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Photo du rédacteurAlbert Controverses

Vivre masqué mais libre de parler

Dernière mise à jour : 24 oct. 2020

30 janvier 1933, un renouveau s’annonce en Allemagne, alors que les élections poussent Adolphe Hitler sur le devant de la scène politique.

Avec ce nouveau chancelier, réapparait un

drapeau encore intact dans la mémoire des Allemands. Le drapeau noir, blanc et rouge,

symbole de l’Empire Allemand (1871-1918), sera également celui des débuts du IIIe Reich de 1933 à 1935.

29 août 2020, ce drapeau est le symbole brandit par un groupe de manifestants à la porte du Reischtag. 300 personnes réussissent à franchir les grilles de protection entourant le

Parlement, parmi eux des néo nazis, mettant en émoi toute la classe politique dirigeante. Il s’agissait pourtant d’un mouvement en opposition aux restrictions mises en place par le gouvernement pour lutter contre le Covid-19. La réaction du président de la République Frank- Walter STEINMEIER apparaît dès le weekend sur les réseaux sociaux: « les drapeaux du Reich et les racailles d’extrême droite devant le Parlement allemand constituent une attaque insupportable contre le cœur de notre démocratie. »

Cette journée a vu près de 38 000 personnes brandir leur liberté de décider de leur façon d’agir contre la maladie. C’est le double de la manifestation précédente du 1er aout.

Le Monde dans son édition du 5 août publie les arguments des manifestants, se considérant comme des «libres penseurs », « victimes d’une « dictature » qui chercherait à museler les libertés de circulation ou de réunion ». Certains allants jusqu'à brandir des pancartes dénonçant le « retour de la Stasi», la police politique du régime communiste.


Ce mouvement semble alors rassembler un ras le bol modéré d’une partie de la population, tout comme un groupuscule extrémiste qui, à lui seu,l a décrédibilisé l’ensemble.

Comment interpréter cette mobilisation, dans un pays où il est estimé que seul 10% de la population trouvent les mesures contre le Covid-19 excessives selon le dernier baromètre de la ZDF (deuxième chaîne de télévision généraliste publique fédérale allemande).

Le fait est que dans ce pays où la pandémie a été maîtrisée grâce à un parfait sang froid, une compréhension populaire et un système de santé d’une solidité qui n’est plus à prouver, la moindre incartade est une affaire d’Etat.

Les allemands semblent apprécier l’ordre, mais celui-ci ne doit pas prendre le pas sur la libre expression. Et dans cette situation, avoir un point de vue qui diffère sur la façon de gérer le covid est vite perçu comme une insulte. Voir un danger. Et traditionnellement, face à l’imposition d’un point de vue unique, apparaissent les débordements.

Pour appuyer la comparaison sur une touche artistique, dès la chute du mur dans les années 90, pour compenser un excès de contrôle, l’Allemagne a choisi de s’engouffrer dans la liberté qui leur a été soudain permise. Leur choix a été de s’approprier la musique techno. Toute l’Allemagne de l’Est s’est soudainement mise à danser, pour prouver que leurs corps comme leurs esprits étaient libre de hurler. L’Angleterre, qui possède un système politique pourtant assez différent montre autant de radicalité d’expression individuelle entre un conservatisme chic dandy et une ambiance punk débridée. Dans son film Good Morning England, Richard Curtis met en scène une radio clandestine flottante qui diffuse du rock pour s’insurger contre la limitation de cette musique par la BBC dès 1966. Mais une question persiste : faut-il laisser parler les marginaux ou attendre qu’ils se coulent d’eux-mêmes ?

Certes, un drapeau à connotation néo nazi n’a pas le même impact qu’une musique des Rolling Stones ou de Pink Floyd (bien que cela reste à voir). Mais le mouvement de ce 29 août ne se limitait pas à cela. Il s’agissait d’une revendication à la liberté de s’exprimer face à un poing serré sur des mesures sanitaires depuis de longs mois. Car face aux « résistants» de première heure se dressaient également « quelques vieilles dames bon chic bon genre hurlant le mot « liberté ». Et c’est sur cette diversité de revendications qu’il faudrait se pencher. Si elle ne traduit pas une volonté de changer de système, elle traduit assurément une volonté d’être rassuré.



En France également nous avons nos médailles de contre-arguments. Nicolas BEDOS dans un de ses pamphlets sur le net publié le 23 septembre a clamé son ras le bol et a invité les français à « tout arrêter », les masques, le confinement, pour un droit à vivre tant qu’à en crever. Argumentation au verbe acéré et qui a entrainé un débat dans la France entière.

Pourtant, quelque mois auparavant, BFMTV dans son enquête aux anti-masques avait

soulevé un émoi moins général. En nous présentant Eve ENGERERE, médecin généraliste en Alsace devenue tête de file des anti-masque, c’est le pan complotiste assez méconnu de la population française qui émerge. Elle propose des ordonnances en ligne pour éviter le port du masque dans des lieux publiques et s’insurge contre ce « rituel des pédo-sataniques», un « acte de soumission ». Sommes-nous condamnées à rire des extrémistes et à injurier les artistes qui cherchent à relancer un débat qui peine à émerger ? Laisser plus de place à l’expression permettrait sans doute de filtrer les arguments, et éviter d’arriver à l’affirmation que le coronavirus est un nouveau produit de la franc-maçonnerie. Les Francs Maçons qui au passage auraient autant de travail que le Père Noël un soir de réveillon pour organiser toutes les missions que certains veulent bien leur mettre sur le dos.


Marie Michelet

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