top of page
  • Photo du rédacteurAlbert Controverses

DOSSIER : Tourisme ou voyage, il faut choisir

Dernière mise à jour : 24 mars 2020

« La vraie vie est ailleurs », phrase que l’on attribue à Rimbaud bien qu’elle ne se retrouve pas dans ses écrits. Par-là, il est facile de voir en quoi le voyage loin de chez soi correspond à un bond dans l’inconnu tout en sachant faire preuve d’un déconditionnement et d’une rupture vis-à-vis de ses normes et cultures. Le vice s’est mêlé à ce dernier, aggravant des problèmes déjà prépondérants dans les sociétés occidentales du XXIe siècle.


Les chiffres parlent d’eux même :

Le tourisme représente à lui seul 10% du PIB mondial avec 8 300 milliards de dollars chaque année. En Chine, le secteur touristique a vu ses bénéfices exploser de 254% entre 2009 et 2015, quant à la France, elle est la première destination touristique du monde avec 90 milliards générés. Avec comme transport privilégié l’avion, il est responsable de 8% des gaz à effets de serre à l’échelle mondiale. 6,5 giga tonnes sont projetées pour 2025. Le nombre de touristes a aussi triplé en 19 ans en passant de 500 millions en 2000 à 1,5 millions en 2019. Tous les compteurs sont à la hausse, soulignant ainsi une logique de croissance économique et de mondialisation des flux intrinsèque au tourisme. Dans un certain sens, il pourrait être légitime de parler de démocratisation de l’accès au voyage tant le nombre de touristes augmente. Néanmoins, le raccourci entre démocratie et consommation réduit encore une fois le citoyen au statut de consommateur, un abus de langage en somme. De plus, l’opportunité d’aller visiter d’autres pays n’est pas accessible à tout le monde. Le voyage à l’international n’est réservé qu’à moins 10% de la population mondiale et en France seul 40% de la population déclare avoir les moyens de partie en vacances. Étant au départ une pratique limitée à l’aristocratie, le tourisme s’est développé au sein des classes moyennes, plus particulièrement avec l’apparition des congés payés. C’est pourquoi 80% des cadres peuvent s’offrir le luxe de sortir de chez eux tandis que seulement 45% des ouvriers le peuvent.


Le tourisme, au profit de qui ?

A partir de l’instant où il y a eu une prise de conscience des profits à tirer du tourisme, beaucoup d’entreprises, publiques ou privées se sont lancées à la conquête des territoires. En France, le « plan neige » de 1964 à 1977 a été mis au point afin de réhabiliter les zones montagneuses en créant 20 stations de ski flambantes neuves, et en reconvertissant 23 villages offrant 250 000 lits. Cette prise en main des terres autochtones se fait souvent au détriment des ces derniers comme ce fut le cas en Suisse, dans la station de Vionnaz, où les autorités ont choisi de donner l’eau des nappes phréatiques aux canons à eau, plutôt que pour les résidents permanents en 2016. Aux Maldives, les îles sont rachetées, comme celle de Rihiveli en 2018, dans le but d’en faire des nids à touristes avec des complexes d’hôtellerie « tout en préservant l’environnement ». Le crédo du one island one resort. Plutôt ironique quad la montée des eaux pousse le gouvernement maldivien à réinvestir l’argent du tourisme (le tourisme étant responsable de 95% des émissions carbone du pays) dans la construction d’îles artificielles. Les locaux sont par conséquent privés des parts gâteau, que ce soit au Pakistan dans les Caraïbes ou en Afrique Subsaharienne, où respectivement 30%, 20% et 15% des revenus leur sont reversés.


Le tourisme destructeur :

Si le voyage symbolise une ouverture à des cultures et des styles de vie différents, pourquoi arrivé à destination est-il possible de voir des enseignes McDo et de commander un chauffeur Uber ? Pourquoi alors les touristes font les mêmes photos avec la Tour de Pise ou la Tour Eiffel. Le tourisme de masse uniformise et standardise tant bien les territoires que les individus. Il laisse place à la construction de grands axes de circulation afin d’accueillir une augmentation exponentielle de touristes. C’est pourquoi gravite autour de lui une multitude d’autres secteurs comme le BTP, le transport ou encore la restauration qui joue un rôle vital à travers l’importation de fast-foods dans les régions auparavant les plus isolées. Les centres-villes font alors face à une gentrification invisible, hormis pour ceux qui se font délogés de là où ils habitent, où à cause de la hausse des prix, des maisons sont remplacés par des hôtels prestigieux, bars et restaurants. Rome est l’une des villes mondiales qui peine face au tourisme de masse, engendrant dégradation des monuments, pollution du centre-ville et désertification de la part des locaux. Le combat mené par un groupe de jeunes pour la préservation du Piccolo Cinema America dans le Trastevere en est l’exemple. Pendant 2 ans ils ont occupé le cinéma pour empêcher que ce dernier ne soit remplacé par un hôtel à touristes. Le directeur du tourisme à Rome, Paolo Giuntarelli, a effectivement déclaré que « Rome a bien fait face aux barbares, elle peut faire face aux touristes ». Le tourisme laisse ses traces et ses déchets qui restent invisibles aux yeux de ceux qui voyagent. Il transforme les architectures et menace les patrimoines. Pour ce qui est du touriste, avec l’ère du numérique et l’avènement du consumérisme, c’est à coup de perche à selfie et de café Starbucks qu’il alimente la grande machinerie et qu’il contribue, parfois sans s’en rendre compte, à la pérennité d’un tourisme vicieux et écocide. Les prototypes d’influenceurs se comptent et se recomptent par milliers, tous ayant la volonté de montrer aux yeux des autres en quoi leur vie est meilleure que celles de leurs abonnés et de générer du profit sur leur jalousie.




Tourisme et capitalisme :

Le tourisme est devenu viscéral tant il marchande les relations humaines et qu’il vend de l’espace public, des gens et des villes. Il correspond à un achat de temps ailleurs (la quintessence de la pensée capitaliste en soi) et la plupart du temps ce tourisme international est pressé par le temps, par la logique du travail, puisque l’on vise à faire le plus grand nombre d’activités en un minimum de temps. Avec l’avènement de la 3e évolution touristique, les plateformes en ligne comme airbnb génèrent de la plus-value sur des relations humaines et font en sorte de ne pas montrer leur logique marchande. Ainsi, bien que le voyage ne soit réservé malheureusement qu’aux plus aisés, ce besoin obsessionnel de partir témoigne d’un sentiment de mal être profond. Pourquoi ressentons-nous tant l’envie de partir ? De s’évader loin du quotidien, même le temps d’une semaine ? Notre condition de vie dans les sociétés capitalistes et mondialisées est-elle devenue à ce point insupportable pour que nous nous précipitions dans des centres de vacances ? Être en vacances ne suffit plus, il faut partir en vacances. C’est pourquoi je dirais qu’aujourd’hui, le tourisme est devenu un vice de nos sociétés. La logique de conquête au profit et à la croissance a dénaturalisé le voyage et l’a dénoté de toute émancipation spirituelle et culturelle. On voyage désormais avec nos téléphones dotés de caméra, où ces paysages et instants immortalisés instantanément en photo se retrouvent sur les réseaux sociaux, puis disparaissant dans la trappe du big data et du rachat de données. Comme avec l’industrie textile ou de produits électroniques, on oublie facilement ce qui se cache derrière les belles photos du club Med, pollution, exploitation de la main d’œuvre, souffrance animale, bétonisation, déforestation, conflits avec les autochtones etc. Le sociologue Rudolphe Christin, sociologue s’étant spécialisé dans l’étude du tourisme, souligne à juste titre que : « Le tourisme (est) une industrie qui tue ce dont elle vit ».





Que faire alors ? Que faire si je cherche à voyager tout en échappant aux engrenages destructeurs du tourisme ? On pourrait tout d’abord commencer par aller voir ce qui se trouve au-delà de sa rue. L’écrivain et photographe suisse Nicolas Bouvier disait : « Le voyage commence au bout de ma chaussure ». Beaucoup de pays comme la France renferme une multitude de paysages et d’architecture variés qui témoignent de plusieurs siècles d’histoire. Enfin, le voyage à l’intérieur de soi n’en est pas moins important. Faire preuve d’abstraction et de refus face à l’hédonisme certain vendu par le tourisme est un acte de résistance, tant bien face au consumérisme que face à l’invasion du travail dans la sphère privée. A travailler le week-end et même en vacances montrent en quoi la logique productiviste a intégré tous nos espaces de vie et que nous avons été dressés. L’oisiveté, comme Bertrand Russell en fait si bien l’éloge, est un acte de guerre mené contre le tourisme et le capitalisme qui a réussi à rendre le temps et l’espace payant.


Par Quentin Betrancourt-Couaillet

6 vues0 commentaire
bottom of page