?
La collapsologie, ou comment la raison peut appréhender la possibilité d’un effondrement global de notre système thermo-industriel, est une discipline, originellement apolitique, lancée par le livre Comment tout peut s’effondrer, paru en 2015, de Pablo Servigne et Raphaël Stevens. Les auteurs apparentent la collapsologie, non pas à une théorie, mais plutôt à un « récit » qui, anticipant un effondrement certain de notre société industrielle, a pour objectif (dans la suite de cet effondrement) de permettre à l’humanité de se projeter dans un avenir incertain. La différenciation lexicale est de taille puisque, dans le cas d’un récit, l’imagination en est la principale caractéristique.
L’enjeu, ambitieux certes, est de concilier ce « récit » avec une rigueur scientifique qui s’appuie sur le rapport Meadows de 1972 comme premier fondement intellectuel. Outre qu’il prévoit l’émergence d’un « apartheid climatique », phénomène qui semble se vérifier à mesure que la situation climatique se dégrade, il postule que l’effondrement de notre société industrielle devrait se produire d’ici à 2030. La collapsologie, en y introduisant un large éventail de justifications d’ordre climatique, politique et social, offre un corpus d’éléments accréditant cette hypothèse : réchauffement climatique, extinction de masse de la biodiversité, montée des inégalités ou encore tensions géopolitiques. Cette interconnexion des phénomènes, régie par une doctrine de la « pensée horizontale » considérée comme trop souvent négligée par les intellectuels, introduit une idée contemporaine de convergence des luttes, non sans rappeler les luttes socialistes du XXème siècle, avec cependant une portée plus large. En effet, de la revendication de plus de justice fiscale par les « gilets jaunes », l’activisme écologique de Greta Thunberg jusqu’au radicalisme du mouvement « extinction-rébellion » qui prône la désobéissance civile, ces mouvements sociaux, dont l’hétérogénéité des revendications et des acteurs est frappante, passent pour les différentes ramifications d’une seule et même critique. Ils critiquent la non-viabilité de notre système capitaliste actuel et la constatation qu’un « effondrement » prochain et non une simple « crise » (ce qui suppose qu’un retour en arrière est impossible) de notre société industrielle est devenu inévitable ; seule certitude pour une discipline fondée sur l’incertitude.
Pour les collapsologues qui se présentent comme pragmatiques, cet effondrement ne représente cependant pas la fin du monde, mais la fin d’un monde. Ce « récit » prend alors tout son sens lorsqu’il s’agit d’introduire créativité et inventivité pour concevoir une nouvelle société. La disparition de la société industrielle et individualisante devrait ainsi laisser place à une société où l’entraide et l’altruisme y seraient les fondements. Cette nouvelle société imaginaire revendique une lecture différente du darwinisme social qui, à défaut d’adopter l’approche néolibérale selon laquelle seuls les plus forts survivent, affirme que la survie dépend de la coopération et de la solidarité entre les individus. Sur cette base morale, chacun a par la suite la possibilité d’imaginer une société idéale.
Hérésie scientifique, fantaisie politique et fresque apocalyptique
La collapsologie peut-elle cependant prétendre au critère de rigueur scientifique ? Si les évaluations du rapport Meadows sur la nécessité de transformer notre système productif et de consommation pour limiter l’importance du réchauffement climatique semble pertinente, l’effondrement de notre société d’ici 2030 n’est-il pas fantaisiste au mieux, catastrophiste au pire ? Bien que les collapsologues s’appuient, outre le rapport Meadows, sur le cinquième rapport du GIEC (2014) selon lequel un réchauffement global de 0,8 °C s’est produit depuis 100 ans, confirmant en cela la réalité du réchauffement climatique, l’idée défendue par les collapsologues comme quoi les Vikings, les Mayas et les habitants de l’Île de Pâques ont vu leur société s’effondrer à cause d’une surexploitation de leur environnement a été scientifi- quement réfutée. De surcroît, brandir la « pensée horizontale» comme symbole de rationalité scientifique n’est-il pas superficiel ? Peut-on efficacement relier
le mouvement des « gilets jaunes » aux tensions américano-iraniennes ? La question de l’égalité homme-femme se retranscrit-elle dans les feux de forêt en Amazonie ? N’est-ce pas finalement qu’un amalgame simpliste de problèmes sociaux et politiques contemporains aux causes et conséquences diamétralement différentes ?
D’une même manière, en plus de l’adaptation du postulat millénariste (difficilement crédible) selon laquelle notre société industrielle doit s’effondrer entre 2030 et 2050, et si tant est que nous devions survivre à ce potentiel effondrement, comment construire cette nouvelle société ? Comment organiser politiquement ce « récit » ? Si la participation citoyenne et individuelle est déjà plus ou moins à l’ordre du jour dans les milieux écologistes radicaux no- tamment (lieu de prédilection de la collapsologie même si elle est originellement apolitique), comment inciter une action nationale et même internationale? Sur ce point, la collapsologie demeure encore sans réponse.
Enfin, la collapsologie pourrait se résumer pour d’aucuns à « un best off des mauvaises nouvelles de chaque discipline » versant dans le discours apocalyptique et alarmiste au moyen d’une rhé- torique simpliste. Elle ne s’apparenterait ainsi qu’à une tendance sociale, une recette commerciale temporaire à l’efficacité certaine.
Effondrement de l’humanité, échec de l’imagination ?
Et si l’effondrement de notre système n’était que le résultat de notre déficit imaginatif? De notre incapacité à nous projeter au-delà d’un système capitaliste présenté comme in- tangible, instinctif, naturel, fondé sur la production à outrance et sur une culture nocive d’un individualisme excessif ? La conception même de l’alternative politique, qui a pu s’incarner dans le Phalanstère de l’utopiste Charles Fourrier ou encore de la mouvance anarchiste du 20ème siècle, semble avoir été rayée des sciences humaines. En cela, les collapsologues affirment notamment que la sociologie contemporaine ne se borne seulement qu’à critiquer, mais surtout, justifier un système existant sans avoir la prétention d’en concevoir un nouveau ; l’imagination d’un nouveau système politique et social, idée ridiculisée (mais non ridicule) depuis l’échec du communisme soviétique.
Serait-ce donc là le principal intérêt de la collapsologie ? Réintroduire l’imagination et la créativité dans le débat politique? Réhabiliter le concept d’alternative politique ? Et le démocratiser ? Si tel est le cas, la collapsologie pourra, à défaut de présenter un système politique viable, se targuer d’avoir revitalisé l’ensemble du débat politique.
Par Hugo Porquet
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