Lundi 14 septembre dernier, un mouvement féministe issu de l’application Tik Tok s’est
affirmé en France, dans les établissements scolaires ainsi que sur l’ensemble des réseaux sociaux. De nombreuses jeunes filles (et quelques jeunes hommes !), agacées par les mesures punitives de leurs collèges et lycées à l’égard de leurs tenues jugées «incorrectes», ont appelé sur l’application à une journée de rébellion. C’est ainsi que le #lundi14septembre, les a amené à déroger aux règles, et à venir en shorts, en crop-tops, en jupes... dans leurs écoles.
Parfois durement sanctionnées par les administrations scolaires, le débat a pris de l’ampleur sur Internet et permet de soulever une question sociétale importante : « Les femmes sont-elles réellement libres de s’habiller comme elles le souhaitent en France ? »
Nous pouvons, grâce aux réactions des établissements scolaires, mais aussi celles de beaucoup d’adultes sur la toile, donner une réponse négative à cette question. Non, la liberté vestimentaire n’est pas un acquis social pour les femmes. C’est aujourd’hui les réactions venant contredire le mouvement que nous allons analyser et décrypter, pour pouvoir y répondre et tenter une fois de plus d’affirmer notre liberté, vestimentaire et quotidienne. J’ai donc fait une sélection d’arguments et de critiques auxquels j’ai été le plus confrontée. Je suis une fille, engagée, jeune, qui aime la vie, la mode ; et voici mes réponses à ce que je considère être une attaque aux droits de la femme.
Première réaction d’un homme d’une cinquantaine d’années, sous la photo d’une pancarte interdisant les jupes et les crop-tops au sein d’un lycée, partagée par une maman d’élève :
«Tout à fait normal selon moi. En ce qui me concerne, l’école décide, pas les parents. Les enfants vont à l’école pour apprendre pas pour ressembler à Nicky Minaj. Donc quand les parents l’auront compris, il n’y aura plus de problème. A la maison, avec leurs amis, vous pourrez déguiser vos enfants en prosti poufs Barbie. Y’a aussi des costumes de Batman ou Scoubidou, mais non, pas à l’école». J’aimerais commencer par dire à ce Monsieur que la seule chose qu’il parvient à faire dans ce message, c’est sexualiser une enfant. Comparer une petite fille à Nicky Minaj et à Barbie, la traiter de «prosti-pouf» parce qu’elle porte une jupe ou un crop-top, est-ce que ces propos sont sérieux ? Premièrement, comme je l’ai dit, porter un regard aussi sexualisé sur un enfant est vraiment malvenu. Deuxièmement, ce n’est ni à l’école, ni à quelqu’un d’autre de décider de la tenue d’une personne. L’école est un lieu public (pour la plupart), dans lequel le seul but est l’apprentissage, comme vous l’avez souligné. La tenue n’a aucun impact sur l’apprentissage ; et pensez-vous que l’éducation d’une fille peut être réussie si celle-ci doit se concentrer sur la longueur de sa jupe plutôt que sur ses leçons ? Une fille qui veut s’habiller court doit pouvoir le faire sans recevoir de remarques, ni de la part des autres filles, ni de la part des garçons, ni de la part de l’administration. Cela ne les regarde pas. En quoi cela pourrait-il les déranger ?
Cela m’amène à un autre argument, vu et revu : « Ça provoque les garçons ». Est-ce que vos fils sont des êtres vivants incapables de contrôler leurs pulsions sexuelles ? Ou est-ce que vous leur avez donné l’éducation nécessaire pour qu’ils soient respectueux envers les autres ?
Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que la très grande majorité des parents répondront à la deuxième question par l’affirmative. Alors si vos fils sont éduqués, ils sauront gérer la tentation provoquée par l’image d’un nombril et d’une paire de jambes. Il n’y a plus aucune raison d’interdire à une fille de porter un short, ou une jupe… d’autant plus que l’on
autorise les shorts masculins. Comment expliquer qu’à longueur égale, on interdise un vêtement aux filles et non aux garçons ?
C’est maintenant sur la question de l’époque que nous allons nous pencher. Charlotte d’Ornellas, journaliste de Valeurs Actuelles, a dit sur la « tenue républicaine » exigée à l’école : « ces enfants sont les fruits de leur époque, ce sont les enfants de ceux qui ont fait mai 68 ». Un homme anonyme et âgé d’une quarantaine d’années reprend le même argument : « Je n’ai jamais eu de filles qui portaient des jupes ou hauts trop courts à mon
époque ». Ce à quoi je commencerai par répondre : Qu’est-ce qu’un haut ou une jupe trop courte ? Trop courte pour qui et pourquoi ? Encore une fois, toute personne éduquée ne sera pas dérangée par la vision de cuisses féminines. Mais surtout, cette affirmation selon laquelle notre génération s’habille différemment et de façon « vulgaire », contrairement aux générations plus anciennes, est fausse ! Voici une photo de femmes dans les années 80 :
Est-ce que les comportements et les mots abusifs étaient tolérés, « à l’époque » ?
En tout cas aujourd’hui, ils se développent. Après que le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer ait recommandé de venir à l’école avec une « tenue républicaine », le ton est monté sur la toile et dans la vie quotidienne. A Belfort au collège Arthur Rimbaud, une adolescente de 14 ans a subi des remarques de la part de son professeur de mathématiques car son « décolleté » (en réalité inexistant), était trop voyant et donc vulgaire; celui-ci a ajouté ne pas comprendre comment le collège avait pu la laisser rentrer. La jeune fille souffre déjà de harcèlement lié à cette remarque déplacée, et son éducation sera sûrement affectée par cet épisode.
Alors, si selon Natacha Polony, « l’école n’est pas un lieu d’expression des libertés, mais d’apprentissage de la liberté », je pense que la première condition nécessaire à l’apprentissage de la liberté est l’expérience de celle-ci. Comment connaître quelque chose dont on a pas la chance de faire l’expérience sensible ? Pour que les jeunes sachent quelle est leur liberté, pour qu’ils sachent ce à quoi ils ont droit et comment tendre vers ce but, encore faut-il qu’ils en aient une vision éclairée. Le sexisme, l’humiliation et le jugement envers les filles sont des entraves à cette liberté qui reste à acquérir. C’est pourquoi il est important que les filles, mais aussi les garçons, luttent ensemble pour nos droits à tous ! On compte sur vous !
Lili Laville
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