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Dossier: La réticence à la technologie - Fahim Bounoua

Ce ne serait pas trahir un secret que de dire que depuis près d'une décennie, tout va très vite. Nos grands parents découvraient la télé, nos parents découvraient ses bienfaits puis découvraient Internet et nous en découvrons ses bienfaits aujourd'hui. Le corollaire de tout ça c'est avant tout la méconnaissance d'une génération à l'autre des innovations majeures. Si tout va très vite, nous, en tant que société, avons du mal à suivre. Nous voyons d'un œil extérieur toutes les technologies galopantes mais nous ne voyons pas tout de suite toute leur implication sur la société. Personne n'imaginait toutes les implications d'internet sur nos vies : elles ont été chamboulées. Et encore aujourd'hui, nous sommes dans une incertitude folle. Comment interpréter l'intelligence artificiel DeepMind qui réussi à prédire à près de 90% le repliement d'une protéine, ou encore qu'est-ce que la suprématie quantique implique (la suprématie quantique étant le fait qu'un ordinateur réussisse à résoudre un problème qu'en pratique aucun super ordinateur actuel ne pourrait résoudre) ? On ne voit pas très bien en quoi ça va nous aider, ce qui fait dire à certaines personnes que tout ça est une énorme perte d'argent qui pourrait être investi dans la réduction des inégalités dans le monde, favoriser la scolarisation dans les pays plus pauvres ou encore entamer une transition vers les énergies dites renouvelables.

Pour répondre à ces critiques, financer des programmes spatiaux est en réalité l’investissement le plus rentable pour l’humanité, qui en tirera d’énormes bénéfices dont on ne fait qu’effleurer la grandeur. Cela permet d’améliorer la qualité de vie de tous, ici sur Terre via par exemple le projet SMAP de la NASA, un satellite envoyé depuis 2015 qui se charge de vérifier le niveau d'humidité des sols, prévoir les inondations ou encore utiliser pour détailler les cycles de l’eau ou du carbone. Aussi la technologie quand elle évolue, ne nous permet pas de savoir tout ce qu’elle implique. Le premier satellite lancé par les États-Unis portait en lui, sans que personne ne le devine ni ne le prévoit, les germes des systèmes GPS que tout le monde utilise aujourd’hui. Le progrès scientifique et technologique est bénéfique à qui veut bien ouvrir les yeux pour le voir.


Néanmoins, certains voient là un danger pour nos sociétés, des progrès techniques trop importants, trop rapides, qu'ils ne comprennent pas et qu'il convient donc de ralentir voire arrêter. En France nous avons même une place de choix pour cette réticence à la technologie et au progrès, car selon le Pew Research Center, seulement 35% des rançais pensent que l'intelligence artificielle est bénéfique pour notre société (contre 47% aux États-Unis, 60% en Espagne et même 72% à Singapour). Pire encore, les résultats sur la robotisation de nos sociétés, seulement 35% des français pensent que la robotisation est bénéfique pour notre société (contre par exemple 47% pour le Canada, 66% en Suède ou 68% au Japon). L’Europe occidentale et en particulier la France ont une très mauvaise image de l’intelligence artificielle et de la robotisation de nos sociétés. Je me contenterais ici seulement de décrire ce problème comme une ignorance des enjeux réels, en me disant peut-être à tort que si la population voyait tous les bénéfices de la technologie, qu’ils côtoient en réalité tous les jours, ils auraient une vision différente de celle-ci.

Les français n'ont toujours pas compris que la robotisation ne détruisait pas les emplois, mais les conservait. C'est chez celui qui ne se robotise pas que les emplois disparaissent. C'est celui qui joue à fond la carte de la robotisation qui dispose de l'avantage économique qui va lui permettre de tuer la concurrence. C'est cette logique de pacifisme qui nous gangrène. L'idée que si nous étions pacifiques, les autres pays le deviendraient aussi. Dans la vraie vie, si vous refusez la suprématie technologique et économique, quelqu'un d'autre la prendra à votre place, et vous mettra bien la tête sous l'eau. Bien entendu il ne faut jeter la pierre sur les personnes ignorantes du sujet qui ont néanmoins leur avis sur la question, et plutôt se demander pourquoi ces personnes n’y connaissent rien. Les médias y jouent un rôle important en n’informant assez mal la population sur l’état de nos connaissances scientifiques. D’ailleurs, un collectif de chercheurs et de scientifiques a écrit une tribune, No Fake Science, pour alerter sur le traitement médiatique parfois douteux, souvent malhonnête mais toujours déformé des connaissances scientifiques, des études dans un champ de recherche particulier. Le traitement journalistique (c’est à dire les articles, reportages, documentaires dans les différents médias sur le sujet) d'un sujet quelconque, disons X, devrait poursuivre notamment l’objectif d’informer correctement sur l’état actuel des connaissances scientifiques sur X. Ce qui aurait pour conséquence qu’un lecteur ou spectateur régulier de ce média se fera en fin de compte une idée plutôt correcte sur l’état des connaissances scientifiques sur X.

Mais cela ne dépend pas uniquement du bon vouloir des journalistes que de traiter correctement un sujet X. Admettons que l’ensemble des connaissances sur un sujet X puisse être résumé en 4 grands points : X1, X2, X3, X4. Les deux premiers sont plutôt négatifs à l’égard de X tandis que les deux second sont plutôt positifs, et l’avis général des spécialistes de X est que c’est un sujet complexe, qu’on ne peut pas régler en un claquement de doigt.


Disons qu'un premier journaliste traite de ce sujet X en abordant correctement ces 4 points et en faisant un article équilibré sur X et en montrant la complexité du sujet. Puis dans les mois qui suivent, ce même journal ou du moins les journaux du même bord, publient une trentaine d'articles sur ce même sujet X, mais ce sont des articles moins étoffés. Tous les articles parlent du point X1, le point X2 est souvent mentionné, X3 est mentionné assez rarement et X4 n’est presque jamais mentionné. Ce sont divers journalistes qui les ont écrit et aucun n’a le sentiment de mal faire son travail, le sujet est complexe et tout ne peut pas être abordé dans un article de journal. Mais en fin de compte certain aspects de l’état des connaissances sur X auront été beaucoup plus relayé et donc les lecteurs auront une vision très partiel de ce sujet, une vision qui sera dominé par les points négatifs X1 et X2 qui auront été évoqué dans des dizaines d’articles et ignorent les points positifs X3 et X4. Ce qui peut donner l’illusion que le problème avec X n’a rien de bien complexe, puisque tout ou presque à son propos est négatif, on l’a lu et relu. Donc il faut interdire X, c’est évident et on ne comprend pas pourquoi c’est pas déjà le cas. Pourtant non, c’est un sujet complexe et on a un traitement journalistique qui ne réalise pas l’objectif principal d’informer sur l’état des connaissances scientifiques sur X qui est beaucoup plus complexe, sans pour autant qu’on puisse reprocher aux journalistes d’avoir fait du mauvais travail journalistique délibérément. Il y a ainsi une diffusion de la responsabilité de la mésinformation. Ce problème de traitement de l’information est un problème complexe et il n’y a donc pas de solution simple mais en prendre conscience est déjà un pas vers une solution.

La réticence au progrès s’explique par la méconnaissance profonde de ses sujets (et donc de la peur que ça engendre, peur de l’inconnu, peur de perdre le statut quo, etc…). Cette méconnaissance s'explique par le mauvais traitement médiatique des sujets (vous trouverez beaucoup d’exemples de ça sur le site https://nofake.science/tribune sur l’homéopathie, le glyphosate, le réchauffement climatique, les pesticides, etc…), qui est une affaire de bons choix individuels qui mènent vers un mauvais choix de traitement de l’information dans la globalité. Le problème est complexe et vous, à votre échelle et en tant que citoyen, pouvez réfléchir à ces questions et y apporter les réponses qui vous semblent les plus appropriées. Pour apporter un début de solution, nous pouvons évoquer la notion de division du travail épistémique, c’est-à-dire qu’au vu du degrés de spécialisation où l’on est arrivé et avec la taille de communauté de chercheurs, nous maximisons la probabilité d’avoir des croyances correctes sur un sujet donné non pas en ne faisant confiance qu’en notre propre rationalité et notre propre intelligence mais au contraire quand nous savons déléguer intelligemment le travail épistémique. Cela n'est pas une garantie contre toutes les erreurs, mais ça en minimise les probabilités.


Fahim Bounoua



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