On peut difficilement ne pas voir l’incroyable défiance des Français face à un gouvernement qui n’a pas l’air décidé à dialoguer avec les citoyens : réforme des retraites, Gilets Jaunes, création d’une école de guerre pour policier et augmentation de leurs effectifs de plus de 10 000 personnes d’ici l’année prochaine, effacement progressif du parlement, rejet ou déformation de toutes les propositions de la Convention citoyenne pour la transition écologique... La force semble être le fondement du pouvoir de l'Exécutif et c’est dans ce contexte qu’une stratégie vaccinale doit non seulement être pensée, mais aussi être mise en place. Laissons de côté les questions sur le consentement à l’autorité (sinon il sera difficile d’être optimiste pour la suite), et concentrons-nous sur ce qui nous intéresse tous ici : y a-t-il un espoir de retour à une vie normale durant l’été, que ce soit temporaire ou non ?
Voyons d’abord rapidement où nous en sommes. Rappelons que les seuls vaccins autorisés en France sont ceux de Pfizer-BioNTech, Moderna (qui sont tous les 2 des vaccins à ARN messagers), Janssen et AstraZeneca (des vaccins classiques). Entre le 27 décembre 2020 (date de début de la campagne de vaccination) et le 20 avril (date des derniers chiffres sur le site du Ministère des Solidarités et de la Santé) 13 millions de personnes ont reçu leur 1re dose de vaccins (4,5 millions l’ont reçu en Avril) et près de 5 millions ont reçu leur 2e dose (dont 2 millions reçus en Avril, près de la moitié), ce qui nous fait un total de près de 18 millions de personnes (un peu plus d’un quart de la population totale) ayant reçu au moins une dose de vaccins. On voit très nettement que la vaccination a réellement débuté en avril, tout s’accélère à partir de maintenant et les objectifs gouvernementaux sont non seulement atteignables pour mi-mai (20 millions) et mi-juin (30 millions) mais aussi largement atteints pour avril (qui était de 10 millions).
Nous pouvons alors nous dire qu’au rythme de 10 millions de vaccinés par mois, l’affaire est pliée en 6 mois (car 90% de la population vaccinée suffit à un retour à la normale), plus que 4 mois à tenir et le “monde d’avant” est à nous ! Un seul bémol : moins de 90% de la population souhaite se faire vacciner. Et pour ne pas arranger les choses, 4,5 millions de personnes entièrement vaccinées ne représentent que 7% de la population. Bien que le rythme de vaccination s’accélère de jour en jour, la défiance crée un contre-effet à cette accélération, un poids qui va ralentir cette accélération au grand malheur d’à peu près tout le monde. On comprend bien que le jour où tout le monde retirera son masque et que nous pourrons faire de nouveau la bise comme avant n’est pas d’actualité, le bout du tunnel est encore loin. Néanmoins, ne pourrait-on pas envisager un allègement des restrictions cet été ? Ne pourrait-on pas forcer ces personnes récalcitrantes à la vaccination à travers un "passeport vaccinal” qui accorderait plus de droits si nous nous sommes vaccinés ? Notez quand même que nous sommes réduits à demander à l’État le droit à des libertés que nous n’aurions jamais imaginé seulement abandonner, que nous n’avons plus depuis plus d’un an déjà. Pour répondre à la question du “passeport vaccinal”, il est peu probable qu’il soit mis en place avant qu’une part non-négligeable de la population soit déjà vaccinée, mais aussi tant que nous n’avons pas les doses suffisantes pour vacciner toute la population (on créerait sinon la pire des inégalités qui soit), sans compter les personnes qui sortiront immédiatement les fourches et les torches par une réaction épidermique à une autre mesure coercitive.
En mars il y a en moyenne chaque jour 35 000 nouveaux cas de Covid-19 détectés : c’est beaucoup, ça a augmenté depuis janvier (on peut se poser la question de l’efficacité relative du couvre-feu), mais c’est à peu près stable depuis un mois. En admettant que cette stabilité reste grâce à l’augmentation du nombre de vaccinations, nous pouvons alors légitimement espérer un allègement des mesures proportionnelles à l’amélioration de la situation. C’est en tout cas le mieux que nous puissions espérer si nous ne voulons pas que la situation déborde comme en octobre (je vous laisse comparer la courbe de la 1re vague de mars avec celle de la 2e vague d’octobre). Si ça devait arriver, le confinement serait une possibilité sérieusement envisagée, et je pense que c’est la dernière chose que nous voulons. Nous ne pouvons donc pas espérer un véritable retour à la normal, d’une part car très peu imaginent encore une vie sans masques (qui marquerait un véritable retour à la normale) mais aussi et surtout, car il est dur de se projeter dans l’avenir et aussi de proposer un raisonnement contrefactuel sur ce qu’on aurait dû faire et donc sur ce qu'on devrait faire.
Le gouvernement a un objectif de 30 millions d'injections de 1re dose de vaccin à mi-juin, mais aucun objectif sur le nombre total de vaccinés à mi-juin, qui sont rappelons le, 5 millions au total dont 2 millions en avril. À ce rythme, l’espoir d’une population de 67 millions de personnes totalement vaccinées en été s’évapore. Pour apporter quelque chose au débat général sur la vaccination, essayons-nous à un raisonnement sur l’avenir, faisons la prédiction la plus optimiste possible et supposons qu’on vaccine chaque mois le double du nombre de vaccinés du mois précédent. On a 1.6 millions en février, 1.2 millions en mars, 2.5 millions en avril et donc 5 millions en mai, 10 millions en juin, 20 millions en juillet et 40 millions en août. Au rythme le plus optimiste, en faisant abstraction qu'une vaccination aussi rapide soit possible, tout le monde sera vacciné au minimum en août. Faisons maintenant la prédiction la plus pessimiste possible tout en étant un minimum réaliste, que notre capacité de vaccination n’augmente que d’un million par mois (ça ne semble pas totalement absurde à première vue). On a alors 1.6 millions en février, 1.2 en mars, 2.5 en avril et donc 3.5 en mai, 4.5 en juin, 5.5 en juillet, 6.5 en août, etc… À ce rythme-là, les 67 millions de Français seront vaccinés en janvier 2022 ! Voilà selon mon modèle la période maximum où toute la population sera vaccinée. Ce modèle est extrêmement simplificateur et très critiquable, il a néanmoins le mérite de proposer deux scénarios possibles pour donner un ordre d’idée de la période où nous pourrions envisager un véritable retour à la normale. Le modèle ne prend pas en compte le nombre de vaccins produits durant cette période, l’efficacité des vaccins, le nombre de vaccins que pourra se procurer la France, et tout un tas de paramètres auxquels on ne peut pas penser.
En guise de conclusion, rappelons que ça fait 10 mois que nous sommes en état d’urgence sanitaire (23 mars 2020 jusqu’au 10 juillet 2020 puis du 17 octobre 2020 jusqu’à aujourd’hui), et qu’un projet de loi du gouvernement déposé fin avril permettrait de prolonger cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 octobre 2021 (qui était censé finir le 2 juin 2021). On voit alors que le gouvernement veut être entièrement aux manettes de cette crise sanitaire ; car rappelons que cet état d’urgence sanitaire permet au gouvernement de prendre des mesures privatives de liberté comme le couvre-feu, sans passer par le Parlement.
Seul changement de ce prolongement d’état d’urgence ? Il ne permettra pas au gouvernement de décider seul d’un confinement généralisé. Si ça ce n’est pas une bonne nouvelle !
Fahim Bounoua
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