Des personnalités reconnues sortent de Sciences Po avec pour chacune d’entre elles un débouché potentiel pour ces étudiant.e.s fraîchement entré.e.s dans ces établissements. Parmi elles, une femme devenue une icône dans un domaine d’activités longtemps fantasmé ou méprisé où un certain voile d’ignorance entoure ce milieu particulier. D’étudiante à Sciences Po Grenoble à star internationale de la pornographie, son parcours n’était pas écrit et pourtant ses idéaux l’ont poussée à se lancer dans ce métier. Récit d’une femme habitée par le doute, en quête de liberté, suivant son désir et se renouvelant sans cesse. Portrait de Céline Tran alias Katsuni.
Mars 2018 en France. Cinq ans après son retrait de l’industrie du porno, Céline Tran publie sous ce nom son autobiographie nommée Ne dis pas que tu aimes ça. Elle raconte lors d’une interview que le titre est directement tiré d’une phrase prononcée par une attachée de presse avant d’entrer sur un plateau de télévision. Interdiction formelle pour la désormais ex-pornstar de dire qu’elle a fait cela pour le plaisir que cela lui a procuré. “Il est plus décent de dire ‘J’ai fait du X mais j’ai souffert’ que ‘J’en ai tiré du plaisir''' déclare-t-elle à LCI. Le plaisir représentait alors son unique crédo lors de son entrée dans le milieu de la pornographie.
Sciences Po Grenoble, la fête était endiablée dans cette boîte de nuit où la chaleur et la fumée se mêlaient à la transpiration de toutes ces âmes ivres, vibrant au gré de la musique forte sortant des impressionnantes sonos. De nature timide et réservée, la jeune Céline ne se sentait visiblement pas à sa place. Voilà même pas un an qu’elle avait intégré l’Institut d’Etudes Politiques de la ville de Grenoble sur avis de ses parents qu’elle décrit comme “strictes” et Céline avait ce besoin irrépressible pour la liberté. Soudain, au milieu de ces étudiantes et étudiants se déanchant toute la nuit durant, une femme la fascina. Elle s'appelait Stella. C’était une gogo-danseuse. Quand elle la vit sur son podium, un étrange sentiment se manifesta dans tout son corps : de la haine pour cette “pétasse” ? Ou tout simplement de la jalousie voire même de l’envie pour cette femme libre, pleine d’assurance, faisant preuve d’une grande maturité et jouant de sa sensualité ? Elle écrit: “Je veux comprendre comment elle fait pour être libre avec elle-même, face aux autres”. Et l’initiation commença …
Céline Tran s’essaya alors au métier de gogo-danseuse en discothèque en parallèle de sa vie d’étudiante bien rangée dans une faculté de Lettres Modernes après avoir quitté Sciences Po Grenoble. Elle vivait véritablement la nuit quand le jour venu, sa vie redevenait ordinaire. “C’est ce que j’appelle le syndrome Catwoman” confie-t-elle. Les représentations se poursuivirent à l'abri des regards de son cercle familial et amical. Peu de personnes étaient au courant de ses activités extra-universitaires. Puis un jour, une proposition étonnante lui parvint du célèbre magazine de pornographie pour hommes Penthouse. On lui proposa de tourner dans des films X devant la caméra du désormais vétéran du hard Alain Payet et produit par le très connu Marc Dorcel. Sa carrière prit alors un nouveau tournant en ce mois de novembre 2000 où elle joua dans son premier long-métrage pornographique. Et Céline Tran de prendre un plaisir fou dès les premières fois où elle tourna. De ces expériences, elle en tira des ressentis différents voire même contradictoires : quelquefois de peur, souvent de plaisir, toujours de liberté et avec un soupçon de transgression. Parfois même, tout cela à la fois. Katsumi était née.
Passionnée de mangas et de la culture nippone, Céline Tran fit le choix d’entrer dans l’industrie de la pornographie sous le pseudo de Katsumi, d’inspiration japonaise. Elle se décrit alors comme une sorte de guerrière aux talons aiguilles, solitaire face à un destin qu’elle a choisi. La jeune femme s’est construite un véritable personnage avec une identité qui lui est propre. Son récit autobiographique fait état d’une dissociation entre les deux personnalités : Céline Tran dans le cadre privé et Katsuni dans l’espace public pornographique. L’actrice disait vouloir être une “wonder woman”. “Je voulais être comme le super-héros qui transcende sa condition de citoyen lambda” raconte-t-elle. Ce personnage héroïque prit un sérieux revers quand l’actrice du X est mise en cause dans une affaire d’homonymie : une autre femme portait déjà le nom de Katsumi. Cette femme “lambda” l’attaqua en justice et la hardeuse a dû se résigner à lui donner la somme de 20.000€ en dédommagement et à changer son pseudo. Katsumi devient Katsuni et ce nom la fit connaître mondialement.
La carrière de Katsuni décolla très vite dès ses débuts. Si “en France, se faire un nom dans ce milieu était déjà une réussite” selon les dires de l’actrice, le succès à l’étranger fut quasi-immédiat. Elle enchaînait les tournages dans toute l’Europe puis à peine trois ans après son premier film, elle fut invitée à tourner pour la première fois aux Etats-Unis, plaque tournante mondiale du porno. La greffe prit rapidement puisque ses performances sont largement plébiscitées par le public américain. Preuve en est de la multiplication des récompenses pour l’actrice française. Katsuni demeure aujourd’hui encore l’une des actrices ayant reçu le plus de distinctions avec au compteur 30 prix et récompenses dont les prestigieux AVN Awards où elle est sacrée à de nombreuses reprises meilleure actrice étrangère. A l’apogée de sa carrière fulgurante, elle signa en 2006 un contrat d’exclusivité avec Digital Playground, l’une des sociétés de production de films pornographiques les plus réputées. Cet engagement lui apporte stabilité dans sa situation financière et renommée internationale. Puis, la médiatisation de l'actrice connut un tournant majeur lorsque des grands médias généralistes l'engagèrent : de petits téléfilms érotiques sur M6 au célèbre Journal du Hard chez Canal+ en passant par une émission à propos des “hentaï” sur la chaîne spécialisée dans les animés MCM et des chroniques dans la presse écrite française notamment Les Inrockuptibles ou au Nouvel Observateur. Elle est invitée sur les plateaux de Laurent Ruquier et de Frédéric Taddeï, s’est affichée aux côtés de Bernard Pivot en étant la marraine d’un festival littéraire et est même passée sur nos téléviseurs dans une publicité, rapidement censurée, vantant les mérites d’Alloresto. Tous ces micro-évènements restaient toutefois marginaux face à la révolution Internet faisant passer Katsuni de déesse de la VHS à reine du net.
En l’espace de 15 années, l’industrie de la pornographie s’est considérablement métamorphosée. Katsuni intégra ce milieu à un moment de crise. Dans ses débuts, l’actrice du X tournait dans des films qui finissaient dans des cassettes vidéo disponibles dans des sexshops peu fréquentés par le grand public. Le visionnage était réservé à un panel réduit de personnes qui payaient parfois cher pour avoir accès à une vidéo pornographique. Puis le DVD a supplanté la VHS et à son tour Internet a détrôné le CD ROM. “Internet a bousculé complètement le marché, il l’a démultiplié, il l’a rendu plus accessible et en même temps, il génère beaucoup de piratages. C’est devenu une véritable industrie qui fonctionne par tag, performance et par ethnies ” se désole aujourd’hui l’ex-pornstar. En parallèle de ce développement exponentiel d’Internet avec son lot de bienfaits et de méfaits, les contenus et les pratiques ont eux aussi connu une grande transformation. Katsuni s’initia ainsi à la pratique du gonzo, communément surnommé “porno amateur”, qui se généralisa en l’espace de quelques années supplantant même la forme traditionnelle de la pornographie, scénarisée, réalisée et finement cadrée. Tous ces tourments dans le milieu de la pornographie constituèrent le catalyseur d’une décision mûrement réfléchie par Katsuni au bout d’une dizaine d’années d’activité ...
Le 14 août 2013, Katsuni annonça sur Twitter l’arrêt de sa carrière dans le X. Au bout d’une “puberté de 13 années” comme elle s’amuse à le dire aujourd’hui, la nouvelle tomba comme un couperet. Exit Katsuni, place à Céline Tran. “J’ai vraiment aimé mon voyage dans ce milieu mais au bout de treize ans, je sentais qu’il me nourrissait et ne m’inspirait plus", a-t-elle expliqué lors d’une interview. Toutefois, cela ne sonna pas le glas de toute activité professionnelle pour elle. L’ex-actrice porno devint une simple actrice et, à ce titre, elle s’est vue proposer quelques rôles dans des productions audiovisuelles comme la websérie Le Visiteur du futur ou le film d’action Jailbreak. Par ailleurs, la passionnée de mangas et de sexe combina ses deux passions pour se lancer dans la bande-dessinée aux saveurs érotiques et sensuels. Désormais, Céline Tran se définit comme une coach en sexualité et en bien-être.
Loin d’avoir perdu la passion qui l’animait lors de sa carrière dans la pornographie, l’ex-actrice du porno continue de diffuser sur son blog ses idéaux qui ont longtemps rythmé et qui rythment toujours sa vie. Liberté, plaisir, sensualité, bien-être et transgression … Et à elle de conclure: “Moi, ma réussite, c'est d'avoir toujours été intègre et fidèle à moi-même”. Merci Sciences Po.
Garis Gentet
Comments