Trois ans. Trois ans que l'Affaire Weinstein est sortie, trois ans que #metoo s'est répandu, trois ans que les femmes essaient de changer les mentalités, trois ans que tout cela a commencé dans le monde du cinéma. Mais trois ans, c'est une courte durée pour changer plusieurs siècles de mentalités.
Si les critiques de la sexualisation du corps de la femme sont parties du monde du cinéma, ce n'est pas parce qu'il est en avance mais bien plutôt car cette mentalité y atteint son paroxysme. Trois ans, c'est donc trop court pour retourner la culpabilité vers les vrais coupables. Trois ans, c'est trop court pour que l'on arrête de récompenser les violeurs. Trois ans, c'est encore trop court pour que les femmes se sentent écoutées, entendues et représentées dans ce milieu.
La colère des femmes, notre colère a atteint son paroxysme quand les jurys des Césars ont pris la décision de nominer l'oeuvre de Roman Polanski, accusé par 12 femmes de viols et reconnu coupable pour l'un d'entre eux. En effet, en mars 1977, le réalisateur est accusé d'abus sexuels à l'encontre de Samantha Geimer. Il plaide coupable, contre l'abandon de cinq autres chefs d'accusations. Il est sanctionné de 90 jours de prison mais sort après seulement 42 pour bonne conduite. Il a purgé sa peine dans ce cas, me direz-vous. Mais lorsque le juge veut revenir sur sa décision, Polanski décide de fuir lâchement en France où l'extradition des nationaux est interdite.
Cependant, récompenser l'oeuvre de Polanski n'est pas ce qui a déclenché la poudrière, c'est bien lorsque l'on a récompensé l'homme que les critiques se sont enflammées.
Sa nomination aux Oscars était déjà de trop pour moi, mais soit, les Césars récompensent les œuvres, et non les hommes. Mais c'est bien Roman Polanski qui va avoir les retombées financières et la reconnaissance ! C'est bien Roman Polanski qui a été récompensé par le prix de meilleur réalisateur ! Et c'est pourtant ce même homme qui a violé et agressé une mineure, si ce n'est douze, si ce n'est plus…
Quant au traditionnel « il faut savoir séparer l'oeuvre de l'artiste », il ne fonctionne pas ici, puisque Roman Polanski se reconnaît dans son film. Il dit d'ailleurs dans un interview avec Pascal Bruckner qu'il « admet être familier avec beaucoup des rouages de persécutions montrés dans le film », sous-entendant qu'il est lui aussi, à l'instar de Dreyfus, accusé à tord et persécuté.
Donc non. Non, nous ne pouvons pas séparer l'oeuvre de l'artiste. Non, nous ne pouvons pas acclamer J'accuse sans acclamer le viol. Non, nous ne pouvons pas laisser Polanski se reconnaître dans Dreyfus, véritable victime d'un système anti-sémite. Non, nous ne pouvons, comme la représentante de « Osons le Féminisme » le dit, laisser Dreyfus devenir le « porte étendard de tous les hommes accusés d’agression sexuelles et de viols ». Non, nous ne pouvons pas laisser Roman Polanski être récompensé aux Césars sans rien dire.
Moi qui ait toujours pensé que l’art critiquait, dénonçait, changeait les mentalités, me voilà au pied du mur de ses contradictions, l’art critique mais n'agit pas. L'art critique la société mais n’en fait pas partie.
Si tu es un artiste, si tu as du talent, et évidemment si tu es un homme blanc, alors ne t'en fais pas, l'art te protège. Tu seras toujours acclamé, récompensé et protégé. Bravo l'artiste !
Par Eva Janus
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