Le 17 mars 2020, Emmanuel Macron annonce un confinement national. 67 millions de Français assignés à résidence. Une situation inédite. Impossible de sortir sans attestation. La sanction ? Elle varie d’une simple amende à l’emprisonnement. Le paysage décrit fait peur.
Le coronavirus a réussi à réaliser le rêve de toutes dictatures.
Être forcé de rester chez soi donc. Au sein-même de sa définition, le confinement porte l’antagonisme de toute liberté : la contrainte. La liberté devient un luxe, un concept d’autrefois. Mais après 55 jours d’assignation à résidence, qu’en est-il de notre rapport avec cette dernière ?
Les points de vue divergent quant à la définition même du mot liberté. Ces divergences sont autant de perspectives à donner aujourd’hui à cette notion. Liberté d’aller et de venir, liberté d’entreprise, liberté de culte ou encore droit à la vie de famille, elle reste dans tous les cas un bien inaliénable. Pourtant, la crise de la Covid-19 aurait réussi à avoir sa peau. Pour
beaucoup, ce confinement a été synonyme de frustration : être assigné à résidence semblait être incompatible avec notre rapport coutumier à la liberté. Camus l’écrivait en 1947 dans La Peste : «Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l'avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu'il y aura des fléaux. »
Pourtant, les temps de crise, comme celui lié à la Covid-19, sont souvent le moyen de
découvrir ou de redécouvrir le monde dans lequel nous vivons, loin de la pression
quotidienne. La crise du coronavirus a entraîné cette possibilité. Mais qu’en est-il aujourd’hui? Et surtout, quels rapports le pays des droits humains entretient-il encore avec la liberté ? Le confinement, pour beaucoup, a été synonyme d’emprisonnement. Or, comme a pu le souligner Michel Foucault dans Naissance de la prison, Surveiller et Punir il n’existe pas en France de condamnation supérieure à la privation de liberté, alors qu’elle est l’essence même de l’Homme. Cette perspective peut être contestée dans la mesure où un prisonnier est toujours capable de disposer librement de sa raison. Platon est par ailleurs le premier à prôner la liberté intérieure. Il explique dans La République que toute personne n’est libre que si elle s’affranchit de la tyrannie de ses désirs par la connaissance et la réflexion. Au travers du mythe de la caverne, il critique le conditionnement des esprits opéré par la cité. Toute Homme doit se libérer de ses chaînes pour voir « le monde supérieur ».
La liberté absolue semble donc à ce jour en totale contradiction avec le confinement certes, mais aussi avec toute vie en société.
En effet, cette conception nie autrui dans son ensemble.A l’image de Caligula de Camus, est-il possible de récuser amitié, amour ou toute forme de solidarité humaine ? Caligula ajoutera par ailleurs : « On est toujours libre aux dépens de quelqu’un ». La liberté inconditionnelle n’a donc pas sens dans une société comme la nôtre.
Au contraire, la crise sanitaire a été révélatrice d’une chose : l’Homme sait être solidaire. La pire des épreuves peut finalement révéler le meilleur en l’Homme.
Mais, la liberté la plus chère à l’Homme reste la liberté d’action. Néanmoins, Pascal le soulignait déjà au XVIIe siècle : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». Le confinement a pourtant réussi cet impossible. Notre quotidien s’est totalement transformé, notamment par la mise en place du télétravail pour une majorité de Français. Cette restructuration a entraîné une nouvelle organisation temporelle et par la même occasion une certaine émancipation de l’Homme. En effet, il a permis à de nombreuses personnes de faire des activités qu’elles estimaient réellement. C’est ce qu’André Gorz appelle « la liberté des tâches autonomes ».
Pour ce philosophe, la division du travail a entraîné l’avènement du « producteur-consommateur », incapable de faire les choses par lui-même. Sa pensée se tourne entièrement vers la libération et l’émancipation de l’Homme dans ses rapports avec le système. Le confinement a donc été l’occasion de s’émanciper de toutes les contraintes
quotidiennes, afin de dédier son temps à des choses que l’on aime vraiment. Ses activités ont largement fleuri et ont permis à de nombreuses initiatives de voir le jour. Alors que Nietzsche affirmait dans Aurore que « le travail est la meilleure des polices», le confinement a permis une prise de recul, un gain de temps entraînant un certain affranchissement de l’Homme face à ses obligations. Il a mis en lumière les diverses formes d’aliénation et contraintes que la société nous impose au quotidien. E. Goffman dans La Mise en scène de la vie quotidienne met en lumière ce phénomène : les interactions humaines respectent un jeu théâtral. Les individus sont dans la vie en société en constante représentation. Le monde social devient ainsi une immense pièce de théâtre où chacun joue un rôle. Ainsi, ce jeu a été mis à terme en mars 2020, permettant à de nombreux Français de redevenir les maîtres de leur libre conscience.
« Jamais nous n’avions été plus libres que sous l’occupation allemande » affirmait Sartre dans La République du silence. Cette citation étonne, pourtant, le philosophe n’a pas forcément tort. C’est dans la solitude que l’Homme est le plus libre, car il prend conscience des autres. Il ajoute même : « La mort surtout que l’on masque dans les époques heureuses nous en faisions les objets perpétuels de nos soucis nous apprenions que ce ne sont pas des accidents inévitables (…) mais qu’il faut y voir notre lot, notre destin la source profonde de notre réalité d’Homme ». Ainsi, par la prise de conscience de sa propre mortalité, l’Homme retrouve sa pleine authenticité. En temps de crise, la question de la liberté reste centrale : « Le secret d’un homme, ce n’est pas son complexe d’Œdipe ou d’infériorité, c’est la limite même de sa liberté, c’est son pouvoir de résistance aux supplices et à la mort. »
Finalement, le confinement recentre le débat politique sur la notion de liberté. Il a rappelé son importance aux amnésiques, qui ne pensaient pas que de telles restrictions soient un jour mises en place. Il a donc aussi impacté nos libertés politiques, par une prise de conscience générale d’un problème systémique. Les critiques envers le gouvernement et son incompétence se sont multipliées. Bon nombre de Français ont réalisé qu’il existait un véritable problème concernant notre système politique. Les citoyens français sont presque devenus amnésiques, pris dans une routine « métro-boulot-dodo », oubliant de se battre pour leurs droits. Etienne La Boétie, dans son Discours sur la servitude volontaire, met en lumière ce phénomène : le peuple délaisse sa propre liberté de manière consentie. Le peuple s’engourdit, laissant le pouvoir à une élite. Le confinement et cette catastrophe sanitaire ont ainsi mis en lumière le manquement de ces technocrates, loin de la réalité du terrain. Obéir aveuglement est plus que contre-productif dans un pays aussi libertaire que la France. Il est donc primordial de ne jamais cesser de s’interroger sur nos gouvernants : comme Stéphane Hessel l’écrivait : « Indignez(ons)-v(n)ous ! »
Néanmoins, au-delà d’entrainer une prise de conscience, le confinement apparaît aussi comme une nouvelle forme de pouvoir que le gouvernement exerce. Le 23 mars 2020, l’article L.3131-15 statue que le Premier Ministre peut « interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins
familiaux ou de santé». Ainsi, le pouvoir gouvernemental se transforme en « biopouvoir », au sens de Michel Foucault, au travers du contrôle de la vie et des corps des Hommes. L’Etat étend ainsi son pouvoir à la sphère privée de par l’imposition du confinement mais aussi par l’intériorisation par les individus des nouvelles normes d’hygiène. Cette crise est par
excellence l’illustration d’un « moment foucaldien », limitant les faits et gestes des individus eux-mêmes. Il semble par certains aspects que le gouvernement infantilise ses citoyens, au détriment de leur liberté.
Finalement, la liberté et son exercice restent propres à chacun. Néanmoins, une liberté sans contrainte semble incompatible avec la vie en société. L’homme moderne semble surtout
enchaîné par divers facteurs tels que le manque de temps, d’espace ou encore le poids du passé. La crise de la Covid-19 a été l’occasion d’une prise de conscience. Saint-Exupéry expliquait à ce propos : « c’est toujours dans les caves de l’oppression que se préparent les
vérités nouvelles. » Ainsi, un changement est attendu dans les prochaines années. Personne n’a d’idées quant à la forme qu’il prendra mais ce qui est sûr c’est que le débat à propos de nos libertés n’est jamais fini et ne sera jamais fini. Car comme l’écrivait Paul Eluard : « Je suis né pour te connaître/Pour te nommer/Liberté. »
Elsa Saez
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