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Photo du rédacteurAlbert Controverses

Témoignage :“La dissociation, mon refuge empoisonné”


C'était en novembre, je crois, j'avais 18 ans et c'était ma première année d'université dans une nouvelle ville et avec mon propre appartement, ce qui semblait cool, mais j'ai vite déprimé parce que je ne pouvais pas vraiment me faire des amis et que je me sentais globalement assez mal à l’aise et nostalgique ici .


Comme je m'ennuyais et que je n'avais rien à faire, je me suis lancé dans ma routine nocturne préférée : prendre une drogue psychédélique, acheter beaucoup de cannabis et visiter ma ville.

Une chose marrante que je me rappelle, c’est qu’à chaque fois que je m’apprêtais à faire ça, la même pensée trottait dans ma tête : « T’as beaucoup de chance d’être un mec dans ce monde injuste, jamais je m’autoriserais ce plaisir si j’étais une fille, j’aurais bien trop peur » lol .

Tout a bien commencé, à 19 heures, la musique créait des orgasmes pour mon cerveau et j'ai soudain cessé de trouver ma vie si ennuyeuse, tout était lumineux et rayonnant et j'ai commencé à avoir les visions habituelles en forme d’arabesques et aux couleurs de l’arc en ciel rappelant l’éclairage de projecteurs ou de néons. Je me sentais enfin moi même libre et dans mon élément en me promenant en ville avec ma musique .


Quelques heures plus tard, j'avais beaucoup marché, il faisait de plus en plus sombre et je suis donc passé par le parc Jourdan, les bâtiments en général peuvent m’oppresser et j’adore tout particulièrement m'asseoir seul sous un arbre . À ce stade, la drogue avait fait son effet, j'étais encore assez rationnel et lucide, et j’étais loin de la confusion totale, cependant je n'étais pas prêt pour ce qui allait suivre. Puis un inconnu est arrivé et je sais que j'étais extrêmement confus et dissocié, je pouvais le voir s’approcher de moi, me serrer contre lui, m’embrasser mais la dissociation était telle que rien ne percutait dans mon cerveau. J’étais incapable d’associer la personne que j’étais à ce corps qui se faisait manipuler comme une marionnette, ni d’associer ma personne aux sensations que je ressentais. J’étais dans une sorte de vide, une purée informe d’influx sensoriels sans être capable d’y rattacher la moindre émotion. Puis à un moment donné, alors qu’il allait vachement plus loin dans ses abus que « juste » me caresser et m’embrasser, je réussis à prendre conscience de l’état de dissociation dans lequel j’étais, ce n'était pas la première fois que je retrouvais ces impressions de ne plus être moi ni d’être dans la réalité, et, comme si on appuyait sur un bouton dans mon cerveau, sitôt que je reconnais mon état, je suis capable de m’en extraire. Les premières secondes ne sont vraiment pas cool car je me retrouve directement confronté à la violence de ce qu’il m’arrive, sans ce filtre que crée notre cerveau pour nous aveugler de ce genre d’horreurs.

Bizarrement, je crois que c’est à partir de là que c’est devenu le plus flou dans ma mémoire. J’ai couru hors du parc, crié à un couple qui se baladait à côté de ne surtout pas y aller (avec le recul c’est moi qui avais dû leur faire peur…), puis je me suis réfugié vers la Rotonde et ses espèces de centres commerciaux, toujours bien éclairés même de nuit. Sauf qu'elle ne me rassurait pas la lumière, elle était beaucoup trop forte et me faisait mal à la tête alors que j’essayais de déterminer la véracité de ce qui venait de m’arriver. Vu mon état émotionnel, c’était sans doute vrai. Heureusement, j’ai pu avoir la chance d’avoir une bonne amie au téléphone qui connaissait bien ce genre de situations, elle m’a pas mal rassuré, mais surtout, mettre des mots aussi vite sur ce qui venait de m’arriver m’a, je pense, fait le plus grand bien et a constitué une première étape dans l’intégration de ce « traumatisme ». J’ai remarqué d’ailleurs, au cours de ma vie, que partager le plus vite possible une expérience trop intense émotionnellement était en général le mieux à faire pour ensuite espérer l’intégrer.


J'ai passé une heure à errer en ville comme un fantôme, encore fort dissocié mais pas autant que pendant l’agression. Je ressentais juste un très fort sentiment d’irréalité, une espèce d’anesthésie émotionnelle et la sensation de ne pas être une personne, de ne pas être moi en tous cas et que, de toute façon, peu importe ce qui pourrait arriver à cette personne, cela ne me concernerait pas . Ensuite, je suis rentré chez moi. Le reste de la nuit est très brumeux, je ne me souviens pas de grand-chose, je me suis senti incroyablement vide et anesthésié, comme si je voyais le film de ma vie et non pas ma vie et, forcément, on est moins investi émotionnellement dans un film que dans la réalité. Un peu comme si j’étais une entité n’ayant rien à voir avec ce corps ni cette réalité physique piégée là, je crois que c’est une des meilleures descriptions du sentiment de dissociation que je puisse faire. C’est un état particulier de toute façon, avec de nombreux niveaux qui vont d’un sentiment d’irréalité à l’incapacité de se sentir lié à son corps ou sa personne.


Je sais pas trop comment conclure, aujourd’hui encore la brume de la dissociation est très souvent présente à mes cotés, comme décrit plus tôt, il est devenu assez difficile pour moi de me sentir concerné par ma propre personne et la réalité qu’elle subit, c’est pas si atroce, on perd pas mal d’émotions négatives mais c’est aussi au prix de toutes les émotions positives. J’ai toujours eu des problèmes d’anxiété aussi, mais ils ont atteint un tel niveau que ça m’est juste devenu impossible de ne pas faire des crises d’angoisse à répétition sans anxiolytiques et j’en suis pas fier.Que dire de plus… j’ai pas envie de tirer de morale de cette histoire du genre « c’est mal de se balader drogué de nuit », non c’est pas mal, c’est un choix personnel et personne ne devrait avoir le pouvoir de m’en empêcher. Et ne laissez aucun.e psy ( ou policier, encore plus probable) vous dire le contraire. On va dire qu’au moins, depuis, je comprends un peu mieux le féminisme, et puis moi qui me faisais une passion d’explorer la psychologie et les différents états de conscience, on va dire que j’ai gagné une compréhension plus que théorique. Aussi, la philosophie, les religions et notamment le bouddhisme me passionnent, aujourd’hui je trouve ça assez terrifiant et si je m’y plonge trop, je perds un peu contact avec le réel.”


Anonyme

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