Il y a ceux qui font l’amour, ceux qui déglinguent, ceux qui mettent une fessée occasionnelle, ceux qui battent à bleus et à sang, il y a ceux dont les compagnes sont trop jeunes, ceux dont elles ne le sont pas assez ; de l’autre côté il y a les matérialistes qui vendent leur corps en image pas bien chèrement sur Onlyfans, il y a les saintes qui restent intouchées indéfiniment, il y a celles qui aiment être désirées, celles qui n’en peuvent plus, il y a celles qui veulent, celles qui ne veulent pas, celles qui veulent peut-être. Attention.
L’énumération s’arrête là, car quiconque tente de dresser une liste de binômes antithétiques sur les comportements sexuels se retrouve inévitablement face au constat qu’il n’est en sexualité que rarement d’absolu. En effet, un partenaire peut, certes, être plus ou moins ouvert, plus ou moins expérimenté, plus ou moins audacieux, dans tous les cas, rares sont ceux qui veulent la même chose au matin, au soir, la nuit après une soirée, sur le divan du salon, la table de la cuisine, une plage de sable clair ou aux chiottes du Mistral. Il est, semble-t-il, en sexualité une seule loi universelle ; celle de la contextualisation.
Intentions
Notre bureau de devins, ayant bien flairé le coup en annonçant le sujet du sexe en ce mois de février 2021 (parution du livre de Camille Kouchner, #SciencesPorcs) il aurait été de mise de rédiger quelques papiers sur les abus sexuels envers les femmes, rares sont ceux qui à 20 ans sont en mesure de parler du lit des enfants. Or, cela n’est pas réellement l’objet de cet article. Voyez-le, mesdames, plutôt comme une interrogation. En effet, ayant du mal à me figurer les professeurs que nous avons en commun à l’œuvre (aussi parce qu’à vrai dire, je ne le souhaite pas) je n’ai pas achevé ma découverte de l’étendue du problème ; le temps, pour moi, est à l’écoute.
Qui est mis en cause ?
Qui est mis en cause ? Moi ? Le sommes-nous tous ? Les directions des IEP ont été responsabilisées pour leur inaction face aux crimes sexuels de leurs étudiants et de leurs employés ; moi non plus, je n’ai rien fait. Pourquoi responsabiliser les directions ? Parce qu’elles ont su et qu’elles n’ont pas rendu justice en conséquence ? Parce qu’elles n’ont pas confronté les accusés, qui étaient accessoirement leurs employés, aux dénonciations des victimes ? Parce qu’elles n’ont pas fait les aménagements systémiques nécessaires pour protéger les femmes de leurs établissements de potentiels abus? Mais que faire alors pour les victimes qui n’étudient pas à Sciences Po, pour les victimes qui ne sont soumises à aucune direction ? Dans ces situations-là, qui sont les coupables du silence ? Sommes-nous tous tenus de rendre justice aux victimes de viol présumées ; à celles qui nous semblent dire vrai ?
Quelle conception de la justice ?
Et quelle justice ? Le droit pénal prévoit, assez commodément des peines et des réparations pour les victimes ; mais pour rendre justice à qui ? Une fois le criminel sanctionné afin qu’il ne récidive pas, est-ce réellement à la victime que nous rendons justice ou nous sommes-nous, en tant que société, simplement débarrassés nous-mêmes d’une nuisance collective ?
Cette même chose semble litigieuse dans l’affaire Sciences Porcs. Nous avons d’une part les victimes qui ont subi un préjudice physique et moral, mais qui ne sont probablement pas en mesure de solliciter le système judiciaire, faute de preuves. Celles-ci font de la collectivité les juges de leurs affaires en exposant les crimes qu’elles ont subi sur les réseaux et parfois leurs responsables. Les victimes au premier abord semblent de bonne foi ; mais en ce qui concerne les internautes qui se font juges, comment font-ils pour se soucier de la victime de l’affaire, sans en connaître l’identité ? Et quand bien même on serait capable de compatir avec une victime à travers son avatar sur les réseaux, ne ressent-on alors pas la retenue inévitable qui nous empêche de juger un accusé sans les preuves nécessaires ? L’aspect réparatoire du procès pour la victime est-il pris en compte par les juges numériques, ou s’agit-il simplement d’un jugement contre ? Juger les administrations et les employés que nous connaissons tous (car la grande majorité d’entre-nous en fait son premier contact en cas de problème), ne revient-il pas simplement à récuser la présomption d’innocence ou tout bonnement le droit à la défense ? Comment faire de la politique de bonne foi ?
Ne faudrait-il pas redoubler de vigilance quand on mêle le judiciaire au politique, étant donné qu’on fait un faux procès numérique à des anonymes dans lequel les deux parties finissent représentantes de personnes auxquelles il faudra donner un visage dans la réalité si on veut tirer des conséquences ? Deux cibles apparaissent de manière récurrente dans l’affaire Sciences Porcs : les élites (à travers Sciences Po) et les hommes. En cherchant le visage correspondant au profil, me verrez-vous, sans contexte, de la même manière qu’avant ? Saurez-vous d’une part dissocier l’accusé du coupable, dissocier d’autre part le politique du quotidien ? Et finalement, êtes-vous qualifiés pour juger d’une affaire de viol ? Comment ne pas se laisser affecter par la politique dans sa relation quotidienne ?
Au bout du compte, c’est moi et une personne que j’aime dans notre lit conjugal et si le politique qui découle du judiciaire se mêle au privé, comment vivre notre amour comme nous le souhaitons ? S’ils ont le goût de l’humain et de la spontanéité avant celui de la justice politique, comment deux êtres vivent-ils toutes les parts d’ombres de leur sexualité, malgré la politique et la faute des autres ?
Raphaël Danieli
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