« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus
précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », énonce l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789.
Auparavant, lorsque l’on accusait une personne d’être raciste, cette dite personne
s’offensait et criait au mensonge, à la diffamation. Maintenant, dénoncer des propos racistes s’avère être contre l’usage d’une parole décomplexée, contre la liberté d’expression. Vous voyez le lien ? Moi non plus, mais c’est tout à fait normal car ce lien a été mis en place par des personnalités d'extrême droite qui sont prêtes à tout pour pouvoir être racistes comme bon leur semble. Et je dois dire qu’elles ont bien joué leur coup. Pour faire simple, avant les gens se donnaient la peine de cacher leur racisme et leur islamophobie.
Dorénavant ils les montrent fièrement en se cachant derrière la liberté d’expression comme grand bouclier. Et puis bien sûr si les personnes attaquées se plaignent, ils.elles sortiront un “on ne peut plus rien dire” comme ils.elles savent si bien le faire.
Preuve à l’appui numéro un : Eric Zemmour. Comment ne pas le mentionner dans un article sur le racisme et la liberté d’expression aujourd’hui ? Il n’est pas nécessaire de citer tous les
propos racistes, islamophobes et sexistes qu’il a sorti au cours de sa vie, je n’aurais pas assez de place. Ce qui est important est qu’il continue à être invité sur les plateaux télé, à obtenir des tribunes et à sortir ses livres parce qu’il faut bien qu’il partage son “opinion”. Une
opinion raciste. Cette liberté d’expression n'existe que pour les oppresseurs évidemment sinon ça ne serait pas drôle.
Preuve à l’appui numéro deux : Nick Conrad et sa chanson “Pendez les blancs”. En 2019, le rappeur est condamné à 5000€ d’amende avec sursis pour provocation au crime. Je joue peut-être l’avocat du diable ici mais Nick Conrad n’a-t-il pas juste utilisé son droit à la liberté d’expression ?
L’artiste a toujours pris la peine d’expliquer calmement que c’était sa manière
de dénoncer le racisme en inversant les rôles (lire le roman Entre Chiens et Loups sur le même thème). C’est évidemment une référence à la manière dont le Ku Klux Klan pendaient les Afro-Américains au sud des Etats-Unis. C’est un appel à la fin du racisme et du colonialisme. Je ne défends pas la chanson de Nick Conrad, mais la même énergie n’est jamais présente pour condamner les propos racistes d’Eric Zemmour ou plus récemment de Nicolas Sarkozy qui associe spontanément les singes aux «nègres». Un ancien président de la République tout de même. Et personne ne l’a repris sur le plateau de Quotidien.
Quand ils.elles n’utilisent pas la liberté d’expression, le “racisme anti-blanc” est leur notion favorite pour se justifier. Le simple fait que l’on doive rajouter « anti-blanc » prouve que ça n’existe pas. Sans oublier que le terme est principalement instrumentalisé par l’extrême droite, utilisé à la moindre critique, ce qui donne à réfléchir.
Cette notion ne peut pas être pertinente dans des sociétés où les Blancs sont en position de domination et ont le privilège systématique sur les personnes racisées, peu importe leur statut social. Le meilleur exemple pour soutenir leur théorie est l’Afrique du Sud, qu’ils sortent comme une carte joker. Le problème avec cet exemple est que même dans ce pays (avec une population noire qui représente plus de 80% de la population) la domination blanche persiste, héritage de l’apartheid. Aujourd’hui, les 15 % de Blancs de la population détiennent 90 % de la propriété productive et gagnent en moyenne trois fois plus que les Noirs. L'Afrique du Sud demeure donc l'une des sociétés les plus inégalitaires du monde.
L’humour est souvent invoqué pour justifier des propos discriminants. De grandes
questions se posent alors : où s’arrête l’humour et où commence l’injure ? Peut-on rire de tout ?
L’avocat Basile Ader rappelle qu’en 1992 le tribunal de grande instance de Paris estimait que la liberté d'expression « autorise un auteur à forcer les traits et à altérer la personnalité de celui qu'elle représente », et qu'il existe un « droit à l'irrespect et à l'insolence ». Les
humoristes utilisent beaucoup dans leurs spectacles la caricature d’une personne étrangère et les caractéristiques qui lui sont attribuées : son accent, ses tenues traditionnelles, etc.
Et le plus souvent ce sont les racisé.es eux-mêmes qui mettent en scène cette autodérision. Ma théorie est qu’ils.elles le font car ce sont les stéréotypes attendus et voulus par le public.
Pourquoi tenter autre chose quand c’est ce qui fait rire en grande majorité les blancs ?
Aux Etats-Unis, le premier amendement de la Constitution, qui protège la liberté
d'expression, est très large. De nombreux propos condamnés en France sont légaux aux Etats-Unis, ce qui est positif. Cependant, la France a trop souvent tendance à nier son ancienne histoire coloniale et le racisme qui en découle jusqu’aujourd’hui. Non le racisme
n’est pas qu’une affaire états-unienne. En France aussi, les personnes non blanches sont victimes de préjugés portant sur leur situation socio-économique et familiale, considérées généralement comme issues d’une famille nombreuse, pauvres, peu éduquées et habitant dans des quartiers difficiles. Ces préjugés rendent particulièrement difficile la recherche d’un
travail et d’un logement comme le prouvent plusieurs enquêtes (voir celle de France info sur la discrimination à l’embauche, ou celle de SOS Racisme sur la discrimination au logement).
Oui la liberté d'expression est un droit fondamental mais elle ne donne pas un laissez-passer pour manquer de respect aux membres d’une société. Le principal problème est que les propos cachés derrière cette liberté d’expression ont un impact direct sur les communautés visées.
Khere Ganongo
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