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Photo du rédacteurAlbert Controverses

Les mouvements intersectionnels : le renouveau du combat pour l’égalité ? -Amandine Grimaldi Santini

2020 a été une année tristement marquée par le creusement des inégalités, notamment raciales et sexistes. Bien que le mouvement Black Lives Matter ait pris une ampleur internationale en réaction à l’assassinat de George Floyd par Derek Chauvin le 25 mai 2020, la lutte pour l’égalité continue. Et parmi un des termes dont la popularité a explosé durant 2020 on retrouve celui d’intersectionnalité. Une rapide recherche Google Trends permet de rendre compte de l’engouement autour du concept. Entre le 31 mai et le 13 juin 2020, le terme « intersectionnalité » a été un des mot-clés Google dont l’indice d’intérêt était constamment à 100.

Le concept d’intersectionnalité a été théorisé en 1989 par Kimberlé Williams Crenshaw, juriste et professeure de droit à UCLA et la Columbia Law School, dans son article « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics ». Paru dans la revue University of Chicago Legal Forum, cet article et ses théories ont marqué un réel tournant dans les combats pour l’égalité et plus particulièrement pour le féminisme. Elle explique que les femmes noires sont doublement discriminées, car leurs expériences ne sont pas autant prises au sérieux que les expériences racistes vécues par des hommes noirs ou des expériences sexistes vécues par des femmes blanches. Kimberlé Crenshaw explique donc qu’il n’existe pas qu’un seul système de domination, mais plusieurs qui se recoupent et s’ajoutent les uns aux autres, invisibilisant ainsi la parole des opprimés. Mais est-ce que les mouvements intersectionnels représentent réellement un renouveau du combat pour l’égalité ? Les avis dans les milieux universitaires et militants sont partagés.

Les mouvements intersectionnels représentent une occasion de prendre réellement en compte les différentes expériences et oppressions de toutes les femmes, et en particulier les femmes racisées. En effet, en raison de la double discrimination que celles-ci rencontrent, elles subissent une double peine. L’intersectionnalité permet en un sens la convergence de différentes luttes : le féminisme inclusif et intersectionnel s’allie donc avec la défense des droits des personnes LGBTQ+, la lutte contre le système classiste et la domination économique des classes privilégiées sur les classes populaires. Les mouvements intersectionnels peuvent également exister en tant que mouvements anti-capitalistes et anti-militaristes. Ils mènent donc plusieurs combats de front, et ce sont ces multiples facettes qui constituent un renouveau pour les revendications égalitaires. En ce sens, les mouvements intersectionnels sont bien porteurs d’égalité puisque ce sont les premiers à postuler l’importance de s’opposer en même temps contre plusieurs inégalités. L’égalité de tous est donc au centre de la pensée intersectionnelle. Solange Knowles résume la dimension multiple de l’intersectionnalité en quelques mots : « Je veux nous voir nous battre pour toutes les femmes - les femmes de couleurs, nos sœurs LGBTQ+ comme musulmanes ».

Les mouvements intersectionnels ont aussi comme qualité de pouvoir permettre à des individus opprimés mais isolés au sein de leurs communautés de trouver du soutien. Par exemple, les personnes LGBTQ+ noires peuvent être doublement discriminées : de par leur orientation ou identité sexuelle comme de par leur couleur de peau. En effet, certains milieux LGBTQ+ blancs peuvent s’avérer très racistes, tout comme certains milieux anti-racistes peuvent être discriminants à l’encontre des personnes queers. Dès lors, c’est une double peine que ces personnes connaissent. Dans cette logique, les mouvements intersectionnels peuvent constituer un refuge pour les individus qui manquent de soutien.

Les mouvements intersectionnels présentent aussi l’avantage majeur de permettre de sortir d’une vision occidentalo-centrée du féminisme. L’intersectionnalité nous pousse à remettre en question la prédominance du féminisme blanc (aussi dit white fem), qui ne prend pas en compte les oppressions des minorités ethniques. Ce féminisme peu inclusif a des conséquences préjudiciables sur les femmes racisées : leurs expériences sont ainsi invisibilisées voire invalidées. De plus, les mouvements féministes occidentalo-centrés s’inscrivent dans des logiques néo-colonialistes. En effet, se poser comme actrices de la libération des femmes racisées en poussant à la négation de leur identité religieuse par exemple perpétue le mythe du white savior. Le mouvement intersectionnel lutte contre ce phénomène en proposant de décolonialiser la pensée féministe.

Et pourtant des critiques s’élèvent contre l’intersectionnalité et ses usages. C’est une théorie décriée par certains courants féministes, comme celui du féminisme universaliste. Le féminisme universaliste prône une vision radicale de la laïcité, qui se traduit par exemple par une volonté d’abolir le port du hijab par les femmes musulmanes, qui est ici pensé comme un instrument de domination des hommes et du patriarcat sur les femmes. Le féminisme universaliste et le féminisme intersectionnel ne peuvent fondamentalement pas cohabiter puisque le premier souhaite enlever le choix aux femmes, d’être voilée ou d’être des travailleuses du sexe par exemple, alors que le second mouvement prône au contraire le droit pour toutes les femmes de choisir par quels moyens elles désirent affirmer leur identité.

Une autre critique adressée aux mouvements intersectionnels est leur positionnement favorable aux réunions en non-mixité, c’est-à-dire des réunions réservées aux femmes, ou à une certaines parties d’entre elles. Ces réunions, par exemple sans hommes, sans femmes blanches ou réservées aux personnes LGBTQ+, ont pour but de laisser aux personnes opprimées la possibilité de s’exprimer dans un espace safe, puisque composé uniquement de personnes connaissant les mêmes discriminations. Les réunions en non-mixité sont communes dans les pays anglo-saxons, en particulier aux Etats-Unis, mais connaissent très peu de succès en France, même si elles commencent à émerger. Quelque soit l’avis personnel de chacun les concernant, elles ont tout de même le mérite de soulever des interrogations quant au fait de déterminer si le mouvement intersectionnel permet ou non un renouveau dans le combat pour l’égalité. Les détracteurs des réunions en non-mixité leur reprochent de ne pas œuvrer pour l’égalité puisque elles ne sont pas ouvertes à certaines catégories de personnes. Elles sont notamment dénoncées la LICRA et SOS racisme qui les considèrent comme des « dérives identitaires ».

En définitive, les mouvements intersectionnels sont très utiles pour comprendre les discriminations auxquelles font face les minorités, et gagnent à être connus et reconnus. Malgré les critiques qui leur sont adressés, les mouvements intersectionnels sont des acteurs clés du renouveau du combat pour l’égalité, qui a, malheureusement, encore des adversaires tenaces en face.


Amandine Grimaldi Santini



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