Le dimanche 8 novembre 2020, Luis Arce, socialiste, a été investi comme nouveau président de la République de Bolivie. Pour les partisans de la gauche latino-américaine, son élection signifie le retour officiel d’une « vague rose ».
Après quasiment un an de crise politique, d’exil forcé d’Evo Morales, d’un gouvernement intérimaire conservateur, avec à sa tête Jeanine Añez, la Bolivie a retrouvé, en novembre 2020, un gouvernement de gauche. Ses premières décisions ne se sont pas faites attendre : le retour du leader socialiste Evo Morales et la réintégration de la Bolivie dans des organisations régionales de gauche comme l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes, et l’Union des nations sud-américaines. Pour les politiques latino-américains de gauche, cette victoire a envoyé un message fort à tout le continent. Que ce soit Manuel Lopez Obrador, président du Mexique, Alberto Fernandez, président de l’Argentine, ou Lula, toutes les grandes figures de la gauche ont célébré cette victoire. Alberto Fernandez, qui était présent à l’investiture de Luis Arce, a même décidé de réaliser un grand évènement à Jujuy, à la frontière entre l’Argentine et la Bolivie, pour fêter le retour de Evo Morales dans son pays. Ce dernier avait d’ailleurs trouvé refuge en Argentine durant son exil.
Pour le président argentin, cette victoire en Bolivie signifie la continuité d’une reconquête politique régionale, qui a débuté par son élection en 2019, et le retour de la vague rose. En effet, en 1990, la gauche latino avait créé une organisation politique du nom de Forum de São Paulo. Un rassemblement qui comprenait une multitude de partis et d’organisations de gauche tels que le Parti des Travailleurs brésilien ou les Partis communistes chiliens et argentins. Sans compter des figures emblématiques tels que Lula, Rafael Correa, Evo Morales et Hugo Chavez. Les deux objectifs principaux étaient, d’une part, d’aider les différents partis à accéder au pouvoir, d’autre part, de créer une grande intégration latino-américaine afin de lutter contre le néolibéralisme et l’impérialisme américain. Et, comme les personnes citées ci-dessus, beaucoup de représentants de cette organisation ont pu accéder au pouvoir et gouverner dans leurs pays respectifs. C’est la fameuse vague rose latino-américaine du début des années 2000.
Quelques années plus tard, cette vague rose sera renversée et l’Amérique latine verra l’arrivée d’une vague conservatrice. En 2019, avec l’idée de retrouver cette gauche, certains de ces partis se sont réunis pour créer le Groupe de Puebla, avec comme représentant, Alberto Fernandez. Leur stratégie est simple, faire naître une nouvelle vague rose dans la région. Et, en quelques mois, leurs partisans ont observé l’arrivée de Manuel Lopez Obrador à la tête du Mexique et de Alberto Fernandez en Argentine. C’est pourquoi l’élection de Luis Arce en Bolivie représente une grande victoire pour ce mouvement. C’est un nouveau pas dans leur reconquête régionale. A cela doit s’ajouter la décision des chiliens de changer leur Constitution, héritée de Pinochet. Pour certains membres du Groupe de Puebla, cette décision offre une grande opportunité pour le repositionnement, dans le paysage politique, de la gauche chilienne.
Il est cependant prématuré de crier victoire. Les scénarios politiques en Amérique latine ne sont jamais figés, tout peut changer en quelques mois, la preuve avec la vague conservatrice qui a renversé la vague rose. Ainsi, nous constatons un retour de certains gouvernements de gauche, en Argentine, au Mexique, et en Bolivie, toutefois, le chemin est encore long pour retrouver une déferlante de gouvernements « progressistes » et de gauche sur le continent. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ces courants politiques souffrent d’un problème d’image. Certains partis ou mouvements subissent encore l’image que renvoie le Venezuela, ce qui peut bloquer leur ascension. Ce fut le cas avec Gustavo Petro, en Colombie, et Fernando Haddad, au Brésil. Ces deux anciens candidats aux dernières élections présidentielles de leur pays se sont vus dire, plusieurs fois, que s’ils gagnaient les élections, leur pays deviendrait le Venezuela. Ensuite, cette gauche latino est divisée et fragmentée. Prenons l’exemple du Chili, où le Groupe de Puebla voit une opportunité de changement politique. En novembre 2020 auront lieu les premiers tours pour les élections des gouverneurs régionaux. Alors que les partis de droite et de centre droit se sont alliés sous la bannière du Chile Vamos, les partis de gauche n’ont pas réussi à s’entendre. Ce seront alors deux mouvements de gauche, Frente Amplio et Unidad Constituyente, qui s’affronteront dans certaines régions. Enfin, la vague de gouvernements de droite ou de centre droit n’est pas près de faiblir, elle est même renforcée dans certains pays. Cette année, en Uruguay, dans le pays de José Mujica, icône du Forum de São Paulo et du Groupe de Puebla, c’est la droite qui a accédé au pouvoir. Au Paraguay, Mario Abdo Benítez, candidat du parti de centre-droit, Partido Colorado, a accédé au pouvoir en 2018. Quant à Jair Bolsonaro, la crise liée au coronavirus ne l’a pas ébranlé. Afin de pallier le manque de ressources financières pour les personnes les plus pauvres, le gouvernement brésilien a décidé de mettre en place une allocation d’urgence. Résultats, beaucoup de familles ont vu, durant la crise, leur niveau de vie rester stable et même, pour certaines, augmenter. En voyant la popularité de cette mesure, Bolsonaro a décidé de mettre de côté les classes moyennes des grandes villes qui avaient voté pour lui, pour se concentrer sur les personnes les plus pauvres, un électorat qui se situe, traditionnellement, du côté du PT, le parti de Lula. Ainsi, la popularité de Jair Bolsonaro est passée de 39%, en mai, à 52% en octobre.
A ce jour il est donc trop tôt, mais l’année 2021 sera l’année clé pour observer les tendances de la gauche latino-américaine. Il s’agira de constater, dans un premier temps, si les citoyens renouvelleront leur confiance auprès des gouvernements de gauche déjà en place. Les élections législatives de mi-mandat en Argentine, doivent renouveler 127 des 257 sièges de la Chambre des députés et les élections législatives au Mexique, en juin, éliront les 500 prochains parlementaires de la Chambre des députés. Enfin, dans un second temps, à la fin 2021, nous verrons si les partis de gauche réussiront leur objectif d’accession au pouvoir dans d’autres pays. Des élections présidentielles sont en effet prévues au Pérou, en Equateur, et au Chili.
Alexandre Marques Calcada
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