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L’égalité : le cœur de l’idéologie de gauche ? - Arthur Alemany

Il fut un temps où la gauche socialiste défendait l’égalité et où les communistes allaient jusqu’à l’imposer à tous – ou du moins, à certains plus qu’à d’autres. Qu’en reste-t-il aujourd’hui, après mai 68, les années Mitterrand et la quasi disparition des véritables antilibéraux ? Lorsque la gauche délocalise les entreprises françaises, se soumet à la doctrine néo-libérale anglo-saxonne, et finit par délaisser des pans entiers de la population, peut-elle encore se prétendre égalitariste ou n’est-elle plus que le Cheval de Troie d’un individualisme capitaliste ? Dès lors que des partis affiliés à la « droite populiste» prétendent vouloir renverser les élites ploutocrates, et proposent un programme plus socialiste que celui du Parti Socialiste lui-même, comment différencier droite et gauche ?

D’abord, de quelle égalité parle-t-on ?


On a communément l’habitude de classer ces idéologies politiques selon le critère de l’égalité : la droite proposerait de laisser les individus se débrouiller par eux-mêmes là où la gauche serait plus prompte à imposer une forme d’homogénéité. On pourrait alors penser que le cœur de l’idéologie de gauche serait effectivement l’égalité, là où la droite opterait plutôt pour une forme de méritocratie. Pourtant, il convient de distinguer deux types d’égalité : l’égalité de fait et celle de résultat.


La première vise à accorder à des individus nés inégaux des opportunités comparables afin que la seule chose qui les différencie relève du mérite individuel. C’est par exemple ce qu’on cherche à atteindre lorsque l’on offre une bourse étudiante aux personnes handicapées : il s’agit certes d’une aide, mais l’individu en question peut tout de même échouer. Quant à la seconde forme d’égalité, elle consiste à obtenir des résultats finaux identiques, peu importe la motivation des personnes en question, les efforts accomplis, etc. On peut penser à la logique des « quotas de diversité », qui visent à représenter certaines parties de la population selon des proportions égales, sans prêter attention à leurs atouts respectifs. Cette dernière forme d’égalité est aujourd’hui à la mode dans beaucoup des cercles de gauche, que ce soit en Europe de l’Ouest ou même aux États-Unis, où sont nées des principes tels que la « discrimination positive ». Or, on peut légitimement s’interroger sur les bénéfices de telles pratiques : est-ce que considérer que certaines personnes sont invariablement des victimes du fait de leur sexe ou de leur couleur de peau est une façon saine de lutter contre des discriminations ponctuelles ? Cet égalitarisme frénétique ne finit-il pas par piéger certaines personnes dans des cases hermétiques, résultat tout à fait aux antipodes de ce qui était attendu ? Car c’est ici le grand basculement de la gauche depuis les mouvements sociétaux des années 1960 : elle s’est détournée des masses populaires pour se focaliser sur les individus. Elle ne cherche plus à soutenir le « peuple » au sens large du terme, mais se concentre désormais sur des franges de la population qu’elle estime, à tort ou à raison, discriminées par le reste de la société.

Le tournant libéral de la gauche française depuis Mai 68 et les années Mitterrand

Mai 68 marque un tournant majeur dans l’idéologie de gauche, une pseudo-bourgeoisie libérale-libertaire d’origine étudiante commençant à remplacer les communistes à l’ancienne. Des slogans tels que « Il est interdit d’interdire », « jouissez sans entrave », « CRS = SS » renvoient plus à une glorification de l’individu et à un appel à la consommation qu’à l’idéal ascétique des anciens socialistes. Il convient aussi de noter que la frange ouvrière du mouvement était loin de soutenir à 100% la branche étudiante. Toutefois, il restait chez les « soixante-huitards » une certaine qualité intellectuelle, due à l’éducation affreusement réactionnaire et élitiste qu’ils détestaient tant. Même si Mai 68 sème les germes de l’individualisme que nous connaissons aujourd’hui et détruit tous les cadres traditionnels de la France (famille, Etat, religion, amour et respect de la patrie), le mouvement s’inscrit encore dans une logique trotskiste/maoïste qui n’est pas totalement étrangère aux anciennes luttes de gauche. En effet, les accords de Grenelle permettent par exemple une augmentation de 35% du SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti).


Cherchant à incarner une « nouvelle gauche » en rupture avec le communisme à la soviétique, la jeunesse des années 60 se convertit donc massivement au maoïsme. Comme d’habitude, les monstruosités inhérentes à l’extrême-gauche seront exhibées au grand jour (40 à 80 millions de morts dans le cas du Grand Timonier) et ses anciens partisans joueront l’innocence, prétendront qu’il ne s’agissait là que d’un « faux communisme ». Pour une idéologie fantôme, celle-ci a eu des effets on ne peut plus tangibles…. mais les 100 millions de victimes sacrifiées sur l’autel du marteau et de la faucille l’ont sans doute été « pour la bonne cause », n’est-ce pas ?


Après cela, la gauche réalise que forcer l’égalité dans la société par la prééminence de l’Etat n'engendrera que des Staline, des Pol Pot et autres Mao ; les années Mitterrand planteront les clous du cercueil anti-libéral et économiquement égalitariste de l’ancienne gauche française.

Dès lors, ce bord politique se métamorphose radicalement. Si Mai 68 parachève le processus de destruction de la France traditionnelle entamé après 14-18 (voire dès 1789 selon certains), les années 1980 ouvrent une nouvelle ère essentiellement libérale. Le « tournant de la rigueur » de 1983 privatise les entreprises, l’économie de marché tend à se substituer au contrôle de l’Etat et encourage la concurrence individualiste, la crise du logement explose, les dépenses publiques chutent : l’Etat-Providence n’est plus qu’un vague souvenir. La gauche retrouve alors ses racines bourgeoises et libérales de 1789, même si le renversement opéré par la Révolution industrielle avait occulté cette origine et progressivement transformé la bourgeoisie révolutionnaire en patronat. Les concepts de droite et de gauche peuvent en effet être assez fluides selon le contexte : les communistes des années 70 étaient profondément souverainistes et hostiles à l’immigration de masse, laquelle servait avant tout à procurer de la main d’œuvre bon marché au patronat. Ils seraient aujourd’hui catégorisés « d’extrême-droite », stratagème très efficace visant à discréditer son adversaire politique même si celui-ci est plus à gauche que l’accusateur lui-même.

La gauche devient alors un mouvement majoritairement mondialiste et libéral, considérant que donner la priorité à la France n’est qu’un égoïsme rappelant nos heures les plus sombres. « Le nationalisme, c’est la guerre » est une expression creuse parmi tant d’autres, servant uniquement à justifier la dissolution de la nation dans l’économie de marché. Dès lors, la gauche ne cherche plus à fédérer la communauté nationale derrière un projet commun, fût-ce-t-il anticapitaliste, mais à créer des individus hors-sol, interchangeables, corvéables à merci. Au nom d’un égalitarisme droit de l’hommiste, on détruit la communauté et on exalte l’individu. En bref, le modèle idéal du producteur/consommateur rêvé par les capitalistes… Il restait bien quelques vieux fidèles tels que Philippe Seguin ou Jean-Pierre Chevènement. Mais ce dernier se retrouve aujourd’hui bien isolé, prisonnier d’une vision de la gauche qui ne colle plus à ce qu’elle est réellement devenue. Celle-ci est encore persuadée d’être égalitariste, mais n’est en réalité que le pantin du Capital.


Une gauche qui se cherche, confondant parfois égalité et individualisme


La gauche d’aujourd’hui est encore égalitariste dans le sens où elle promeut des idées comme la discrimination positive, même si, comme nous l’avons vu, cela ne relève que d’une égalité de résultat. De même, la frange écologiste se croit égalitariste lorsqu’elle propose des restrictions financières sur les émissions de gaz à effet de serre (ce qui en soi n’est pas une mauvaise idée) mais semble fermer les yeux sur le fait que les principaux perdants de telles mesures sont les prolétaires qui se rendent au travail en voiture. Il existe aujourd’hui un décalage abyssal entre une élite bourgeoise qui peut se permettre le luxe d’un idéalisme égalitariste béat, et la dure réalité des gens qui travaillent pour survivre. Délocaliser les usines, ça fait joli : on transfère la pollution dans le Tiers-Monde, on prive les Français de leur emploi, et il suffit d’un coup de peinture verte pour s’en tirer les mains propres.


Il est aisé de souhaiter un gouvernement mondialisé lorsque l’on est un gagnant de la globalisation et que l’on peut profiter de tous ses avantages. Mais les petites gens, celles qui autrefois étaient en partie protégées par la gauche égalitariste, celles qui n’ont pas accès aux infrastructures numériques ni à l’éducation supérieure, à quoi peuvent-elles se raccrocher désormais ? Aux traditions, à leurs terres, à une fierté nationale qui les inscrit dans quelque chose de plus grand qu’elles sans pour autant les couper de leurs racines. En bref, tout ce qui fait horreur à la nouvelle gauche ; pour eux cela relève presque d’une forme de néo-fascisme. Il est tellement simple de qualifier son voisin d’égoïste quand celui-ci refuse d’appliquer des idées qui ne pénaliseront que lui ! L’égalité c’est bien, mais pas trop près quand même.

Or, où sont passées les figures crédibles de gauche ? Les anciens résistants ? Décédés. Les grévistes des mines de charbon, gaillards barbus de 90kg qui affrontaient les CRS à coups de manche de pioche ? Disparus, faute de travail. Les vrais anarchistes, les antifascistes ? Évaporés, sans vrai fascisme à combattre en France depuis la chute du régime de Vichy. En 1936, les combattants antifascistes faisaient sauter des ponts en Espagne et tendaient des embuscades aux Franquistes. En 1942, ils se battaient au corps à corps contre les Allemands dans les ruines fumantes de Stalingrad. En 2020, ils se contentent d’insulter gratuitement une police qui, dans un pays réellement fasciste, les aurait depuis bien longtemps calmés à grands coups de matraque puis envoyé croupir dans des geôles puantes sans passer par la case CAF. Ces révolutionnaires en pantoufles n’ont pas dû subir assez de répressions fascistes pour savoir les reconnaître quand elles surviennent vraiment. « L’antifa » de 1969 marchait pieds nus, portait 30kg de matériel et creusait des fosses piégées au fond de la jungle vietnamienne pour torturer des GI’s impérialistes ; celui d’aujourd’hui distribue des tracts sur l’écriture inclusive entre deux parties de PS4. Dur dur, la vie de combattant de l’égalité…


Seuls les pays réellement inégalitaires et réactionnaires du point de vue de la culture occidentale passent à travers le crible de la gauche française actuelle. Pourquoi défendre l’égalité des sexes dans des pays où cela est déjà en grande partie effectif, alors que les régions à tradition islamique ont institutionnalisé une hiérarchie hommes/femmes fondée sur la Charia ? Pourquoi se focaliser sur un prétendu « racisme systémique » mais oublier tout un pan de la France de souche, majoritairement blanche et de culture chrétienne, qui souffre de la misère rurale, de la précarité de la santé, du chômage ? Les luttes traditionnelles de la gauche, portées sur l’égalité des chances d’un point de vue économique, ont cédé la place à une « lutte des races » et à une « lutte des sexes » dont on se serait bien passés. Un cadre du PS l’avouait même au journal Marianne lors d’une entrevue : « Dans nos réunions internes, on s’engueule pendant deux heures sur la GPA et on évacue le SMIC en deux minutes ! ».

Mais si cette gauche embourgeoisée ne représente plus qu’une opinion déconnectée du réel, pourquoi n’a-t-elle pas déjà disparu, faute de légitimité ? Ou trouve-t-elle ses voix lors des élections ? En effet, la gauche actuelle, majoritairement représentée par « La France Insoumise », ne cible pas la même population que la gauche des années 1930-1940. Elle a perdu le vote des ouvriers, des agriculteurs, des artisans, et de façon générale de la quasi-totalité des classes populaires traditionnelles. Sur qui se rabat-elle alors pour survivre ?


D’abord, sur les populations d’origine immigrée, qui peuvent parfois avoir tendance à céder au chant des sirènes mélenchoniennes lorsque celui-ci crie au racisme par pure démagogie. Ensuite, elle vise un public plutôt bourgeois, urbain, mondialisé, connecté aux réseaux et sensible aux luttes sociétales, tant que cela ne remet pas en cause leur petit confort personnel et que les mesures qu’ils prônent ne les affectent pas directement. Il est bien commode de lutter pour la « diversité culturelle » lorsque celle-ci reste à distance et que l’on en subit pas les effets négatifs. On voit donc des personnes aisées, vivant dans des quartiers très sûrs, qui proposent de désarmer la police car ils pensent que tout le monde en France vit comme eux et que les forces de l’ordre ne servent qu’à alimenter un climat de tension… Enfin, il reste à gauche quelques franges à tendance réellement socialiste ou communiste, des « anti-macroniens » qui par principe refusent d’accorder leur vote à l’autre bord de l’opposition, à savoir la droite dite « extrême ». Mais malgré tous ces faux-semblants, le constat est sans appel : une large partie de la gauche s’est perdue et cherche à se rattraper à n’importe quelle bouée pour échapper à la noyade.


Arthur Alemany


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