top of page
  • Photo du rédacteurAlbert Controverses

Portrait: Alexandra Kollontaï : De la révolution politique à la révolution sexuelle- Arthur Bauchet

Si Lénine, Trotski et Staline sont les - prétendus - révolutionnaires russes de 1917 les plus connus, il en existe beaucoup d’autres restés dans l’ombre de l’Histoire et avec des parcours de vie tout aussi - voire plus – intéressants. Alexandra Kollontaï est l’une d’entre eux ou plutôt l’une d’entre elles. Car oui, les oubliés de l’Histoire sont le plus souvent des oubliées. De manière générale, les figures historiques féminines ont été mises de côté par nos livres d’Histoire et cela tout au long de notre apprentissage du passé. Les récits des deux révolutions russes de 1917 ne sont malheureusement pas des exceptions à cette règle genrée. Pourtant, quand nous nous penchons sur cet évènement, nous nous rendons compte que ce sont, paradoxalement, bel-et-bien des femmes, des ouvrières pétersbourgeoises, qui initièrent la première révolution russe de février 1917. Et Alexandra Kollontaï n’y est pas pour rien dans cette histoire.

En guise de rappel historique sur la situation en Russie en février 1917 nous pouvons simplement dire que c’était un pays engagé dans une guerre qu’il était en train de perdre car les équipements et les stratégies militaires étaient trop anciennes et inadaptées, que le régime tsariste imposait un effort de guerre aux populations civiles pour soutenir les multiples fronts entraînant ainsi des pénuries successives et des problèmes d’approvisionnement dans tout l’Empire et que les usines nécessitaient la force productive féminine pour remplacer les ouvriers devenus soldats. Et comme si ce n’était pas suffisant, il faut ajouter à cela la sévère répression organisée par l’Etat afin de museler les différentes oppositions politiques. Il n’était donc pas réellement permis de manifester ou de protester contre le tsar, les décisions gouvernementales ou la guerre en 1917 en Russie. Les troupes tsaristes de Nicolas II étant chargées de faire respecter l’ordre au moyen des fusils et des baïonnettes contre les foules d’ouvriers grévistes. Les manifestations et les attroupements d’ouvriers étaient donc si ce n’est formellement interdits par la loi du moins fortement réprimés dans les faits. Le prolétariat russe - c'est-à-dire les classes populaires et ouvrières - qui se trouvait soit sans emploi faute de ravitaillement des usines en matériaux, soit sous payé et exploité, ne pouvait donc pas exprimer son désarroi, sa colère et sa faim auprès du tsar.


Toutefois, le 8 mars 1917 (23 février dans le calendrier grégorien) à l’occasion de la « Journée Internationale des ouvrières », qui avait été adoptée par la IIe Conférence Internationale des femmes socialistes en 1910 sur proposition de Clara Zetkin (journaliste et militante allemande) et de Alexandra Kollontaï, les ouvrières des usines de textil de Petrograd (Saint-Pétersbourg, la capitale impériale de la Russie) se mobilisèrent pour réclamer du pain (une rumeur circulait sur l’instauration d’un rationnement de pain) et le retour de leurs pères/frères/maris/fils partis au front. Cette manifestation pacifique de travailleuses prolétaires souleva ainsi un problème d’ordre politique et moral : le tsar Nicolas II osera-t-il ordonner à ses troupes de tirer sur une foule de femmes en grève manifestant pacifiquement pour du pain et la paix ? Les cosaques n’ayant pas reçu d’ordres précis à ce sujet furent vite débordés par la situation et ne firent rien contre les manifestantes. Et petit à petit ce même jour, les ouvriers des usines de la capitale rejoignirent ces femmes dans la rue et la foule de manifestants grossit de plus en plus. La grève prit de l’ampleur et le rassemblement devint politique. Ce 8 mars 1917 annonça ainsi le début de la révolution russe dans la mesure où le peuple de la capitale russe se rendit enfin compte que les autorités étaient dépassées et qu’elles avaient en vérité peur de ce même peuple et de son pouvoir. Ainsi donc, ce sont bien les femmes prolétaires de la capitale russe, à l’occasion de la journée internationale des femmes dont l’idée venait de Clara Zetkin et de Alexandra Kollontaï, qui furent à l’origine de la révolution de février 1917. De là à dire qu’Alexandra Kollontaï est en fait l’initiatrice de la révolution russe il n’y a qu’un pas … Alexandra Kollontaï déclara d’ailleurs à cette occasion : « La Journée des ouvrières est devenue une date mémorable dans l’histoire. Ce jour-là, les femmes russes ont brandi la torche de la révolution prolétarienne et ont mis le feu aux poudres. La révolution de février venait de commencer”.


Sans Alexandra Kollontaï, sans cette « Journée Internationale des ouvrières », sans cette mobilisation et cette grève des travailleuses des usines de Petrograd : pas de révolution russe donc pas de renversement du tsar donc pas de régime communiste. Sans vouloir ici refaire l’Histoire, nous pouvons tout de même nous interroger sur la manière que nous avons de raconter cette dernière. Ces ouvrières russes qui déclenchèrent à travers leur soulèvement populaire inédit et spontané l’un des bouleversements les plus marquants du XXe siècle restent des inconnues, des oubliées et des délaissées de nos livres d’Histoire. Les noms de ces femmes, de ces révolutionnaires, nous échappent parce que d’une part nous ne les avons jamais appris et d’autre part parce que la vision idéaliste de l’histoire se base sur les « grands hommes » plutôt que sur les masses ou les classes sociales. Ainsi ce serait Lénine qui aurait lancé la révolution avec un beau discours alors qu’il n’était même pas en Russie au moment des faits … Ainsi la « Journée internationale des droits des femmes » du 8 mars serait originaire des Etats-Unis et n’aurait rien à voir avec le socialisme et la proposition de Zetkin/Kollontaï, ces deux femmes qui luttèrent pourtant toute leur vie pour améliorer les conditions de vie de leurs semblables …

Nous pouvons maintenant, heureusement, compter sur des ouvrages tels que « Ni vues ni connues » du collectif Georgette Sand qui retrace la vie de dizaine de femmes méconnues ayant pourtant accomplis des exploits ou les bandes-dessinées « Culottées » de Pénélope Bagieu qui dressent des portraits de femmes importantes. Mais ces nouveaux discours inclusifs et féministes relèvent de la sphère privée, de la culture personnelle des individus qui vont acheter ou non ces ouvrages. Peu de personnes, en vérité, se renseignent sur des personnages historiques différents de ceux précédemment appris lors des cursus scolaires et universitaires. Il serait donc peut-être temps, en 2021, de nous interroger sur la place des femmes dans l’Histoire ou plutôt sur l’absence des femmes dans notre vision actuelle de l’Histoire. Voici donc, pour ceux et celles qui ne la connaissent pas, le portrait d’Alexandra Kollontaï !


Le nouveau régime socialiste soviétique instauré à partir d’octobre 1917 (RSFS de Russie) n’oublia pas, dans un premier temps, ces ouvrières révolutionnaires qui étaient à la base de la révolution. L’idéologie communiste prônée par la nouvelle république repose sur l’égalité effective de tous et de toutes. La RSFS (République Socialiste Fédérative Soviétique) montra également une forme de « reconnaissance » envers ces femmes puisqu’elles lancèrent la révolution. Le gouvernement socialiste de commissaires du peuple, avec Lénine et les bolcheviks à sa tête, appliqua bon nombre de mesures en faveur de l’égalité, de l’émancipation et de la libération des femmes vis-à-vis des hommes. Officialisation du droit de vote des femmes (la Russie devenant l’un des premiers pays au monde à le faire, avant le Royaume-Uni et les Etats-Unis), mise en pratique de l’égalité concrète entre femmes et hommes (au niveau économique, social, politique, juridique et culturel), proclamation du 8 mars comme « Journée internationale des femmes » et entrée au sein du gouvernement de certaines révolutionnaires dont Alexandra Kollontaï.


Oubliée du grand public, boudée par les auteurs de biographies et non citée par les universitaires cette pionnière des droits des femmes et des libertés sexuelles, communiste et révolutionnaire de la première heure, fut non seulement l’une des premières femmes au monde à avoir été nommée officiellement à un poste de Ministre puis d’Ambassadrice mais aussi la précurseur d’énormément de théories et de concepts « féministes » repris dans la seconde moitié du XXe siècle. Elle fut l’auteure de nombreuses œuvres et théories révolutionnaires sur la place des femmes dans la société et sur la sexualité. Alexandra Kollontaï est, de plus, une personnalité étonnante à étudier puisqu’elle appliqua à sa propre vie ses propres théories révolutionnaires et émancipatrices. Ce qui n’est pas le cas de Voltaire ou de Rousseau par exemple …

Sa vie, son œuvre


Alexandra Kollontaï a fait de sa vie un combat ou plutôt elle a fait de ses combats une vie. Sans nous attarder ici sur ses moindres faits et gestes et sur ses aventures sexuelles et amoureuses, nous pouvons tout de même relever que pour l’époque, Alexandra Kollontaï était une femme libre, libérée et libératrice. Refus d’un mariage forcé organisé par son père, mariage à la place avec son cousin, fuite du foyer familial pour faire des études, encartement et politisation auprès du parti social-démocrate dans la branche menchevik (elle préférait les mencheviks (réformateurs) aux bolcheviks (révolutionnaires) puisqu’elle n’aimait pas le côté « militariste » des bolcheviks) puis exil en Europe où elle y rencontrera Karl Kautsky, Clara Zetkin, Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht mais aussi Lénine.


Elle s’intéressa, dès ses débuts en politique, à la cause des femmes et aux problématiques sexuelles. Alexandra Kollontaï participa ainsi à la première conférence de l'Internationale des femmes socialistes du 17 août 1907. Cette Internationale ayant pour but de faire de la condition féminine une partie intégrante de la question sociale traitée par les partis communistes. En 1910, elle accompagnait Clara Zetkin à la deuxième conférence qui se tint à Copenhague (où il fut décidé d’une « Journée Internationale des ouvrières) et elle y rencontra Inès Armand (communiste française et maîtresse de Lénine) et Rosa Luxemburg. A ces occasions, elle sera qualifiée de « Jaurès en jupons ». Elle était également membre en 1921-1922 du secrétariat international des femmes au Komintern, en tant que secrétaire générale. Cette branche spécifique du Komintern était dédiée aux femmes afin de concrétiser l’engagement des partis communistes du monde entier dans la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes.

Entre 1911 et 1916 elle a une relation avec Alexandre Chliapnikov, une figure importante de la branche bolchevik du parti, de 13 ans son cadet. Durant la Première Guerre mondiale, Alexandra Kollontaï se rallie finalement aux bolcheviks puisqu’elle est comme eux totalement opposée à la guerre dite « impérialiste ». Et en 1917, après la seconde révolution d’octobre, ce sera en gage de remerciement pour sa participation au mouvement révolutionnaire, d’amitié et de respect pour ses savoirs, ses apports philosophiques et ses théories que Lénine la nomme Commissaire du peuple (Ministre) à l’Assistance publique (Ministère de la santé) dans le premier gouvernement. Sur le plan personnel ce fut durant cette période qu’elle se maria avec Pavel Dybenko, un marin bolchévique de 17 ans son cadet.


Puis Alexandra Kollontaï fonda en 1919, avec Inès Armand, le Jenotdel (département du parti bolchévique chargé des « affaires féminines »). Elle comptait ainsi se servir de ce dernier pour transformer les mœurs de la nouvelle société communiste. Les révolutionnaires socialistes soviétiques étant, à la base, ouverts aux différentes réformes sociales, sociétales et culturelles allant de pair avec la révolution politique. Le grand projet d’Alexandra Kollontaï étant de lancer une révolution sexuelle après cette révolution politique. Le but du Jenotdel était en effet de changer et de supprimer les mœurs imposées par la bourgeoisie et d’entamer une libération sexuelle tout en proclamant l’émancipation des femmes. Les mesures phares appliquées grâce au Jenotdel restent le droit au divorce par consentement mutuel, l'accès à l'éducation pour toutes les femmes, l’égalité des salaires entre hommes et femmes, les congés de maternité, le droit à l’avortement et l'égalité de reconnaissance entre enfants légitimes et naturels (puisque sous l’Empire tsariste les enfants illégitimes avaient un statut social particulier). Alexandra Kollontaï, dans la même lancée, pour faire prospérer ses idées, se sert de la revue « La Communiste » qui est l’organe écrit du Jenotdel. Alexandra Kollontaï était convaincue que le communisme était le meilleur régime politique pour promouvoir l’égalité de tous et la révolution sexuelle. Ainsi, l’homo sovieticus allait être le prototype parfait de citoyens et citoyennes libres et égaux, dans la sphère publique comme dans la sphère privée.


Ecartée du pouvoir pour ses prises de positions trop « de gauche », elle est finalement envoyée dès 1922 dans des pays étrangers pour des missions diplomatiques (qui sont juste des moyens détournés pour l’éloigner de Moscou sans l’exécuter ou l’envoyer au goulag, ce qui revient à un exil et lui interdit toute action dans la vie politique soviétique). Alexandra Kollontaï devient donc « chargée d'affaires » puis ambassadrice de l'Union soviétique en Norvège en 1924 ce qui fait d'elle l'une des premières femmes au monde officiellement diplomates.

Les idées révolutionnaires sur la sexualité et l’amour d’Alexandra Kollontaï ne collent pas/plus avec la bureaucratie bolchévique qui se mit en place après la mort de Lénine en 1924. Elle tenta pourtant d’alerter face aux dérives dictatoriales de l’Union soviétique au sein même du parti bolchévique mais elle sera vite mise à l’écart et en minorité. Alexandra Kollontaï poussait la révolution un peu trop loin aux yeux des apparatchiks du nouveau régime qui n’aimaient pas trop les idées de révolution sexuelle. Pour ces derniers, la révolution ne touchait que le domaine politique, pas le domaine privé et encore moins les chambres à coucher. Celle qui théorise que le « couple » est une construction sociale bourgeoise de propriété devint trop dangereuse et allait à l’encontre de la pensée puritaine partagée par l’élite soviétique. Elle subira même des attaques dans la presse de l'époque qui pointe du doigt sa vie sentimentale sulfureuse et délurée. Les journaux la surnomment : « la scandaleuse » ou « l'immorale » ou titrent « La Kollontaïnette part pour l’étranger ; si ça pouvait être pour toujours ! » quand elle est en voyage officiel aux Etats-Unis.

Alexandra Kollontaï échappera malgré tout aux purges staliniennes du fait de son éloignement physique et donc politique puisque ne pouvant être inquiétée par des accusations de complots, mais aussi parce qu’elle est la « protégée » de Joseph Staline. Elle aurait été ainsi « son seul homme de confiance ». Elle était pourtant sur la sellette aux vues de ses nombreuses prises de position contre le régime ainsi que pour ces idées « libertines ». Dans son rôle diplomatique, elle se distingue pour avoir récupéré l'or que l'ancien chef du gouvernement provisoire de la Russie Aleksandr Kerenski avait transféré en Finlande mais que cette dernière ne voulait pas restituer à l’Union soviétique. Elle milite pour que les démocraties européennes s’associent avec l’Union soviétique contre le nazisme de Hitler avant la Seconde Guerre mondiale. Elle mènera les négociations pour les deux armistices entre l'URSS et la Finlande, en 1940, après la Guerre d'Hiver, et en 1944. Des hommes politiques finlandais proposeront sa candidature pour le Prix Nobel de la paix, en 1946, pour saluer l’ensemble de ses missions diplomatiques. Alexandra Kollontaï est aussi connue pour son patriotisme et pour son attachement au régime communiste, qui même si elle en voyait les défauts ne l’empêchait pas de le défendre et de le représenter à l’étranger. Elle déclara notamment en 1941 que « L'URSS ne reconnaît pas l'existence de prisonniers de guerre soviétiques » quand la Croix Rouge internationale proposait une médiation auprès des autorités allemandes pour tenter d'alléger le sort des prisonniers soviétiques puisque pour elles : « Ceux qui se rendent aux Allemands sont des déserteurs ». Cette phrase témoigne de son attachement profond à l’idéologie soviétique même si elle déclarera après 1945 vouloir que son pays mène une « diplomatie plus souple » pour « freiner le processus d’hostilité et de réaction » à l’encontre de l’URSS.


Sur le féminisme


Le reproche le plus courant adressé au socialisme et au communisme concernant le féminisme est celui que la lutte pour les droits des femmes serait une lutte « secondaire » de la lutte des classes. La conception marxiste de la société oppose en effet les opprimés et les oppresseurs, sans distinguer les différentes variantes d’oppression. La lutte « principale » étant celle du prolétariat contre la bourgeoisie qui mettra fin après la révolution à la société de classes et permettra l’émancipation de tous les opprimés. Seulement, pour les féministes, l’attente de la révolution est trop longue et des avancées peuvent être faites immédiatement en matière de droit et d’égalité. Alexandra Kollontaï s’inscrit dans la lignée des communistes puisqu’elle rejette le qualificatif de « féministe », étant une communiste avant tout. De plus, pour les socialistes et les communistes, la connotation du mot « féminisme » est péjorative puisque renvoyant à une lutte « bourgeoise » dans la mesure où elle détourne la lutte des classes en affirmant qu'il n'y a aussi une domination des sexes. Seules les femmes de la haute société se déclaraient « féministes », les femmes prolétaires étant des prolétaires avant toute chose. Cela n’empêche pas Alexandra Kollontaï de lutter activement pour l'émancipation des femmes dans la nouvelle société communiste et de concevoir des théories sur les différentes thématiques liées au sexe et à la sexualité. Alexandra Kollontaï essaye d’ailleurs de faire changer les mentalités de l’intérieur puisqu’elle se sert de son poste de Commissaire du peuple pour promouvoir ses idées révolutionnaires. « Révolutionnaires » car elle ne s’arrête jamais d’innover et de pousser les concepts marxistes encore plus loin. Alexandra Kollontaï déconstruit ainsi les « mythes » et les « habitudes » des hommes et des femmes en matière de relations amoureuses et sexuelles pour entrevoir d’autres possibilités et de nouveaux horizons. Pour elle, la révolution politique est un tremplin pour la révolution sexuelle. Alexandra Kollontaï prône un nouveau modèle amoureux et sexuel pour une nouvelle société. Elle propose de nouveaux schémas relationnels, plus adaptés à une société communiste et égalitariste.

Sur l’amour-camaraderie et la théorie du verre d’eau


Alexandra Kollontaï met en avant le fait que la révolution socialiste lancée en 1917 ne devait pas s’arrêter et se cloisonner seulement au champ politique mais bien au contraire continuer dans tous les domaines et activités de la vie. Ainsi, les problématiques sexuelles ne doivent pas être épargnées par la révolution socialiste. Une révolution socialiste doit se faire y compris et surtout dans les relations amoureuses et sexuelles des camarades entre eux. Elle théorise le fait que la nouvelle société communiste doit entreprendre des changements de mœurs radicaux par rapport à l’ancienne société bourgeoise pour s’adapter à la révolution. Parmi ces changements radicaux, Alexandra Kollontaï espérait mettre définitivement fin à la « morale bourgeoise » et aux dogmes religieux autour des relations amoureuses et sexuelles qui étaient imposés jusqu’alors, consciemment et inconsciemment. Alexandra Kollontaï s’évertue à appliquer le marxisme dans le domaine amoureux et sexuel. Elle se souciait des rapports sociaux entre les individus, des rapports personnels et relationnels. Ce qui n’est pas mince à faire tant les écrits de Marx ne semblent pas, au premier abord, très portés sur la sexualité. Elle théorise pourtant les sociétés sous le prisme sexuel : chaque type d'organisation politique (féodalisme, capitalisme, etc.) reposerait sur un idéal amoureux type. Les caractéristiques de cet idéal amoureux étant adaptées à l’organisation politique puisqu'elles lui permettaient l’efficacité et le maintien de cette organisation.


Ainsi, pour Alexandra Kollontaï, le principe de « fidélité » au sein du couple marié correspond au modèle bourgeois de la société libérale. Le mariage et la fidélité (qu’elle nomme « captivité amoureuse ») n’auraient donc plus de légitimité dans une société communiste où la propriété privée est abolie, y compris donc la propriété affective et l’idée de possession. Elle invente donc le concept de « amour-camaraderie » (qui se rapproche du polyamour et de l’amour libre qui seront théorisés plus tard). Les principes de l’amour-camaraderie sont les suivants : l'égalité des rapports mutuels, l'absence de possessivité, la reconnaissance des droits individuels de chacun des membres du couple, l'empathie et le souci de l'autre réciproque (qui n'était exigé que de la femme vers l'homme dans la "civilisation bourgeoise"). Elle-même vit des relations amoureuses libres et multiples qui lui sont beaucoup reprochées d’où ses surnoms de « sulfureuse » et de « immorale ». L’idée serait d’abolir le mythe de l’amour exclusif pour permettre au peuple soviétique de se réaliser pleinement dans ses relations, sans contraintes morales ni religieuses. Le terme qu’elle inventa à ce propos est celui de « monogamie successive ». Chacun serait ainsi libre d’avoir des partenaires multiples ou non. Ses théories ne sont pas là pour éradiquer la conception du couple mais bien pour améliorer cette dernière et la faire progresser. Alexandra Kollontaï montra ainsi qu’il y avait un large panel de possibilités sur le plan affectif et qu’il ne fallait pas se réduire à une vision imposée et intégrée par la société. Alexandra Kollontaï était avant tout une partisane de l’amour, sous toutes ses formes et de toutes ses manières. Elle n’a cessé de se battre pour que les soviétiques puissent aimer librement et s’aimer librement.

L’un des points les plus connus de son œuvre est celle de « la théorie du verre d’eau ». Alexandra Kollontaï s’étant en effet exprimée sur le sujet de la sexualité des soviétiques aurait dit qu’en URSS, il devrait être aussi facile de faire l’amour que de boire un verre d’eau. Ces propos ont quelque peu effrayé les autorités politiques socialistes de l’époque, Lénine le premier, qui craignait que l’URSS soit perçue comme une nation de dépravés sexuels. Il déclara donc : « Certes la soif doit être assouvie. Mais un homme normal, dans des conditions normales, se mettra-t-il à plat ventre dans la rue pour boire dans une flaque d’eau sale ? » puis pour définir l’attitude que devraient adopter les jeunes communistes « Ni moine ni don Juan ».

La vision de Alexandra Kollontaï est en avance voire très en avance sur son temps, elle ne convient pas du tout aux nouveaux dirigeants soviétiques qui sont, dans le domaine sexuel, très orthodoxes et conservateurs. Ainsi Lénine et Trotski, traditionalistes sur le plan des relations personnelles, s'opposent à elle et l’empêche d’appliquer à l’URSS ses conceptions amoureuses et sexuelles. Ces-derniers pensent que le « couple fidèle » est la forme naturelle d'expression amoureuse et la base de la famille. Lénine qualifie même Alexandra Kollontaï de « décadente » en raison de ses multiples amants (ce qui est paradoxal quand on sait que Lénine trompait allègrement son épouse, notamment avec Inès Armand). Les idées et théories d’Alexandra Kollontaï ne seront donc pas répandues bien longtemps et elle devra se consacrer aux affaires extérieures plutôt qu’aux affaires intérieures du pays. Malgré tout, Alexandra Kollontaï marqua son temps. Même si les cadres du parti étaient réticents, elle réussit à mettre en place de vraies politiques en faveur des droits des femmes comme il en existait très peu dans le monde à cette époque-là.


Alexandra Kollontaï ne fut pas la seule à allier révolution communisme et révolution sexuelle puisque Wilhelm Reich, s’essaya à théoriser la vie sexuelle des jeunes sous le prisme du marxisme et du freudisme. Plus tard, ce seront les intellectuelles féministes des années 1960-1970 qui reprendront les mêmes idées qu’Alexandra Kollontaï mais du côté occidental. Aujourd’hui encore, à l’heure où l’on s’interroge sur l’exclusivité dans les couples et sur les relations sans sentiments de type « plans cul », les mots de Alexandra Kollontaï sur l’amour libre résonnent encore. Alexandra Kollontaï est une figure historique et importante en matière de féminisme puisqu’elle était l’une des seules avoir abordé, dès le début du XXe siècle, des sujets tabous alors que la plupart des pays européens n’avaient pas encore accordé le droit de vote aux femmes. A sa manière, Alexandra Kollontaï était une pionnière mais aussi une révolutionnaire et une avant-gardiste. Elle a su s’affranchir des normes de son époque et imposer des changements nécessaires et toujours en vigueur aujourd’hui. Voilà pourquoi il ne faut pas l’oublier.


Arthur Bauchet


32 vues0 commentaire
bottom of page